La piste vers Celanire : Différence entre versions

De Marches du Nord
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Durant la huitaine 8 ("passante des Semailles"), '''[[Lel'Liamil le Maquignon]]''' a monté une petite expédition à destination de [[Celanire]] pour y échanger des peaux et les quelques dizaines de "rondelles" qu'il a pu rassembler contre les semences nécessaires aux nouvelles cultures en cours de défrichage au sud-est de [[Tal Endhil]].
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Durant la [[huitaine 8]] ("passante des Semailles"), '''[[Lel'Liamil le Maquignon]]''' a monté une petite expédition à destination de '''[[Celanire]]''' pour y échanger des peaux et les quelques dizaines de "rondelles" qu'il a pu rassembler contre les semences nécessaires aux nouvelles cultures en cours de défrichage au sud-est de [[Tal Endhil]].
 
Si c'était pour notre aventureux marchand et ses compagnons [[lewyllen]] l'occasion de reconnaître une possible [[Routes commerciales|voie commerciale]] parallèle à la route des [[Dirsen]], plus longue (6-7 jours) et dernièrement frappée par des attaques de brigands, ce fut avant tout un rude voyage à travers les [[Monts d'Azur]].
 
Si c'était pour notre aventureux marchand et ses compagnons [[lewyllen]] l'occasion de reconnaître une possible [[Routes commerciales|voie commerciale]] parallèle à la route des [[Dirsen]], plus longue (6-7 jours) et dernièrement frappée par des attaques de brigands, ce fut avant tout un rude voyage à travers les [[Monts d'Azur]].
  
 
Nous vous le racontons ici pour illustrer ce que représente '''une expédition en montagne dans ces contrées sauvages''' (et quelques éléments de [[:Catégorie:Culture Emishen|culture emishen]])...
 
Nous vous le racontons ici pour illustrer ce que représente '''une expédition en montagne dans ces contrées sauvages''' (et quelques éléments de [[:Catégorie:Culture Emishen|culture emishen]])...
  
==== Prologue ====
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=== Prologue ===
Monté au '''[[Cercle des Cascades]]''' avec quelques camarades lewyllen (dont son fidèle éclaireur [[Sifenen Arlan]] et le guerrier Nael'Dharam),[[Virgile de Narcejane]] et le maquignon reman [[Tardil de Bedlam]] -membre de [[Guilde Franche de Tal Endhil|la Guilde]]- (qui compte acheter à Celanire un étalon et quelques juments pour relancer son haras pillé par les [[Kormes]] juste avant le [[2) "le Siège"|Siège de Tal Endhil]]), Lel'Liamil y a d'abord fait le tour des cousins de l'[[Aile du Silond]] pour ramasser assez de monnaie impériale pour ses achats.
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Monté au '''[[Cercle des Cascades]]''' avec quelques camarades lewyllen (dont son fidèle éclaireur [[Sifenen Arlan]] et le guerrier [[Nael'Dharam]]), [[Virgile de Narcejane]] et le maquignon reman [[Tardil de Bedlam]] -membre de [[Guilde Franche de Tal Endhil|la Guilde]]- (qui compte acheter à Celanire un étalon et quelques juments pour relancer son haras pillé par les [[Kormes]] juste avant le [[2) "Le Siège"|Siège de Tal Endhil]]), Lel'Liamil y a d'abord fait le tour des cousins de l'[[Aile du Silond]] pour ramasser assez de monnaie impériale pour ses achats.<br>
 
Le premier, sur place, fut une pleine charrette de céréales locales que les colons de la vallée ont accepté de mettre en culture "des fois que ça prenne bien".
 
Le premier, sur place, fut une pleine charrette de céréales locales que les colons de la vallée ont accepté de mettre en culture "des fois que ça prenne bien".
  
Notre entreprenant négociant en profite d'ailleurs pour acheter les quelques peaux et fourrures qui n'ont pas encore été raflées par les camarades partis pour [[Aroche]], sachant qu'il devrait en tirer un bénéfice substantiel une fois rendu à [[Celanire]].
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Notre entreprenant négociant en profite d'ailleurs pour acheter les quelques peaux et fourrures qui n'ont pas encore été raflées par les camarades partis pour [[Aroche]], sachant qu'il devrait en tirer un bénéfice substantiel une fois rendu à [[Celanire]].<br>
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Après quelques jours de tractations, Lel'Liamil avait rassemblé ses marchandises, une petite escorte montée, des chariots hauts sur roues tirés par des [[bœufs laineux]] et dégotté un bon guide sur les conseils de Virgile (qui connaît décidément tout le monde, dans le secteur)...
  
Après quelques jours de tractations, lele'Liamil avait rassemblé ses marchandises, une petite escorte montée, des chariots hauts sur roues tirés par des bœufs laineux et avait trouvé un bon guide sur les conseils de Virgile...
 
  
==== Premier Jour ====
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== Premier Jour ==
Une fois tous les préparatifs terminés et une charrette de ''"[[veidhin]]"'' envoyée vers Tal Endhil, à l'aube d'[[Calendrier|Eled passant des Semailles]], ton petit convoi s'est mis en route vers le '''Col Algide''' avec ses deux autres chariots, ta paire de Dirsen enthousiastes, tes cochers lewyllen et votre escorte de 5 cavaliers menée par la quadragénaire [[tallalnen]] "'''Yehandael'''".
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Une fois tous les préparatifs terminés et une charrette de ''"[[veidhin]]"'' envoyée vers Tal Endhil, '''à l'aube d'[[Calendrier|Eled passant des Semailles]]''', ton petit convoi s'est mis en route vers le '''Col Algide''' avec ses deux autres chariots, ta paire de Dirsen enthousiastes, tes cochers lewyllen et votre escorte de 5 cavaliers menée par la quadragénaire [[tallalnen]] "'''[[Yehandael]]'''".
  
Avec son nerhil d'acier et la longue balafre qui, sous ses longs cheveux grisonnant, cerne le côté gauche de son visage du menton jusqu'à la tempe, la Tallalnen au tildhan empiécé de cuir a d'avantage l'air d'une guerrière que d'une pisteuse. Elle n'est pas bavarde, non plus : après que Virgile vous l'ai présenté la veille au soir sous la tente d'[[Ethelkaran]] et qu'elle ait confirmé qu'elle connaissant bien la piste, elle est allée se coucher sans même partager le thé.
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Avec son nerhil d'acier et la longue balafre qui, sous ses longs cheveux grisonnant, cerne le côté gauche de son visage du menton jusqu'à la tempe, la Tallalnen au tildhan empiécé de cuir a d'avantage l'air d'une guerrière que d'une pisteuse. Elle n'est pas bavarde, non plus : après que Virgile vous l'ai présenté la veille au soir sous la tente d'[[Ethelkaran]] et qu'elle ait confirmé qu'elle connaissant bien la piste, elle est allée se coucher sans même partager le thé.<br>
 
Réapparue aux aurores, très droite sur son cheval pommelé, elle s'est contenté d'un signe de tête à ton endroit et de quelques mots à Virgile : depuis que les chariots se sont engagés sur la piste sinueuse qui monte du vallon des Cascades vers le sud, elle n'a plus dit 20 mots par jour.
 
Réapparue aux aurores, très droite sur son cheval pommelé, elle s'est contenté d'un signe de tête à ton endroit et de quelques mots à Virgile : depuis que les chariots se sont engagés sur la piste sinueuse qui monte du vallon des Cascades vers le sud, elle n'a plus dit 20 mots par jour.
  
