10) "Nuit Blanche"

De Marches du Nord
Aller à : Navigation, rechercher

Ordre de mission

Après avoir embêté plusieurs PJ (Hadrien "Muraille", le Capitaine Liméric Durgaut et Lel'Liamil) avec des événements étranges autour de la Mine Bénie, est arrivé le moment où Durgaut a cons[[ulté Vighnu (son assassin) et Andréas (son consultant en sorcellerie et autres choses surnaturelles) pour voir ce qu'on pouvait faire concernant la rumeur tenace d'un rôdeur au chantier. Si cette petite intrigue devait initialement se régler "par mail", un heureux hasard a voulu que Vighnu réclame un pisteur pour l'assister dans une possible traque au moment où, entre deux expatriations professionnelles, Aloun était disponible pour jouer. On a donc saisi l'opportunité d'en faire un court Épisode par table virtuelle (et j'ai modifié l'identité du "rôdeur" pour leur mettre une réelle adversité), histoire de jouer une dernière fois avec lui avant qu'il ne change de continent. Pas de bol : il n'a pu jouer qu'une séance sur les deux, mais XO l'a remplacé au pied levé.

Protagonistes :

Prologue

Hadrien "Muraille", sa famille et les géants menés par Neri'Helin passaient la sixième semaine à faire surgir des gravats de la Mine Bénie une tour de quatre étages dotées d'une herse, d'un fanal, de montes-charges et même d'une chapelle au Premier Seigneur des Batailles, Herem (apparu sur le site dans toute sa divine grandeur pour sauver les Talendan des assiégeants Kormes deux semaines auparavant), lorsque la dresseuse et les mercenaires chargés de protéger le chantier (et son précieux contenu : le fameux "sarcophage de résurrection" récupéré lors de Terrain Minier) s'avisèrent qu'un "intrus" rôdait dans les parages. Il était à la fois trop discret pour que les guetteurs les plus habiles puissent le surprendre, assez "léger" (ou doué) pour ne point laisser d'empreintes derrière lui mais assez "corporel" pour faire bouger les branches de sapins sur son passage et assez "surnaturel" pour inquiéter les géants peureux. Averti par Lel'Liamil venu visiter le chantier, notre sémillant Capitaine convoqua son expert en surnaturel, le chroniqueur Andréas "Odran" : si ce n'était ni le spectre d'un des (nombreux) trépassés lors des événements ayant conduit à l’effondrement de la mine, ni un guetteur korme ni Etayn-la-Louve (trop habile avec les bêtes pour inquiéter des géants), ce pouvait encore bien être un membre de la Confrérie du Chacal ou, pire, un vilain sorcier, peut-être même Urgrand. Auquel cas, il fallait enquêter et prendre des précautions...

La planque

Au début de la 7° huitaine après la bataille, peu après le départ de la nef pour Aroche, Andréas et Vighnu Pratesh se rendirent donc sur place, le second dans le vague espoir de toucher la prime mise sur la tête du sorcier par les Kormes, et y retrouvèrent Eldan le Moineau, resté à la tour après sa garde d'une semaine pour continuer à surveiller avec la dresseuse intriguée et Totor, le géant à son papa Adira (parti pour Aroche), demeurant sur place jusqu'à ce que soit guéri un gros bobo à sa papatte.
Les 3 malheureux mineurs -rescapés de "Terrain Minier" et logés sur place dans la Mine Bénie en attendant du renfort pour se mettre à extraire le minerai d'argent- étaient presque aussi inquiets que le géant et accablèrent les arrivants de maintes légendes idiotes, mais comme il semblait bien que l'intrus vint presque chaque nuit, nos trois chasseurs mirent au point un signal avec les deux mercenaires (Gavin "la Fouille" et Sigwald "le Grêlé") et deux templiers qui garderaient l'endroit pendant la nuit, puis allèrent s'embusquer un peu avant le crépuscule dans les pentes rocailleuses que formaient les montagnes alentour.

Ils restèrent ainsi, presque sans bouger ni parler, pendant de longues heures glacées, à surveiller le moindre mouvement parmi les rares sapins enténébrés, la moindre ombre sur la neige maculée de boue gelée... jusqu'à ce que Vighnu distingue une forme floue glissant parmi quelques broussailles étiques et expirant par moment un nuage de vapeur. Ses compagnons, une fois avertis à voix basse, se crevaient néanmoins les yeux sans rien voir. Aussi le "chroniqueur" entreprit-il de projeter son esprit dans la direction indiquée par le Fehnri pour y découvrir... une silhouette floue et sans visage. D'abord surpris, il réalisa vite que l'intrus employait sans doute une sorte de camouflage magique ou un sort de dissimulation, et notre mage en conclut qu'ils avaient affaire à un sorcier. Précautionneux, nos chasseurs décidèrent donc de ne pas prendre de risque et Eldan banda son arc pour l'abattre d'une flèche dans le dos, comme ça, sans même dire "bonsoir".
Eldan avait-il méjugé de la distance à cause de l'obscurité, l'intrus portait-il une armure ? Toujours est-il que, après une exclamation de douleur, loin de s'étaler dans son sang, la silhouette s'élança à toutes jambes dans le versant irrégulier de la montagne, Vighnu et Eldan cavalant bientôt derrière elle pendant qu'Andréas appelait l'hallali, rameutant les guerriers à l'affût dans la tour.