Après la foule et l'ébullition de l'[[Assemblée Tribale]], Lel'Liamil eut une drôle d'impression en regardant le vallon presque déserté depuis les crêtes escarpées que le soleil commençait à éclairer : en contrebas, autour de l'éperon rocheux où se dresse le [[Cercle de Pierres]] et son village de huttes, il ne restait qu'une dizaine de tentes principalement [[Lewyllen]] et [[Liam'Lon]]. Un peu plus à l'est, encore noyé dans l'ombre matinale des montagnes, une douzaine d'[[Elloran]] rebâtissaient la grande halle de chaume qui était l'école de [[Kal Feilan]] avant l'incendie qui déclencha l'[[Opération Tréfonds]] : les débats terminés, peut-être le chaman pourrait-il enfin reprendre son enseignement interrompu depuis plus d'une lune.
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'''Après la foule et l'ébullition de l'[[Assemblée Tribale]]''', Lel'Liamil eut une drôle d'impression en regardant le vallon presque déserté depuis les crêtes escarpées que le soleil commençait à éclairer : en contrebas, autour de l'éperon rocheux où se dresse le [[:Catégorie:Cercle de Pierres|Cercle de Pierres]] et son village de huttes, il ne restait qu'une dizaine de tentes principalement [[Lewyllen]] et [[Liam'Lon]]. Un peu plus à l'est, encore noyé dans l'ombre matinale des montagnes, une douzaine d'[[Elloran]] rebâtissaient la grande halle de chaume qui était l'école de [[Kal Feilan]] avant l'incendie qui déclencha l'[[Opération Tréfonds]] : les débats terminés, peut-être le chaman pourrait-il enfin reprendre son enseignement interrompu depuis plus d'une lune.<br>
 
Mais Yehandael ne ralentit pas la colonne pour te permettre de profiter de la vue et, en queue de ton convoi sur une monture de prêt, tu la suivis comme les autres le long du sentier en lacets qui montait parmi les arbres.
 
Mais Yehandael ne ralentit pas la colonne pour te permettre de profiter de la vue et, en queue de ton convoi sur une monture de prêt, tu la suivis comme les autres le long du sentier en lacets qui montait parmi les arbres.
  
Malgré l'allure soutenue, il vous fallu le reste de la journée pour atteindre le '''Col Algide''' par une piste de corniche étroite, s'élevant bien au-delà de la limite des pins pour longer le versant ouest de la [[Monts d'Azur|Pointe Bleue]], replonger vers la forêt à midi, franchir un torrent rocailleux et remonter bientôt par un raidillon contournant le [[Pic Blanc]] par le sud. Dans l'après-midi, les neiges éternelles prenaient des teintes dorées et les creux des falaises se teintaient de bleu.  
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Malgré l'allure soutenue, '''il vous fallu le reste de la journée pour atteindre le [[Col Algide]]''' par une piste de corniche étroite, s'élevant bien au-delà de la limite des pins pour longer le versant ouest de la [[Monts d'Azur|Pointe Bleue]], replonger vers la forêt à midi, franchir un torrent rocailleux et remonter bientôt par un raidillon contournant le [[Pic Blanc]] par le sud. Dans l'après-midi, les neiges éternelles prenaient des teintes dorées et les creux des falaises se teintaient de bleu. <br>
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Des centaines de mètres plus bas, les hautes vallées déployaient les vertes tendres et foncés des prairies pentues et des forêts encore marbrées de neige, les tâches turquoises des lacs d'altitude et les gris pâles des falaises de granit... Après des semaines dans les vallées, l'air froid et ténu d'altitude te fatiguait presque autant que les Dirsen : si Virgile s'était vite trouvé une place dans un chariot, Tardil de Bedlam s'essoufflait en queue de colonne et le joyeux [[Nael'Dharam]] chevauchait à ses côtés pour l'encourager.
  
Des centaines de mètres plus bas, les hautes vallées déployaient les vertes tendres et foncés des prairies pentues et des forêts encore marbrées de neige, les tâches turquoises des lacs d'altitude et les gris pâles des falaises de granit... Après des semaines dans les vallées, l'air froid et ténu d'altitude te fatiguait presque autant que les Dirsen : si Virgile s'était vite trouvé une place dans un chariot, Tardil de Bedlam s'essoufflait en queue de colonne et le joyeux Nael'Darham chevauchait à ses côtés pour l'encourager.
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[[Fichier:Monts-d'Azur-01.jpg|400px|thumb|right|Les Monts d'Azur, entre les cascades et la Vallée des Cerfs]]
  
[[Fichier:Monts-d'Azur-01.jpg|820px|thumb|Les Monts d'Azur, entre les cascades et la Vallée des Cerfs]]
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'''Le soleil rougeoyait déjà à l'horizon lorsque ta caravane rencontra la [[neige]]''' : d'abord un simple dépôt pâle sur les cailloux du chemin, elle s'épaississait continuellement alors que vous montiez vers le col, étouffant peu à peu tous les autres sons que le chant du [[vent]], éclatant en poudre blanche autour des jambes des chevaux et noyant les roues presque au tiers.<br>
 
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Le soleil rougeoyait déjà à l'horizon lorsque ta caravane rencontra la neige : d'abord un simple dépôt pâle sur les cailloux du chemin, elle s'épaississait continuellement alors que vous montiez vers le col, étouffant peu à peu tous les autres sons que le chant du vent, éclatant en poudre blanche autour des jambes des chevaux et noyant les roues presque au tiers.
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Le vent lançait des flocons dans toutes les directions et Tardil dû finalement, comme tous les piétons, chercher refuge dans les chariots. Si les montures tremblotaient, rien ne semblait ralentir les bœufs laineux : ni la neige, ni le vent bientôt glacé par la nuit tombante, ni les hommes alourdissant leurs attelages. Toujours devant, enroulée dans son [[Objets Emishen#Objets communs|tildhan]] déployé, Yehandael finit par pointer du doigt une petite lueur vacillant contre la pénombre : les feux du camp des [[Frontière de l'Orage#Défense : les Sentinelles de l'Orage|Sentinelles de l'Orage]].
 
Le vent lançait des flocons dans toutes les directions et Tardil dû finalement, comme tous les piétons, chercher refuge dans les chariots. Si les montures tremblotaient, rien ne semblait ralentir les bœufs laineux : ni la neige, ni le vent bientôt glacé par la nuit tombante, ni les hommes alourdissant leurs attelages. Toujours devant, enroulée dans son [[Objets Emishen#Objets communs|tildhan]] déployé, Yehandael finit par pointer du doigt une petite lueur vacillant contre la pénombre : les feux du camp des [[Frontière de l'Orage#Défense : les Sentinelles de l'Orage|Sentinelles de l'Orage]].
  
À la lueur des feux établis par les gardes-frontière et qui tremblent follement sous le vent, le campement se résume à 3 petites yourtes reliées par un paravent de bois et de cuir conçu pour protéger leurs deux chevaux maigrichons, mais qui évoque d'avantage une maigre palissade oblique. Quelques pieux de bois installés en chevaux de frise complète le dispositif dans la partie la plus étroite du col.
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'''À la lueur des feux établis par les gardes-frontière''' et qui tremblent follement sous le vent, le campement se résume à 3 petites yourtes reliées par un paravent de bois et de cuir conçu pour protéger leurs deux chevaux maigrichons, mais qui évoque d'avantage une maigre palissade oblique. Quelques pieux de bois installés en chevaux de frise complète le dispositif dans la partie la plus étroite du col.<br>
À l'approche de votre convoi, 3 jeunes gens s'approchent, congelés malgré les fourrures qui couvrent leurs épaules par-dessus le tildhan, bientôt rejoint par une demi-douzaine d'autres :  
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À l'approche de votre convoi, 3 jeunes gens s'approchent, congelés malgré les fourrures qui couvrent leurs épaules par-dessus le tildhan, bientôt rejoint par une demi-douzaine d'autres : <br>
 
''"Bonsoir ! Hé les gars, c'est des Lewyllen ! Des marchands ? Bienvenue ! Vous avez du petit bois ? Salut ! Vous vendez du pain ? De la farine ? Bonsoir ! Vous vendez du thé ? Vous avez de la tourbe pour le feu ? Du fourrage, vous avez du fourrage ?"''
 