Chasse aux sorciers

Plus agile en montagne et ses sens plus aiguisés, Eldan distança bientôt le fehnri dans la poursuite de l'intrus invisible en se guidant sur les seuls le bruits de course, ses occasionnelles empreintes dans les dernières plaques de neige, les branches mouvantes de sapin ou son ombre intermittente sur les rochers. Quoiqu'il perdit fréquemment du terrain pour chercher sa proie, le jeune éclaireur avait suffisamment repéré les environs pour savoir que, s'il continuait de longer les pentes vers le sud, l'Invisible atteindrait bientôt un fort torrent, puis une élévation abrupte et, au-delà, une faille infranchissable... (Les 3 PJ avaient en effet commencé la séance par un gros jet de préparation commun, ils avaient donc du bonus en stock pour la séquence "embuscade" de leur plan, même s'il est parti en sucette au premier tir...) Eldan dévala donc la pente vers l'unique gué sur le torrent, persuadé de pouvoir y intercepter le fugitif : manquant plusieurs fois de se blesser en bondissant comme un cabri parmi les buissons rabougris et les blocs rocailleux, il atteignit bientôt la large plate-forme rocheuse au bord de laquelle le courant, après avoir buté sur un rebord de pierres, se déversait en une courte chute d'eau vers un bassin en contrebas. L'arc bandé, attentif au moindre bruit discernable malgré le roulement des flots, scrutant la nuit à la pointe de sa flèche, il attendit. Un raclement de cailloux lui fit tourner la tête et, soudain, il discerna l'ombre indistincte que l'être translucide projetait sur les rochers dans la faible clarté des deux lunes, et décocha au jugé : le trait effleura la cible pour se perdre vers les rares sapins de l'autre rive, mais une soudaine gerbe d'eau trahit l'Indistinct : il venait de plonger dans le torrent. À quelques 100aines de mètres derrière lui et maintenant complètement semé, Vighnu vit alors arrivé Neri'Helin juchée sur un Totor galopant et lui fit signe de chercher à l'ouest, vers l'aval, pendant que lui-même presserait au sud en longeant les crêtes. Ils progressaient prudemment, attentifs au moindre souffle de vent dans les broussailles lorsque l'appel d'Eldan leur parvint : l'intrus fuyait par l'étang.

Après avoir vu passé la dresseuse indigène sur son lourdaud de géant et s'être fait doublé par le Grêlé, galopant à sa suite la lance à la main, Andréas (décidément peu fait pour la course à pied), avait été rejoint par Gavin la Fouille et, le temps de reprendre son souffle, utilisa la sphère alourdissant son havresac pour projeter son esprit par-dessus les pentes rocheuses et les fourrés, repérant bientôt Totor, sa cavalière, Vighnu et Eldan : "Ils sont au bassin !" expliqua-t-il à l'écuyer qui, sans trop se demander comment le chroniqueur pouvait bien le savoir, s'élança à son tour. Andréas regardait son dernier compagnon s'éloigner au pas de charge... quand une francisque jaillie d'un bosquet frappa l'apprenti guerrier en pleine course, enfonçant son thorax et le basculant dans la rocaille. Atterré, Andréas vit alors un barbu aux longs cheveux noirs sortir des sapins et s'avancer d'un pas heurté, traînant la patte et un épais bandage couvrant sa main gauche : "Hé bien, nous voilà enfin seuls ! Donne-moi ce sac, magicien de cabaret, et je te laisserais probablement vivre." Reconnaissant alors le fameux Urgrand, Andréas tira sa dague… et se mit à crier à l'aide.

À force de scruter la surface de l'eau à travers la légère brume, notre éclaireur finit par distinguer une sorte de perturbation dans les vaguelettes du lac et tira une nouvelle flèche, sans grand résultat. Mais comment trouver un type invisible dans un lac la nuit ? Eldan s'énervait lorsque Vighnu, la dresseuse et le géant déboulèrent des contreforts pour se joindre à la traque, commençant à contourner l'étang pour que leur proie ne s'échappe pas par l'autre côté, guettant un mouvement dans l'eau... sans grand résultat.