''"Bonsoir ! Hé les gars, c'est des Lewyllen ! Des marchands ? Bienvenue ! Vous avez du petit bois ? Salut ! Vous vendez du pain ? De la farine ? Bonsoir ! Vous vendez du thé ? Vous avez de la tourbe pour le feu ? Du fourrage, vous avez du fourrage ?"''
  
Le temps de monter vos propres yourtes et de compléter le paravent par vos chariots, vous voilà rapidement assis sous le plus grand dôme (le vôtre), allumant un petit feu de tourbe pour faire réchauffer vos provisions de voyage que les Sentinelles lorgnent avec envie. Quoique cela grève vos réserves, impossible de ne pas partager.
 
Pour la plupart armés de bric et de broc, insuffisamment couverts pour les rigueurs de l'altitude, les jeunes guerriers semblent faire "contre mauvaise fortune bon cœur" même si quelques tensions semblent planer entre eux (de la longue expérience de Lel'Liamil, on dirait bien que plusieurs s'emmêlent un peu dans leurs tresses sociales : en même temps, quand on coince une bande jeunes dans la montagne, faut bien qu'ils se réchauffent...).
 
Ils sont en tous cas très contents de voir du monde : la "responsable" du poste de garde, une chasseuse Liam'Lon presque trentenaire nommée ''''Nil Sholenshen''' ("Levée avant l'aube"), vous confirme bientôt que sa "garderie" (la pique est d'elle) n'a quasiment vu passer personne depuis que les derniers bellicistes Tallalnen s'en sont allés rejoindre [[Alon Sorhan]] il y a presque deux huitaines. Le dernier ravitaillement remonte à 6 jours : un seul cavalier est monté jusqu'à eux avec un peu de tourbe et quelques vivres.
 
  
Pour tenir le coup, 'Nil Sholenshen envoie chaque jour la moitié des jeunes fourrager plus bas dans la vallée : ils ramènent des silex et de branches droites pour faire des pointes de flèches, du salsifis sauvage, des herbes pour épaissir la soupe ou parfois un lapin ou une marmotte. Maintenant qu'ils ont complètement ratissé les maigres réserves des crêtes, ils envisagent de monter une petite expédition de chasse : descendre en forêt à 3 ou 4 pour un ou deux jours avec les chevaux, et tâcher de ramener du gibier un peu conséquent.
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'''Le temps de monter vos propres yourtes et de compléter le paravent par vos chariots, vous voilà rapidement assis sous le plus grand dôme''' (le vôtre), allumant un petit feu de tourbe pour faire réchauffer vos provisions de voyage que les Sentinelles lorgnent avec envie. Quoique cela grève vos réserves, impossible de ne pas partager.<br>
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Pour la plupart armés de bric et de broc, insuffisamment couverts pour les rigueurs de l'altitude, les jeunes guerriers semblent faire "contre mauvaise fortune bon cœur" même si quelques tensions semblent planer entre eux (de la longue expérience de Lel'Liamil, on dirait bien que plusieurs s'emmêlent un peu dans leurs tresses sociales : en même temps, quand on coince une bande jeunes dans la montagne, faut bien qu'ils se réchauffent...).<br>
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Ils sont en tous cas très contents de voir du monde : la "responsable" du poste de garde, une chasseuse [[Liam'Lon]] presque trentenaire nommée '''[[Nil Sholenshen]]''' ("Levée avant l'aube"), vous confirme bientôt que sa "garderie" (la pique est d'elle) n'a quasiment vu passer personne depuis que les derniers bellicistes [[Tallalnen]] s'en sont allés rejoindre [[Alon Sorhan]] il y a presque deux huitaines. Le dernier ravitaillement remonte à 6 jours : un seul cavalier est monté jusqu'à eux avec un peu de tourbe et quelques vivres.
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Pour tenir le coup, Nil Sholenshen envoie chaque jour la moitié des jeunes fourrager plus bas dans la vallée : ils ramènent des silex et de branches droites pour faire des pointes de flèches, du salsifis sauvage, des herbes pour épaissir la soupe ou parfois un lapin ou une marmotte. Maintenant qu'ils ont complètement ratissé les maigres réserves des crêtes, ils envisagent de monter une petite expédition de chasse : descendre en forêt à 3 ou 4 pour un ou deux jours avec les chevaux, et tâcher de ramener du gibier un peu conséquent.<br>
 
Évidemment, ça impliquerait que la chasseresse y aille aussi (à une altitude aussi pauvre, dans une vallée où les Elloran ont traqué comme des malades pour nourrir l'Assemblée, prendre quelque chose devient un boulot de spécialiste) et elle hésite à laisser le poste de garde aux mains d'une poignée de mômes qui n'ont jamais combattu ensemble...
 
Évidemment, ça impliquerait que la chasseresse y aille aussi (à une altitude aussi pauvre, dans une vallée où les Elloran ont traqué comme des malades pour nourrir l'Assemblée, prendre quelque chose devient un boulot de spécialiste) et elle hésite à laisser le poste de garde aux mains d'une poignée de mômes qui n'ont jamais combattu ensemble...
  
''« 'Tain, c'est triste.
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''« 'Tain, c'est triste.''<br>
Arrête moi si je me trompe : je peux rien faire pour eux, a part à la limite leur laisser un peu de provisions, qui me manqueront sur le route?
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''Arrête moi si je me trompe : je peux rien faire pour eux, a part à la limite leur laisser un peu de provisions, qui me manqueront sur le route ?''<br>
 
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_Tu peux leur laisser des vivres si tu veux, mais oui elles vont vous manquer :<br>
_Tu peux leur laisser des vivres si tu veux, mais oui elles vont vous manquer :
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ils sont une dizaine, vous êtes 12, si vous leur laisser une bonne journée de bouffe, vous perdez une journée de bouffe (en gros). Par contre, vous, vous pouvez vous refaire dans les vallée : eux sont coincés là.<br>
ils sont une dizaine, vous êtes 12, si vous leur laisser une bonne journée de bouffe, vous perdez une journée de bouffe (en gros). Par contre, vous, vous pouvez vous refaire dans les vallée : eux sont coincés là.
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Si tu peux les ravitailler un peu au retour (ne serait-ce qu'en bois sec : je sais pas si t'imagines la galère pour se chauffer quand y a pas un arbre à des km), en tous cas, tu seras leur bienfaiteur.
Si tu peux les re-ravitailler un peu au retour (ne serait-ce qu'en bois sec : je sais pas si t'imagines la galère pour se chauffer quand y a pas un arbre à des km), en tous cas, tu seras leur bienfaiteur.
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_On leur laisse une journée de bouffe et du combustible :). La Tallalnen se déride un peu au diner ?
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► ''On leur laisse une journée de bouffe et du combustible :). La Tallalnen se déride un peu au diner ?'' <br>
 
_Un peu : Yehandael semble mieux s'entendre avec les Liam'Lon et les autres Tallalnen qu'avec votre bande de Lewyllen (et de Dirsen), mais elle n'est pas très causante pour autant. Ça se remarque d'autant plus qu'en laissant une journée de bouffe et de tourbe à la marmaille, vous avez droit à des vivats et à des chansons une bonne partie de la soirée. Hé ben Yehandael sourit à peine.
 