"Ça fait combien de temps qu'il est sous l'eau, là ?
_C'est à dire que s'il est invisible, il peut facilement sortir la tête pour respirer sans qu'on le voit.
_Oui mais ça caille, là : il va finir par geler, le gars.
_Mais ça peut prendre un moment.
_Et si on avançait dans l'eau ? C'est pas très profond, on pourrait sans doute le débusquer à nous trois, plus Totor...".
Mais un cri venant des hauteurs interrompit leurs réflexions :
"C'était quoi, ça ?
_Chut, j'écoute !... Merde, je crois que c'est Andréas...
_Et qu'est-ce qu'il crie ?
_Je ne sais pas, mais je vais aller voir."

Et soudain, derrière eux, l'eau remua : "Là, il est là" cria Eldan, "cette fois je vais me le faire !" Et, jetant son arc sur la rive, il tira son épée pour foncer dans l'eau [et une Réaction à 5, une !]. Vighnu hésita une seconde à lui porter assistance mais, lorsqu'un nouveau hurlement retentit au loin, fonça vers les crêtes.

Face au danger

Andréas, la besace posée derrière-lui dans les buissons, fit bravement face au sorcier qui s'approchait en claudiquant d'un pas irrégulier mais tranquille, dégainant lentement une épée :

"Sois raisonnable : donne-moi ce sac ou je vais devoir te saigner comme un porc pour le prendre.
_Tu... tu as tué Horen Rohanan !
_Qui ?"

Plus que les insultes, les menaces ou sa suprême arrogance, c'est ce dédain pour l'ami dont il avait brisé les vertèbres qui fit gronder la rage dans les veines du chroniqueur : hurlant comme un possédé, Andréas chargea la dague à la main. La lame pénétra la veste de cuir et s'enfonça dans le flanc du Sylvain surpris : le jeune mage allait frapper une seconde fois quand il vit la blessure se cicatriser sous ses yeux et sentit une intense douleur envahir ses entrailles. Le Talendan connaissait déjà cette sensation et, bandant sa volonté contre celle du Sorcier, l'étonna à nouveau en repoussant le sort.

Mais l'effort vidait son énergie et, bientôt, Andréas plia le genou devant l'ennemi, qui lui décocha un grand coup de pommeau dans le front et l'envoya bouler dans les fourrés. "Alors comme ça on résiste, hein ? Qu'est-ce tu crois pauv'merde, que tu peux m'arrêter avec tes tours de passe-passe et ton couteau minable ? Tsss..."

Son flegme maintenant disparu, le sorcier boitait en râlant pour ramasser le précieux sac quand une lourde lance lui transperça l'abdomen sans prévenir : le Sylvain n'avait pas vu arriver le Grêlé, alerté par les appels du chroniqueur. Mais au lieu de s'effondrer, le sorcier transpercé de part en part poussa un cri inhumain qui figea les deux Talendan : les aiguilles de pin tombèrent en pluie partout autour d'eux et, saisissant la hampe à pleines mains, Urgrand l'arracha d'une seule traction en répandant son sang aux alentours. Les buissons et les herbes folles, à peine reverdis par le printemps, se racornissaient tout autour du Sylvain, séchant et craquant au fur et à mesure que sa large plaie au ventre se refermait sous les yeux terrifiés du mercenaire. Sigwald le Grêlé, quoique tremblant, ne faiblit pas : tirant son épée, il franchit au pas de charge les quelques mètres qui le séparaient du sorcier sanglant et attaqua de toutes ses forces. Urgrand esquiva au dernier moment et rabattit le manche de la lance dans les côtes du mercenaire qui se fracturèrent sous l'impact, projetant les 80 kilos du guerrier à plusieurs mètres dans les sous-bois. Et quand Andréas en profita pour lui planter sa dague dans le dos, le sorcier commença vraiment à s'énerver...

Interlude glacé

Entré dans l'eau glaciale jusqu'à la ceinture et son ardeur illico refroidie (surtout quand il réalisa que ses compagnons le laissait seul avec un ennemi invisible), Eldan serrait la poignée de son épée fétiche en guettant la moindre ridule ou le moindre clapotis dans l'eau. Un remous lui permit de se retourner juste à temps pour voir soudain jaillir de l'étang une forme indistincte, comme une silhouette de verre partiellement ouverte sur une armure de cuir cloutée, un visage hirsute et un bras brandissant un poignard (parfaitement opaques, eux)... qui l'assaillit immédiatement. Le poignard aurait sans doute perforé le thorax de l'éclaireur s'il n'avait alors trébuché sur les galets tapissant le bassin et esquivé miraculeusement (1 pH) : aussitôt rétabli, Eldan attaqua de taille et d'estoc en profitant de l'allonge supérieure de sa propre lame, mais son adversaire se révéla tout aussi habile à l'esquive, parvenant au passage à dégainer un second poignard. Malgré l'étrangeté d'un combat contre un type dégoulinant dont la tête, dénudée de sa capuche dans le combat, les mains et parfois le ventre apparaissaient seuls tangibles aux limites d'un drapé invisible, l'éclaireur tenait courageusement tête au Sylvain et, feintant pour rentrer dans la garde de son adversaire, parvint à lui entailler profondément le flanc d'un revers d'épée avant de lui arracher la cape, brisant le fermoir qui en tenait le col. La lourde capeline apparaissant soudain de drap noir et détrempé au bras du Moineau, et lui-même étant maintenant complètement visible, le brigand plongea dans les profondeurs de l'étang et ne réapparu qu'après une longue brasse, s'échappant à la nage.

Entre feu et loup

Sous les yeux d'Andréas, les pupilles d'Urgrand avaient soudain jaunit et, sa mâchoire s'ouvrant jusqu'à se déboîter sur un hurlement bestial, ses articulations avaient claqué les unes après les autres, sa colonne vertébrale semblant s'affaisser vers l'avant alors que les doigts de sa main libre s'allongeaient en une patte griffue, l'autre perçant le pansement pour révéler une épaisse touffe de poils noirs. Et lorsque cette fourrure commença à recouvrir le cou et les pommettes du sorcier, son visage s'allongeant dans une suite de craquements hideux alors que ses canines poussaient, le chroniqueur compris qu'il allait y passer à moins d'une idée de génie... Il saisit sa dague pour tracer à toute vitesse des flammes dans la terre couverte de plantes mortes, jeta toutes ses forces dans son sort. Alors le monstre qu'était devenu Urgrand vit ses vêtements en loques crépiter et prendre feu, les cruelles flammèches l'entourèrent bientôt, montant autour de lui jusqu'à l'aveugler, gagnant sa fourrure et brûlant sa chaire, bientôt tremblante de la panique atavique du loup face au feu ! (Oh le beau sort d'illusion, oh la belle idée ! Andréas y a illico gagné 1pH.)

Les chasseurs pris en chasse

Courant à la rescousse, Vighnu et Neri'Helin tombèrent bientôt sur Gavin la Fouille, baignant dans son sang mais toujours vivant après une longue dégringolade dans la pente hérissées de rochers, et malgré la profonde plaie ouverte dans son thorax par la francisque du sorcier. Mais Vighnu n'avait ni le matériel ni le temps pour soigner l'écuyer car, en haut de la pente, la rumeur du combat s'amplifiait. Ils chargèrent donc le blessé sur l'épaule velue de Totor (malgré les protestation du géant) et reprirent leur ascension précipitée pour découvrir bientôt un spectacle qui dépassait l'entendement : au milieu d'une large zone de végétation séchée et noircie comme par un soudain incendie, une forme à peine humaine semblait se disloquer en s'agitant follement, s'arrachant des poils et des lambeaux de vêtements avec des grognements furieux et des jappements plaintifs. À quelques pas de lui, Andréas tuméfié et en nage, se relevait péniblement, rampant et trébuchant pour s'éloigner du monstre devenu fou. "COURS !" lui cria Vighnu, à la fois blême et électrisé par l'adrénaline, "COURS BON SANG !". Le chroniqueur, d'abord trébuchant, saisit son sac par la sangle et s'éloigna bientôt d'un trot freiné par ses halètements, alors que la silhouette du sorcier reprenait peu à peu forme humaine dans ses vêtements déchiquetés, d'où perçait une main gauche déformée et velue.