_Un peu : Yehandael semble mieux s'entendre avec les Liam'Lon et les autres Tallalnen qu'avec votre bande de Lewyllen (et de Dirsen), mais elle n'est pas très causante pour autant. Ça se remarque d'autant plus qu'en laissant une journée de bouffe et de tourbe à la marmaille, vous avez droit à des vivats et à des chansons une bonne partie de la soirée. Hé ben Yehandael sourit à peine.
  
Alors que tu allais enfin trouver le sommeil parmi tes caravaniers épuisés, 'Nil Sholenshen vient te trouver pour te confier une requête : elle a en sa possession près de 30 lunes gagnées auprès de ton ami "[[Adira Pratesh|Mesh-Mesh]]" en vendant des peaux (c'est aussi elle qui a fourni les fourrures qui équipent les jeunes, apparemment) et voudrait savoir si, pour cette somme, tu pourrais acheter quelques des vivres supplémentaires à Celanire : de quoi faire du thé et du gruau, de la viande séchée, ce genre de choses. Et si en plus tu pouvais leur remonter du petit bois (ou carrément du charbon) de la vallée, elle t'en serait extrêmement reconnaissante.
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'''Alors que tu allais enfin trouver le sommeil''' parmi tes caravaniers épuisés, 'Nil Sholenshen vient te trouver pour te confier une requête : elle a en sa possession près de 30 lunes gagnées auprès de ton ami "[[Adira Pratesh|Mesh-Mesh]]" en vendant des peaux (c'est aussi elle qui a fourni les fourrures qui équipent les jeunes, apparemment) et voudrait savoir si, pour cette somme, tu pourrais acheter quelques vivres supplémentaires à Celanire : de quoi faire du thé et du gruau, de la viande séchée, ce genre de choses. Et si en plus tu pouvais leur remonter du petit bois (ou carrément du charbon) de la vallée, elle t'en serait extrêmement reconnaissante.<br>
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► ''Lel'liamil lui explique qu'il le fera avec plaisir, et que ça fait une sacrée somme [NdMJ : de quoi acheter un mois de vivres pour le camp].»''
  
_Lel'liamil lui explique qu'il le fera avec plaisir, et que ça fait une sacrée somme ''[NdMJ : de quoi acheter un mois de vivres pour le camp]''.»''
 
  
==== Deuxième Jour ====
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== Deuxième Jour ==
  
Il semblait à Lel'Liamil goûter un repos bien mérité depuis quelques heures à peine lorsque une main virile lui secoue l'épaule : c'est le joyeux Nael'Darahm qui lui signale que l'aurore se lève et que la meneuse Yehandael est déjà à cheval à préparer le convoi au chemin à venir, qui promet d'être sportif...
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Il semblait à Lel'Liamil goûter un repos bien mérité depuis quelques heures à peine lorsque une main virile lui secoue l'épaule : c'est le joyeux Nael'Dharam qui lui signale que l'aurore se lève et que la meneuse Yehandael est déjà à cheval à préparer le convoi au chemin à venir, qui promet d'être sportif...<br>
Le temps d'avaler un peu de thé et de gruau d'avoine, de dire au-revoir aux jeunes gens qui vous souhaitent bonne chance et tu t'assoies dans un chariot avec Virgile et Tardil de Bedlam (qui eux aussi trouve que la nuit a été courte) pour monter le Col Algide, entièrement enneigé.
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Le temps d'avaler un peu de thé et de gruau d'avoine, de dire au-revoir aux jeunes gens qui vous souhaitent bonne chance et tu t'assoies dans un chariot avec Virgile et Tardil de Bedlam (qui eux aussi trouve que la nuit a été courte) pour monter le [[Col Algide]], entièrement enneigé.
  
Lorsque la poudreuse tombée durant la nuit menace de monter plus haut que les essieux, votre guide fait atteler les chevaux des cavaliers d'escorte en avant de chaque chariot, de façon à ce qu'il puisse participer à les tracter. Et ce n'est pas du luxe, parce qu'on patine bientôt dans plus d'un mètre de neige et de glace. À cette altitude, il ne reste que du blanc à perte de vue, un peu de gris et de brun lorsqu'une façade rocheuse émerge de la neige et le bleu du ciel, puisqu'il fait grand beau. Mais la guide Tallalnen ne semble (décidément) pas s'en réjouir : si la "chaleur" augmente trop avant midi, certaines strates de neige risquent de fondre au point de devenir instables et de provoquer des avalanches.
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'''Lorsque la poudreuse tombée durant la nuit menace de monter plus haut que les essieux''', votre guide fait atteler les chevaux des cavaliers d'escorte en avant de chaque chariot, de façon à ce qu'il puisse participer à les tracter. Et ce n'est pas du luxe, parce qu'on patine bientôt dans plus d'un mètre de neige et de glace. À cette altitude, il ne reste que du blanc à perte de vue, un peu de gris et de brun lorsqu'une façade rocheuse émerge de la neige et le bleu du ciel, puisqu'il fait grand beau. Mais la guide Tallalnen ne semble (décidément) pas s'en réjouir : si la "chaleur" augmente trop avant midi, certaines strates de neige risquent de fondre au point de devenir instables et de provoquer des avalanches.<br>
 
Et c'est avec cette pensée moins que joyeuse que les chariots, glissant plus qu'ils ne roulent à la suite de leurs bœufs laineux et de leurs cavaliers déjà à moitié essoufflés par l'air trop léger, franchissent bientôt l'épaulement du col pour s'engager dans le défilé étroit, encore couvert de l'ombre des montagnes, qui redescend maintenant vers la vallée.
 
Et c'est avec cette pensée moins que joyeuse que les chariots, glissant plus qu'ils ne roulent à la suite de leurs bœufs laineux et de leurs cavaliers déjà à moitié essoufflés par l'air trop léger, franchissent bientôt l'épaulement du col pour s'engager dans le défilé étroit, encore couvert de l'ombre des montagnes, qui redescend maintenant vers la vallée.
  
Alors que vos deux chariots viennent de franchir un torrent glacé (qui deviendra la Rivière aux Élans quelques dizaines de lieues plus bas) dans une série d'à-coups laborieux, le soleil monte du sud-est pour illuminer le haut vallon enneigé : les versants se mettent à chatoyer de multiples reflets bleus, jaunes ou rosés et, alors que les deux Dirsen lâchent quelques remarques admiratives, même la Tallalnen semble se dérider un peu. Le spectacle est encore rehaussé par les multiples gouttelettes brillantes qui tombent des parois avec un crépitement de pluie qui incite régulièrement les voyageurs à lever des regards circonspects vers le ciel pourtant immaculé, où même le Pic Cyan semble se fondre à l'ouest.
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Alors que vos deux chariots viennent de franchir un torrent glacé (qui deviendra la [[Rivière aux Élans]] quelques dizaines de lieues plus bas) dans une série d'à-coups laborieux, le soleil monte du sud-est pour illuminer le haut vallon enneigé : les versants se mettent à chatoyer de multiples reflets bleus, jaunes ou rosés et, alors que les deux Dirsen lâchent quelques remarques admiratives, même la Tallalnen semble se dérider un peu. Le spectacle est encore rehaussé par les multiples gouttelettes brillantes qui tombent des parois avec un crépitement de pluie qui incite régulièrement les voyageurs à lever des regards circonspects vers le ciel pourtant immaculé, où même le '''[[Monts d'Azur#2) le Pic Cyan|Pic Cyan]]''' semble se fondre à l'ouest.
  