Urgrand jeta à peine un regard au géant terrifié qu'encadraient le Fehnri et la dresseuse, tous trois figés à 40 pas de lui, et clopina vers la forme affaissée du Grêlé en marmonnant : "Ah le sale petit fils de pute... le sale petit merdeux... je vais le peler comme une pomme, je vais le noyer dans son sang, je vais le...". Mais quand le mercenaire se releva soudain, l'épée à la main, le Sorcier le saisit à bras le corps avec un cri de joie, bientôt couvert par le hurlement de souffrance du guerrier, un hurlement qui se fit bientôt plus rauque, presque chevrotant, et mourut dans un râle indistinct. Quand il laissa le corps s'écrouler parmi les buissons pétrifiés, le Sorcier avait retrouvé sa stature et son énergie et, quoiqu'il traîna encore un peu la jambe et que son bras gauche sembla toujours coincé entre les formes humaine et lupine, c'est avec une joie féroce que le sorcier cria vers les sapins où disparaissait le chroniqueur : "COURS ! COURS, PETIT LAPIN ! PARCE QUE LE MÉCHANT LOUP VA TE TROUVER ET TE aouch !". La flèche de Neri'Helin lui ayant griffé la jambe, le Sorcier se retourna vivement, outré, et ramassa la lance du Grêlé pour la jeter à l'Emishen : il la rata de plusieurs mètres et ne toucha qu'un sapin, mais l'impact fut si violent que la hampe vola en éclats, le fer presque entièrement enfoncé à travers l'écorce. "Oh putain !" lâcha Vighnu, planqué derrière un (autre) tronc et atterré par la force du sorcier, alors que Totor s'enfuyait en hurlant, Gavin la Fouille toujours sanglé sur son épaule.
"Tire encore ! Il faut l'attirer à nous pour permettre à Andréas de rejoindre la tour !
_J'avais qu'une seule flèche : le carquois est au dos d'Eldan !
_Et meeerde... rattrape le géant, je vais tenter quelque chose !"

Et alors qu'Urgrand repartait à grands pas saccadés aux trousses du jeune mage en chantonnant "Petiiit laaaapin ! Viens voir par là, petit laaaaapin ! On va s'amuser, toi et moi !", l'assassin pris le risque insensé de s'approcher de lui à moins de 30 pas pour lui lancer un de ses grands couteaux de jets hornois : la lourde lame en feuille de laurier se planta avec un bruit mat dans l'omoplate du sorcier, qui se retourna, l'arracha d'une main en beuglant "Non mais c'est fini, oui ?!" et la renvoya avec tant d'élan que, Vighnu s'étant jeté à terre pour esquiver, l'acier se tordit en cognant sur un rocher. Urgrand clopinait à nouveau en direction de la tour et le Fehnri, constatant que le poison dont il avait enduit son arme ne semblait pas tellement affecter le Sylvain, s'approcha du Grêlé pour voir s'il pouvait encore l'aider : il lui fallu quelques secondes pour comprendre que le petit vieillard squelettique nageant dans une armure trop grande, déjà froid, racorni et presque momifié, était le corps du mercenaire. "Putain, putain, putain !" Pas pressé d'aller affronter le sorcier au corps à corps et confiant dans la protection que la tour offrirait à Andréas, Vighnu récupéra son couteau tordu et s'élança derrière Neri'Helin, à la poursuite du géant et du blessé.

Une étrange cape

Au bas de la pente, Eldan n'était pas assez idiot pour poursuivre un type à la nage avec son armure, son baudrier et son épée, surtout que le Sylvain semblait nager comme un poisson et que ses poignards l'avantageraient nettement si le Moineau venait à le rattraper dans l'eau. Il gagna donc la rive à grands pas et, grelottant dans la nuit glaciale, fonça vers son arc pour découvrir qu'il avait disparu : après une bordée de jurons, évaluant la distance que le Sylvain avait encore à nager, Eldan jeta la cape dans un buisson et s'élança au pas de course pour contourner le lac, espérant être assez rapide pour choper le fuyard au bord du bassin. Et, justement, le brigand détrempé atteignait la rive lorsqu'il entendit les pas rapides d'une course dans les galets : au delà de l’étroit cours d'eau par lequel l'étang se déversait dans les gorges encaissées pour rejoindre le torrent furieux qu'on entendait gronder en contrebas, le tenace éclaireur arrivait au pas de charge, dégainant son épée. Mais le Moineau aussi surveillait le brigand et, captant le geste vif et l'éclair métallique, se coucha en dérapant dans les galets pour éviter le poignard que l'autre lui avait jeté. Le temps de se relever et le Sylvain disparaissait à l'orée de la forêt toute proche ; le temps de franchir le courant qui lui arrivait à mi-cuisse et voulait l'entraîner dans le canyon, la silhouette du fuyard avait disparu. Renonçant bientôt à pister un forestier manifestement habile dans un bois inconnu en pleine nuit, Eldan revint sur ses pas et récupéra la cape au fermoir brisé. Il constata que son poids venait du maillage métallique qui en doublait l'intérieur, le bord inférieur étant prolongé par un liseré de fourrure épaisse et sombre, dont la saleté indiquait qu'elle devait servir à balayer les traces du porteur et, sa curiosité satisfaite pour l'instant, il se la jeta sur l'épaule et repartit vers la mine à petites foulées, sa course moins motivée par l'urgence que par le besoin de se réchauffer. Là-haut, près des crêtes, quelqu'un venait d'allumer le fanal de la tour.

La herse

Hors d'haleine et trébuchant, Andréas dévala le surplomb couvert de sapins qui bordait le glacis dégagé autour de la mine fortifiée et, voyant venir du secours, s'effondra dans les bras des deux templiers qui couraient à sa rencontre :

"Mais bon sang, qu'est-ce qui se passe, dehors ?
_HHHUrg... Hhhurgrand... hhh... le sorcier...
_Mettez-vous à l'abri, mon vieux : on va s'en occuper !
_Non...hhh... non... attendez... il est trop...
_Rentrez et fermez la herse !" lui cria le plus jeune des deux templiers qui, armes à la main, partaient déjà en courant vers la silhouette sombre apparue entre les arbres. Trottinant de son mieux vers la protection de la tour, le chroniqueur ne put s'empêcher de se retourner lorsqu'un cri plaintif retentit, et vit le premier templier s'effondrer, sa propre épée plantée de biaisdans son lourd casque d'acier. Il n'attendit pas que le second tombe à son tour pour franchir enfin le grand portail de bois par le vantail entr'ouvert, claquer la porte derrière lui, barrer la porte et s'affaler au sol pour reprendre son souffle. "Mais qu'est-ce qui se passe, à la fin ?" lui demanda alors un mineur moustachu, armé d'une pioche et manifestement inquiet.
"Hhh... hhher... herse.
_La herse ? Quoi, la herse ?
_Fermez...la herse.
_Fermer la herse ?! Mais enfin il y a encore tous vos amis dehors et...
_FERME-LA PUTAIN DE HERSE, DUCON, LE SORCIER ARRIVE !"

Et tandis que le mineur effrayé gagnait l'étage supérieur en criant à ses camarades "On est attaqués ! On est attaqués ! Allumez le fanal !", Andréas claudiqua hors du couloir d'entrée, escalada à quatre pattes l'escalier à vis qui sentait encore le ciment frais et atteignit la salle de garde obscure surplombant l'assommoir, où les meurtrières dominant le portail laissaient entrer la pâle lueur des deux lunes et de lointains hurlements de souffrance. Malgré sa terreur, le scribe redescendit en haletant pour trouver une torche allumée, remonter péniblement et en éclairer la salle de garde, découvrant les énormes rouages du treuil retenant la herse. Du dehors, lui parvint un appel sarcastique, tout proche : "Tu es là-dedans, petit lapin ? Et tu crois que c'est assez solide pour m'empêcher d'entrer ? Attends voir..."

Un choc monstrueux ébranla le portail, effrayant la seule mule qui occupât l'écurie du rez-de-chaussée. Après avoir essayé plusieurs leviers en vain, Andréas domina la panique qui le gagnait à chacun des coups de boutoir qui résonnaient dans la tour et parvint enfin à libérer l'engrenage qui se mit à tournoyer, entraîné par le poids de la lourde grille de chêne et d'acier qui tombait au ralenti vers le sol. Un craquement terrible précéda les bruits de rebonds métalliques et le chroniqueur compris que le portail cédait : encore deux coups et il entendit le raclement des portes disjointes s'ouvrant sur le sol de terre battue. Puis les pas, irréguliers mais toujours tranquilles, qui s'avançaient dans le couloir, juste sous les genoux tremblants d'Andréas, s'efforçant de ne faire aucun bruit en poussant le madrier verrouillant la herse : "Tu es là mon petit lapin ! Je te sens ! Dis-donc, il a bien bossé votre vioque, là. Sincèrement, je suis épaté. Mon gars et moi, on regardait le chantier se monter, l'autre jour, et je lui disais justement : c'est pourtant vrai qu'ils bossent vite, tu vas voir que ça va bien me prendre une heure pour raser tout ça. Mais justement, je suis pressé, alors donne-moi la sphère et je m'en irai. Je te le promets, petit lapin : passe-moi l'artefact que l'autre croulant m'a volé et je renonce à t'écorcher vif. Tiens, tu vois la petite trappe au milieu de la pièce ? Regarde donc, c'est pas loin de tes pieds. Tu ouvres la petite trappe, tu y laisses tomber la sphère et c'est fini, je te jure que je vous laisserait vivre tous les 4, les autres creuses-misère et toi. Qu'est-ce que tu en dis, mon p'tit lapin ? Tu veux me faire plaisir ? Tu veux vivre encore un peu ? Ou je vais devoir vous tuer un par un, comme j'ai déjà massacré tous les autres corniauds, là-dehors ?"