On s'engage alors sur un raidillon pierreux à flanc de coteau, où les bêtes peinent au point que les voyageurs descendent de selle ou des chariots pour les aider à tirer. Ce qui leur demande déjà d'assurer leurs propres appuis dans la pente, de plus en plus raide et souvent verglacée : la neige, en masquant les glacis traîtres et les rocailles instables, rend l'opération d'autant plus hasardeuse et l'on dérape parfois méchamment. C'est encore plus inquiétant quand un des chariots redescend brusquement d'un bon mètre ou qu'une roue verse franchement dans le vide, menaçant d'entraîner à sa suite tout l'attelage, les hommes et les chevaux qui y sont arnachés.
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Virgile de Narcejane traîne en queue de cortège avec son bâton de marche et, bientôt, Tardil de Bedlam échappe de peu à une chute qui, si un Lewyllen ne l'avait pas rattrapé au dernier moment, se serait transformée en roulade mortelle vers le bas du vallon. Se retenant désormais à la caisse du second chariot plus qu'il ne la pousse, le maquignon contemple le chemin relativement court parcouru depuis le col, nettement visible à quelques lieues au nord-ouest, et confirme que non, jamais il n'essaiera de passer un troupeau par là. Toi-même tu commences à te rappeler pourquoi tu avais voulu te sédentariser à Tal Endhil : tu deviens trop vieux pour ces conneries.
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'''On s'engage alors sur un raidillon pierreux à flanc de coteau''', où les bêtes peinent au point que les voyageurs descendent de selle ou des chariots pour les aider à tirer. Ce qui leur demande déjà d'assurer leurs propres appuis dans la pente, de plus en plus raide et souvent verglacée : la neige, en masquant les glacis traîtres et les rocailles instables, rend l'opération d'autant plus hasardeuse et l'on dérape parfois méchamment. C'est encore plus inquiétant quand un des chariots redescend brusquement d'un bon mètre ou qu'une roue verse franchement dans le vide, menaçant d'entraîner à sa suite tout l'attelage, les hommes et les chevaux qui y sont arnachés.<br>
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Virgile de Narcejane traîne en queue de cortège avec son bâton de marche et, bientôt, Tardil de Bedlam échappe de peu à une chute qui, si un Lewyllen ne l'avait pas rattrapé au dernier moment, se serait transformée en roulade mortelle vers le bas du vallon. Se retenant désormais à la caisse du second chariot plus qu'il ne la pousse, le maquignon contemple le chemin relativement court parcouru depuis le col, nettement visible à quelques lieues au nord-ouest, et confirme que non, jamais il n'essaiera de passer un troupeau par là. <br>
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Toi-même tu commences à te rappeler pourquoi tu avais voulu te sédentariser à Tal Endhil : tu deviens trop vieux pour ces conneries.
  
 
C'est donc avec les mains écorchées par l'escalade, le souffle pénible et les jambes marquées par la roche que votre douzaine d'aventureux atteint finalement la crête décapée par le vent. Ainsi perchés en plein ciel, serrés autour des bêtes et des chariots qui occupe presque à eux seuls l'étroite plateforme rocheuse où un peu de neige s'accroche, c'est entre vertige et satisfaction que vous accueillez un moment de répit pour contempler la majestueuse vallée de [[Mael Mindh]] qui s'étale presque 2000m plus bas.
 
C'est donc avec les mains écorchées par l'escalade, le souffle pénible et les jambes marquées par la roche que votre douzaine d'aventureux atteint finalement la crête décapée par le vent. Ainsi perchés en plein ciel, serrés autour des bêtes et des chariots qui occupe presque à eux seuls l'étroite plateforme rocheuse où un peu de neige s'accroche, c'est entre vertige et satisfaction que vous accueillez un moment de répit pour contempler la majestueuse vallée de [[Mael Mindh]] qui s'étale presque 2000m plus bas.
  
''"Mais... où est la piste ?"'' fini par demander Virgile d'un air inquiet, après avoir longuement observer les crêtes déchiquetées qui dévalent la montagne en saccades aiguës. Yehandael, toujours plus courtoise avec "Mange-Cailloux" qu'avec quiconque, s'approche alors de l'érudit et tend le bras vers l'est : ''"Tu vois la petite corniche enneigée le long du versant sud ? On l’attrape par le pierrier là-bas, on la suit sur environs 1500 pas et... _Mais elle est coupée à plusieurs endroits ! _C'est pour ça qu'on a emmené des rondins : pour franchir les creux avec les chariots. Et donc 1500 pas plus loin, on remonte pour prendre une seconde corniche, on change une première fois de versant : là, pendant une petite lieue, il y a une piste assez large pour marcher à côté des chariots et qui mène à un pont de cordes. Un peu après on rechange de côté pour suivre le lit d'un torrent et... Ben quoi ? Pourquoi tu fais la gueule ?"''
 
Les deux Dirsen échangent un regard livide et tu croises toi-même les yeux écarquillés de Sifenen Arlan.
 
''"Non mais c'est bon, annonce gaiement Nael'Darham : je l'ai déjà fait dans l'autre sens avec plus de neige et, franchement, si on fait gaffe, ça passe hein... _Mais... tu l'a déjà fait avec des chariots, demande alors ton fidèle éclaireur ? _Ah ben non, pas quand y avait encore de la neige sur les parois. Faudrait être un peu con. _Ça va nous faire une belle épitaphe, dîtes-donc. _Ne t'inquiète pas Mange-Cailloux : '''c'est vraiment dangereux que quand 'y a du vent'''."''
 
  
Complètement décoiffés par les rafales qui font claquer la toile des chariots, les deux Dirsen ont soudain l'air très inquiets...
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[[Fichier:Monts-d'Azur-02.jpg|400px|right]] '''"Mais... où est la piste ?"''' finit par demander Virgile d'un air inquiet, après avoir longuement observer les crêtes déchiquetées qui dévalent la montagne en saccades aiguës. Yehandael, toujours plus courtoise avec "Mange-Cailloux" qu'avec quiconque, s'approche alors de l'érudit et tend le bras vers l'est : ''"Tu vois la petite corniche enneigée le long du versant sud ? On l’attrape par le pierrier là-bas, on la suit sur environs 1500 pas et... <br>
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_Mais elle est coupée à plusieurs endroits ! <br>
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_C'est pour ça qu'on a emmené des rondins : pour franchir les creux avec les chariots. Et donc 1500 pas plus loin, on remonte pour prendre une seconde corniche, on change une première fois de versant : là, pendant une petite lieue, il y a une piste assez large pour marcher à côté des chariots et qui mène à un pont de cordes. Un peu après on rechange de côté pour suivre le lit d'un torrent et... Ben quoi ? Pourquoi tu fais la gueule ?"''<br>
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Les deux Dirsen échangent un regard livide et tu croises toi-même les yeux écarquillés de Sifenen Arlan.<br>
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''"Non mais c'est bon, annonce gaiement Nael'Darham : je l'ai déjà fait dans l'autre sens avec plus de neige et, franchement, si on fait gaffe, ça passe hein... <br>
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_Mais... tu l'a déjà fait avec des chariots, demande alors ton fidèle éclaireur ? <br>
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_Ah ben non, pas quand y avait encore de la neige sur les parois. Faudrait être un peu con.<br>
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_Ça va nous faire une belle épitaphe, dîtes-donc.<br>
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_Ne t'inquiète pas Mange-Cailloux : '''c'est vraiment dangereux que quand 'y a du vent'''."''<br>
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Complètement décoiffés par les rafales qui font claquer la toile des chariots, les deux [[Dirsen]] ont soudain l'air très inquiets...
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'''Le milieu de matinée est déjà largement dépassé et la pause est donc de courte durée :''' c'est le segment du chemin où vous ne pouvez pas vous permettre d'être surpris par la nuit ou les intempéries. Aussi, après avoir étudié le ciel avec Sifenen Arlan, Yehandael décide qu'il est temps d'y aller et interromps Nael'Darham qui voulait préparer du thé.
  