Recroquevillé autour de la précieuse sphère dans son havresac, serrant les dents de peur et de rage, Andréas ne lâchait pas un son. "Bon tu te dépêches ? File-moi la boule !" appelait la voix d'Urgrand, de plus en plus tendue et amplifiée par le couloir voûté, 5 mètres plus bas. "J'ai pas que ça à foutre, non plus ! Donne-moi la putain de boule ou je vais tout péter dans cette tour de merde ! Ça suffit maintenant !" Le chroniqueur ne put retenir un gémissement lorsque Urgrand entreprit de soulever la herse, dont le cadre heurta bientôt le madrier servant de loquet, et retomba avec un bruit sourd. "Han...ah la vacherie, c'est lourd... Allez, là j'en ai marre ! (un grand coup dans la herse fit tinter les pierres de la tour : blang !) Ouvre-moi, avorton de pute ! (blang ! blang !) Ouvre-moi, sale merdeux ! (blang !) Ouvre-moi ou je te jure que je vais t'arracher les yeux (blang !) pour te les faire bouffer ! (blang !)" Un cri de rage, de nouveaux coups, un craquement de bois quand le sorcier passa ses nerfs sur les débris du portail... et puis plus rien.

Silence

Eldan grimpait agilement, toujours au trot : il coupa par le lit d'un ruisseau, escalada l'autre versant et ralentit prudemment en arrivant au dernier bosquet avant le glacis. Il n'entendait plus de cri ni aucune sorte de bruit et ne voyait rien d'autre en bas de la tour que le portail béant, mais il commença par se rapprocher de la falaise par le nord-est, restant à la lisière des sapins afin de vérifier qu'aucune menace ne restait tapie dans l'ombre de la crête rocheuse. C'est ainsi qu'il trébucha soudain sur les jambes brisées d'un templier, assis, cloué par sa propre lance au fût d'un sapin, les mains broyées et sanglantes, respirant à peine. L'éclaireur croisa son regard suppliant et, après avoir vérifié qu'ils étaient bien seuls, pris appui sur le tronc pour extraire la lance, coucher doucement le templier sur le flanc et panser brièvement sa blessure à l'abdomen, la seule pour laquelle il put quelque chose :

"Ss...cier.
_Du calme, ça va aller. Où est-il ?
_...t...our...
_Il faut que j'aille voir ce qui se passe, mais je vais revenir.
_Hhg...hh..
_Tenez bon, je reviendrai vous chercher."

Il s'éloigna alors d'un pas souple, longea la falaise par l'est, atteignit la tour, rasa le mur silencieusement et, très prudemment, jeta un œil par le portail défoncé : personne. Il s'avança jusqu'à la herse toujours baissée, nota les traces de coups marquées dans le bois et le métal, voulu la secouer pour vérifier sa solidité et ne parvint pas à la faire broncher d'un millimètre. Il ressortit, vérifia encore les alentours et revint pour appeler :
"Hoho !? C'est Eldan ! Tout le monde va bien ? Youhou ? Qu'est-ce qui a enfoncé le portail ? Totor ?"
Après un instant, la trappe de l'assommoir s'ouvrit, Andréas vérifia qu'il avait bien affaire au Moineau et répondit :
"Urgrand nous est tombé dessus, et il a attaqué la tour. Je... je crois qu'il a tué... tous les autres.
_J'ai trouvé les templiers mais pas... attends : quelqu'un arrive."
Collé au mur, l'épée au clair, l'éclaireur passa la tête à l'extérieur et vit Totor descendre la colline boisée en portant un corps inanimé, Neri'Helin le menant doucement par la main et Vighnu penché sur quelque chose d'indiscernable dans la pente (le corps de l'autre templier).

Quand ils furent certains qu'Urgrand était parti et tous rassemblés dans la tour, Eldan, Neri'Helin et Totor retournèrent chercher le templier agonisant pendant qu'on installait Gavin sur une table au premier étage : le Fehnri avait fait de son mieux pour maintenir l'écuyer en vie jusque là, mais ils allaient maintenant devoir opérer pour tenter de le sauver. Andréas et lui se répartirent les tâches, Eldan étant aussitôt promu infirmier. Un travail dont il s'acquitta avec excellence, faisant bouillir de l'eau et des linges, passant les bons instruments et les bons onguents aux bons moments. Les deux "toubibs" s'affairaient ensemble, l'assassin-apothicaire formé à la chirurgie et le mage-herboriste-médecin se complétant fort bien, et après une longue et sanglante opération, ils bandèrent la plaie et se penchèrent sur le cas du templier. Les jambes étaient fracturées en trop d'endroits pour les sauver, et les deux médecins s'accordèrent pour amputer, mais purent sauver la vie du cul de jatte. Après des heures d'opérations, rompus de fatigue, ils s'assirent finalement avec Eldan dans la lumière jaune que l'aube poussait par les meurtrières : les deux patients vivraient.

"La vache... Quelle nuit !
_J'ai bien cru y rester.
_J'suis désolé d'avoir laissé l'autre Sylvain s'enfuir...
_Écoute, on est vivants : si comme nous t'avais vu ce qui reste du Grêlé, ça te suffirait.
_Ah... il est vraiment mort ?
_Très.
_Désolé, Messire le Moineau.
_Ben... il était pas sympa, mais on est plus bien nombreux de notre patrouille... J'ai ramené la cape au fait, mais elle marche plus. Y a une espèce de treillis de métal, dedans, mais j'ai cassé le fermoir et...
_Donne-moi ça, j'y jetterais un œil plus tard. Dîtes-donc, Eldan, allez donc éteindre le phare s'il-vous-plait, là-haut : je ne crois pas que ça serve de le laisser brûler toute la journée."
Et quand l'éclaireur fut parti, Vighnu demanda : "J'ai rien compris : qu'est-ce qu'il te voulait l'autre malade ?
_Je crois qu'il voulait la sphère de Langard. Je suppose que son tueur et lui trainaient exprès ici, sachant que si une espèce de fantôme inquiétait la mine, on m'enverrait forcément enquêter et que j'aurais la sphère avec moi. Il nous a donc attendus...
_Et piégés, séparés... et massacrés. Je ne sais pas encore quand ni comment, mais il faudra trouver un moyen de l'éliminer, ce fumier-là. Qu'est-ce qu'il peut en faire, de cette boule ?
_Des tas de choses ! Elle démultiplie la portée des sorts, déjà, et à mon avis c'est ce qui l'intéressait : avec elle, il pensait pouvoir accéder magiquement au sarcophage et peut-être soigner les blessures qu'il conserve de l'effondrement de la falaise.
_Mais... il est plus là, le sarcophage, non ?
_Non, il est parti hier avec les Muraille. Mais je ne crois pas qu'il l'ait compris avant de m'avoir poursuivi ici. Peut-être qu'il a gouté l'eau qui s'écoule vers la chapelle, peut-être qu'une fois calmé il a pensé être maintenant assez près, tenté de repérer l'artefact juste "senti" qu'il n'était plus là... Alors il est parti.
_Merde ! Mais alors les Muraille et leur chariot...
_Ils devaient déjà être à Tal Endhil quand Urgrand nous est tombés dessus. C'est à une journée de marche, ils ont un jour d'avance : c'est pas en courant derrière eux qu'on pourra quoi que ce soit. Allumer le feu d'alerte a du suffire : notre fier Capitaine doit être aux aguets, il les protégera.
_Et tu dis qu'il était blessé, là ?
_Oh oui : il boitait, il avait le visage un peu "tordu" et puis il y avait sa main, toute disloquée et couverte de poils...
_Oui, oui, j'ai vu : brrrr. Mais putain, qu'est-ce que ce sera s'il nous tombe dessus en pleine forme !
_C'est bien le problème : on le reverra.
_Il t'a dit ça ?
_Non mais s'il avait pu se soigner seul, par la Porte-sous-la-Montagne ou ailleurs, il l'aurait déjà fait : si la seule solution qui lui reste c'est le sarcophage, il n'abandonnera pas de sitôt."

Epilogue

Le lendemain soir, Eldan, Andréas, Vignu et Neri'Helin atteignirent le village avec le corps des templiers et du Grêlé attachés sur une mule, Totor portant toujours Gavin. Ils firent leur rapport au Capitaine, présentèrent la cape ("À première vue, on dirait qu'elle utilise une maille de fils d'argent pour transmettre l'énergie du porteur vers l'extérieur, et activer le sortilège d'occultation inscrit dans le fermoir. _Et on peut la réparer ? _Je n'en sais rien, je suppose qu'il faudrait plus qu'un orfèvre..."), furent tous rassurés sur le sort du sarcophage ("C'est réglé, je ne veux plus un mot à ce sujet.") et envoyés se reposer avec ses remerciements. Après leur départ, Durgaut s'installa au parapet du donjon et soupira : la Fouille alité pour des semaines, le Grêlé mort d'horrible manière, deux templiers perdus... en comptant ceux que le commandeur Bagoran de Marale avait laisser pour protéger l'abbé Dolomire, la démission de Nevel Sholdanan et les six mercenaires expédiés à Aroche, il lui restait 12 hommes pour défendre le village d'un sorcier psychotique et d'un truand revanchard, mener ses projets et tenir la Passe de Nilfenan selon le traité conclu avec les Emishen : en attendant que Bahardabras reviennent avec des mercenaires hornois, les prochaines semaines allaient lui sembler longues...


<< Épisode Précédent | Épisode Suivant >>

<= retour à la LISTE des ÉPISODES