[[Fichier:Monts-d'Azur-02.jpg|820px]]
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Pour atteindre la première corniche, surplombant un à-pic de presque 200m qui se mue ensuite en une pente à peine moins vertigineuse, la guide fait atteler 3 chevaux (qui n'ont pas l'air d'en mener très large non plus) à l'arrière du premier chariot, pendant qu'on en retire tout le matériel, les vivres et marchandises. On l'engage alors, très prudemment, dans la rampe pierreuse et oblique qui descend vers le long escarpement couvert d'un peu de neige, large de peut-être 3 à 4 pas, qui court le long des crêtes pointues.<br>
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Une fois le premier chariot stabilisé sur la voie étroite et en léger devers, on détalle un des chevaux et l'on replace la cargaison. Puis le deuxième chariot est à son tour tiré par ses bœufs et retenu par les chevaux, penchant nettement vers le vide durant sa brève descente vers la corniche et, le petit convoi précédé des piétons les plus agiles, avance alors à pas mesurés, rasant la paroi rocheuse au plus près, négociant chaque virage avec d'infinies précautions et dans un relatif silence, tant les Lewyllen sont maintenant concentrés.<br>
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À l'arrière, les deux Dirsen et toi surveillez l'opération, tendus, et lorsqu'un rafale plus vive remonte la paroi en ébouriffant les gens et les bêtes, Nael'Darham juge utile de crier en Langue des Pères depuis l'avant-garde : <br>
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''"Vous inquiétez pas : ça impressionne 'cause de l'altitude mais 'faudrait un vent carrément plus fort pour nous mettre en danger. Si vous comptez pas le vide, la voie est pas pire que tous les chemins qu'on a pris hier, et les chariots s'sont pas renversés pour autant..."''
  
Le milieu de matinée est déjà largement dépassé et la pause est donc de courte durée : c'est le segment du chemin où vous ne pouvez pas vous permettre d'être surpris par la nuit ou les intempéries. Aussi, après avoir étudié le ciel avec Sifenen Arlan, Yehandael décide qu'il est temps d'y aller et interromps Nael'Darham qui voulait préparer du thé.
 
  
Pour atteindre la première corniche, surplombant un à-pic de presque 200m qui se mue ensuite en une pente à peine moins vertigineuse, la guide fait atteler 3 chevaux (qui n'ont pas l'air d'en mener très large non plus) à l'arrière du premier chariot, pendant qu'on en retire tout le matériel, les vivres et marchandises. On l'engage alors, très prudemment, dans la rampe pierreuse et oblique qui descend vers le long escarpement couvert d'un peu de neige, large de peut-être 3 à 4 pas, qui court le long des crêtes pointues.
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'''Tout en surveillant d'un œil les nues où quelques nuages s'avancent en contre-bas''' depuis la côte (1), les éclaireurs fréquemment attachés par leur ''[[layss]]'' à un chariot ou à un cheval, vous mènent pas à pas vers la première faille, qui ne mesure sans doute pas 2m de large mais qui semble déjà vertigineuse : de profondes encoches, assez grossières, ont été taillées dans la pierre de part et d'autres et, souplement, 'Darham et Yehandael sautent le précipice pour aider à y installer les 6 madriers sommairement équarris pour former deux méplats sur toute leur longueur, qui serviront de pont. <br>
Une fois le premier chariot stabilisé sur la voie étroite et en léger devers, on détalle un des chevaux et l'on replace la cargaison. Puis le deuxième chariot est à son tour tiré par ses bœufs et retenu par les chevaux, penchant nettement vers le vide durant sa brève descente vers la corniche et, le petit convoi précédé des piétons les plus agiles, avance alors à pas mesurés, rasant la paroi rocheuse au plus près, négociant chaque virage avec d'infinies précautions et dans un relatif silence, tant les Lewyllen sont maintenant concentrés.
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Apparemment, il n'est même pas nécessaire de décharger le chariot de tête, le problème étant plutôt de décider les chevaux à y suivre les bœufs laineux qui s'y sont engagés placidement, malgré la tendance des troncs à plier un peu sous leur poids.
À l'arrière, les deux Dirsen et toi surveillez l'opération, tendus, et lorsqu'un rafale plus vive remonte la paroi en ébouriffant les gens et les bêtes, Nael'Darham juge utile de crier en Langue des Pères depuis l'avant-garde : ''"Vous inquiétez pas : ça impressionne 'cause de l'altitude mais 'faudrait un vent carrément plus fort pour nous mettre en danger. Si vous comptez pas le vide, la voie est pas pire que tous les chemins qu'on a pris hier, et les chariots s'sont pas renversés pour autant..."''
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Tout en surveillant d'un œil les nues où quelques nuages s'avancent en contre-bas depuis la côte (1), les éclaireurs fréquemment attachés par leur layss à un chariot ou à un cheval, vous mènent pas à pas vers la première faille, qui ne mesure sans doute pas 2m de large mais qui semble déjà vertigineuse : de larges et longues encoches, assez grossières, ont été taillées dans la pierre de part et d'autres et, souplement, 'Darham et Yehandael sautent le précipice pour aider à y installer les 6 madriers sommairement équarris pour former deux méplats sur toute leur longueur, qui serviront de pont. Apparemment, il n'est même pas nécessaire de décharger le chariot de tête, le problème étant plutôt de décider les chevaux à y suivre les bœufs laineux qui s'y sont engagés placidement, malgré la tendance des troncs à plier un peu sous leur poids.
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"Mais... pourquoi ne pas tout simplement laisser les troncs en permanence ?" demande Virgile après avoir franchit la passerelle sans hésiter, alors que le groupe de queue récupère le pont mobile.<br>
"Mais... pourquoi ne pas tout simplement laisser les troncs en permanence ?" demande Virgile après avoir franchit la passerelle sans hésiter, alors que le groupe de queue récupère le pont mobile.Alors qu'elle distribuaient du ''mayenhin'' (2) à ses compagnons, la guide prend encore le temps de répondre à Mange-Cailloux : "Parce qu'ils gèleraient l'hiver et deviendraient cassants (3). Si on compte employer ce passage plusieurs fois d'ici l'automne, on s'emmerdera peut-être à monter la trentaine de troncs nécessaires pour ouvrir tout le passage, mais faudra sans doute affréter un chariot rien que pour ça. Cet été, on est les premiers à passer mais je ne sais pas encore comment vous vous débrouillez en haute-montagne et je voulais pas en plus prendre le risque d'alourdir vos deux chariots..."
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Pendant qu'elle distribuaient du ''mayenhin'' (2) à ses compagnons, la guide prend encore le temps de répondre à Mange-Cailloux : "Parce qu'ils gèleraient l'hiver et deviendraient cassants (3). Si on compte employer ce passage plusieurs fois d'ici l'automne, on s'emmerdera peut-être à monter la trentaine de troncs nécessaires pour ouvrir tout le passage, mais faudra sans doute affréter un chariot rien que pour ça. Cet été, on est les premiers à passer mais je ne sais pas encore comment vous vous débrouillez en haute-montagne et je voulais pas en plus prendre le risque d'alourdir vos deux chariots..."
  
 
À nouveau plus que circonspects quant à cette assertion, les Dirsen font contre mauvaise fortune bon cœur et, quoique Tardil pâlisse visiblement quand il lui faut s'engager sur les rondins, glissés à chaque fois de l'arrière vers l'avant à travers le plateau des chariots et installés par-dessus l'abîme, la première corniche et ses trois failles sont ainsi avalées en une petite heure (4). On grimpe alors une nouvelle crête -autrement moins raide que celle qui vous a mené jusqu'au début de la corniche mais à qui l'altitude donne de faux airs d'épreuve mortelle- et, après être redescendus sur le versant nord-est déjà beaucoup moins abrupt, vous découvrez bientôt la seconde corniche.
 
À nouveau plus que circonspects quant à cette assertion, les Dirsen font contre mauvaise fortune bon cœur et, quoique Tardil pâlisse visiblement quand il lui faut s'engager sur les rondins, glissés à chaque fois de l'arrière vers l'avant à travers le plateau des chariots et installés par-dessus l'abîme, la première corniche et ses trois failles sont ainsi avalées en une petite heure (4). On grimpe alors une nouvelle crête -autrement moins raide que celle qui vous a mené jusqu'au début de la corniche mais à qui l'altitude donne de faux airs d'épreuve mortelle- et, après être redescendus sur le versant nord-est déjà beaucoup moins abrupt, vous découvrez bientôt la seconde corniche.
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"C'est quand-même pas de la tarte, a fait remarquer Tardil de Bedlam en mâchouillant un quignon de pain.
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''"C'est quand-même pas de la tarte'', a fait remarquer Tardil de Bedlam en mâchouillant un quignon de pain. ''_C'sera plus facile en remontant. Plus fatiguant, mais moins risqué''", a expliqué Nael'Darham. Quelques gouttes de pluie jetées par une bourrasque ont décidé le départ. La jeune Ellendiorin, une grimpeuse chevronnée et la nièce de ta femme, a escaladé la paroi jusqu'à une baisse proche, regardé le ciel de tous côtés et annoncé : "''Nuages gris sud-ouest, et le vent tourne. _'''Le temps se couvre, il faut quitter la corniche avant que ça n'empire.'''''" a répercuté Yehandael.
_Ce sera plus facile en remontant. Plus fatiguant, mais moins risqué, a expliqué Nael'Darham." Quelques gouttes de pluie jetées par une bourrasque ont décidé le départ. La jeune Ellendiorin, une grimpeuse chevronnée et la nièce de ta femme, a escaladé la paroi jusqu'à une baisse proche, regardé le ciel de tous côtés et annoncé : "Nuages gris sud-ouest, et le vent tourne.
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_Le temps se couvre, il faut quitter la corniche avant que ça n'empire." a répercuté Yehandael.
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Toujours prudent mais désormais pressé, le convoi s'est remis en branle, les deux éclaireurs loin devant, les chevaux freinant les attelages dans la descente toujours raide et verglacée par endroit, inscrite en creux dans la montagne : des arrêtes brisées et des marques dans la roche témoignent de l'aménagement grossier de la voie. Tous les piétons sont regroupés à l'arrière des fois qu'une des charrettes dérape.
 
Toujours prudent mais désormais pressé, le convoi s'est remis en branle, les deux éclaireurs loin devant, les chevaux freinant les attelages dans la descente toujours raide et verglacée par endroit, inscrite en creux dans la montagne : des arrêtes brisées et des marques dans la roche témoignent de l'aménagement grossier de la voie. Tous les piétons sont regroupés à l'arrière des fois qu'une des charrettes dérape.
 
Nael'Dharam a pris la tête et a bientôt déployé une longue écharpe rouge et blanche ornée de pompons de laine, confiée par votre guide et accrochée à son épaule gauche, en plein vent : 100 pas en amont, la Tallalnen s'en sert pour évaluer le vent. Elle semble préoccupée.
 
Nael'Dharam a pris la tête et a bientôt déployé une longue écharpe rouge et blanche ornée de pompons de laine, confiée par votre guide et accrochée à son épaule gauche, en plein vent : 100 pas en amont, la Tallalnen s'en sert pour évaluer le vent. Elle semble préoccupée.
  
La corniche s'éloignant toujours plus loin de la crête dentelée, vous vous retrouvez bientôt à mi-falaise au-dessus d'une gorge très encaissée et, soudain, après une épingle à cheveux vers la droite, vous découvrez un immense gouffre où un long pont de cordes et de planches se balance dans les rafales qui s'engouffre entre les deux falaises, pour rejoindre une vire au flanc de la paroi suivante. ''"Oh ma mère... Y a loin là ?
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La corniche s'éloignant toujours plus loin de la crête dentelée, vous vous retrouvez bientôt à mi-falaise au-dessus d'une gorge très encaissée et, soudain, après une épingle à cheveux vers la droite, vous découvrez '''un immense gouffre où un long pont de cordes et de planches se balance dans les rafales''' qui s'engouffrent entre les deux falaises, pour rejoindre une vire au flanc de la paroi suivante. ''"Oh ma mère... Y a loin là ? _75 pas. _Et ça, ça gèle pas l'hiver ? _Pu maint'nant. C'là depuis mon grand-père, au moins. _Donc c'est du solide ? _On vérifie. Toujours. _Ça a l'air de secouer méchamment quand-même... _L'poids des attelages, y stabilise le balancement. _Ben tout va bien, alors..." :-Z
_75 pas.
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_Et ça, ça gèle pas l'hiver ?
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_Pu maint'nant. C'est là depuis mon grand-père, au moins.
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_Donc c'est du solide ?
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_On vérifie. Toujours.
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_Ça a l'air de secouer méchamment quand-même...
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_Le poids des attelages, y stabilise le balancement.
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_Ben tout va bien, alors..." :-Z
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Un second cavalier le rejoint sans encombre.
 
Un second cavalier le rejoint sans encombre.
 
''"Premier chariot : deux bœufs, un seul cocher."'' ordonne Yehandael.
 
''"Premier chariot : deux bœufs, un seul cocher."'' ordonne Yehandael.
Le bouvier doit aiguillonner ses bêtes un moment pour les décider à s'avancer sur la passerelle mouvante et, finalement, la carriole pourtant étroite frotte en écartant les cordes contre ses flancs, l'ouvrage gémissant nettement sous ses roues. Presque arrivé de l'autre côté, l'attelage penche soudain contre le vent et s'immobilise. ''"Qu'est-ce qui s'passe ? _Il est coincé ? _Une traverse a du craquer. _Merde ! S'il se piège une roue, on est mal. _Je vais aller l'aider...'' _Moi aussi ! _Non ! On attend de savoir ce qui bloque avant de mettre plus de poids sur la passerelle !"
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Le bouvier doit aiguillonner ses bêtes un moment pour les décider à s'avancer sur la passerelle mouvante et, finalement, la carriole pourtant étroite frotte en écartant les cordes contre ses flancs, l'ouvrage gémissant nettement sous ses roues. Presque arrivé de l'autre côté, l'attelage penche soudain contre le vent et s'immobilise. ''"Qu'est-ce qui s'passe ? _Il est coincé ? _Une traverse a du craquer. _Merde ! S'il se piège une roue, on est mal. _Je vais aller l'aider... _Moi aussi ! '''_Non ! On attend de savoir ce qui bloque avant de mettre plus de poids sur la passerelle !'''"''
 
Mais de l'autre côté, Arlan revient déjà vers le charriot avec son cheval mécontent, tout deux disparaissent quelques instants à votre vue et, après quelques à-coups qui donne encore de la gîte au pont, la carriole reprend sa progression ballotée au rythme du vent sifflant. Quand elle a atteint l'autre côté, Arlan fait des grands gestes pour indiquer ''"Une seule traverse cassée, avancez"''.
 
Mais de l'autre côté, Arlan revient déjà vers le charriot avec son cheval mécontent, tout deux disparaissent quelques instants à votre vue et, après quelques à-coups qui donne encore de la gîte au pont, la carriole reprend sa progression ballotée au rythme du vent sifflant. Quand elle a atteint l'autre côté, Arlan fait des grands gestes pour indiquer ''"Une seule traverse cassée, avancez"''.
  
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Tu dépasses la planche brisée où Arlan a coincé un bout de marche-pied du premier chariot, et c'est avec soulagement que tu atteints l'autre extrémité, fixée entre deux aiguilles. Quand elle a fait traversé tout le monde, Yehandael signale qu'il faudra que vous remplaciez cette traverse au retour, ainsi que deux autres qui semblent faiblir. Nael'Dharam et elle échangent un signe de tête, le grand lewyllen a perdu de sa gaité : à eux deux, ils font redémarrer le convoi, refusant la pause que certains réclamaient en ralant : ''"Le vent forcit, 'faut atteindre le refuge avant que ça devienne intenable..."''
 
Tu dépasses la planche brisée où Arlan a coincé un bout de marche-pied du premier chariot, et c'est avec soulagement que tu atteints l'autre extrémité, fixée entre deux aiguilles. Quand elle a fait traversé tout le monde, Yehandael signale qu'il faudra que vous remplaciez cette traverse au retour, ainsi que deux autres qui semblent faiblir. Nael'Dharam et elle échangent un signe de tête, le grand lewyllen a perdu de sa gaité : à eux deux, ils font redémarrer le convoi, refusant la pause que certains réclamaient en ralant : ''"Le vent forcit, 'faut atteindre le refuge avant que ça devienne intenable..."''
  
Peu après le pont suspendu, les crêtes dentelées qui vous bouchaient le sud commencent à s'abaisser pour laisser la place à un sommet érodé par le vent, formant un sentier à peine aussi large qu'un essieu, dressé entre les pentes rocheuses d'un énième vallon dégoulinant de neige fondante et d'un à-pic abrupt. Un vent cinglant décoiffe les hommes et les bêtes qui surplombent les contreforts de la Vallée des Cerfs, poussant d'épais nuages au-dessus des collines et des deux sommets arrondis qui se découpent sur le fond sombre du Lac des Frères.
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'''Peu après le pont suspendu''', les crêtes dentelées qui vous bouchaient le sud commencent à s'abaisser pour laisser la place à un sommet érodé par le vent, formant un sentier à peine aussi large qu'un essieu, dressé entre les pentes rocheuses d'un énième vallon dégoulinant de neige fondante et d'un à-pic abrupt. Un vent cinglant décoiffe les hommes et les bêtes qui surplombent les contreforts de la [[Vallée des Cerfs]], poussant d'épais nuages au-dessus des collines et des deux sommets arrondis qui se découpent sur le fond sombre du [[Lac des Frères]].
  
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Une bise froide et humide renchérit bientôt sur la fraîcheur des cimes. Courbés sous les rafales, la plupart des lewyllen attachés par leur layss à leur monture ou à un des chariots derrière lesquels se cachent les deux Dirsen, le convoi descend pas à pas le chemin escarpé qui, de creux en crête et de lacets en virages, dérape vers les contreforts et la masse lointaine d'un plateau rocheux.
 
Une bise froide et humide renchérit bientôt sur la fraîcheur des cimes. Courbés sous les rafales, la plupart des lewyllen attachés par leur layss à leur monture ou à un des chariots derrière lesquels se cachent les deux Dirsen, le convoi descend pas à pas le chemin escarpé qui, de creux en crête et de lacets en virages, dérape vers les contreforts et la masse lointaine d'un plateau rocheux.
 
''"Il y a un refuge à l'abri de ce massif : dépêchez-vous !"'' à crié Yehandael, ses ordres à peines intelligibles dans le sifflement du vent mais répétés par toutes les voix suivantes. Tardil de Bedlam commence à trébucher de fatigue mais préfère suivre un chariot que de rester à l'intérieur, sans cesse balloté par les cahots et les rafales, à espérer que les roues soient toujours sur la piste.
 
''"Il y a un refuge à l'abri de ce massif : dépêchez-vous !"'' à crié Yehandael, ses ordres à peines intelligibles dans le sifflement du vent mais répétés par toutes les voix suivantes. Tardil de Bedlam commence à trébucher de fatigue mais préfère suivre un chariot que de rester à l'intérieur, sans cesse balloté par les cahots et les rafales, à espérer que les roues soient toujours sur la piste.
  
L'après-midi s'obscurcit rapidement et déverse bientôt une méchante petite grêle fondante qui colle au sentier, aux roues, aux sabots et aux souliers, changeant en boue le peu de terre accrochée entre les rochers et lessivant les quelques herbes qui y ont pris racine. Les flocons gèlent à moitié en s'étalant sur les creux et les arrêtes, jusqu'à ce que le vent souffle encore plus froid et qu'une mitraille piquante crible les voyageurs, crissant vaguement au passage des attelages : les sons sont emportés trop vite pour qu'on puisse en être sûr.
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'''L'après-midi s'obscurcit rapidement et déverse bientôt une méchante petite grêle fondante''' qui colle au sentier, aux roues, aux sabots et aux souliers, changeant en boue le peu de terre accrochée entre les rochers et lessivant les quelques herbes qui y ont pris racine. Les flocons gèlent à moitié en s'étalant sur les creux et les arrêtes, jusqu'à ce que le vent souffle encore plus froid et qu'une mitraille piquante crible les voyageurs, crissant vaguement au passage des attelages : les sons sont emportés trop vite pour qu'on puisse en être sûr.
 
L'ombre et les grains blancs qui passent en sifflant empêchent de voir à plus de quelques pas, et le chemin de crête est bientôt suspendu dans la tourmente comme s'il n'existait rien d'autre. Par moment, des appels et des encouragements parviennent de l'avant au fur et à mesure que la caravane, fatiguée et transie, tente d'accélérer la marche sans déraper vers un drame.
 
L'ombre et les grains blancs qui passent en sifflant empêchent de voir à plus de quelques pas, et le chemin de crête est bientôt suspendu dans la tourmente comme s'il n'existait rien d'autre. Par moment, des appels et des encouragements parviennent de l'avant au fur et à mesure que la caravane, fatiguée et transie, tente d'accélérer la marche sans déraper vers un drame.
 
Et puis une inquiétude, renvoyée à tue-tête par une dizaine de voix : Yehandael est partie en éclaireur depuis plus d'une demi-heure, Nael'Dharam guide seul le convoi.
 
Et puis une inquiétude, renvoyée à tue-tête par une dizaine de voix : Yehandael est partie en éclaireur depuis plus d'une demi-heure, Nael'Dharam guide seul le convoi.
  
Le grand lewyllen commande de forcer encore le pas : l'abri ne peut plus être très loin et les rafales redoublent. En poussant le flanc d'un chariot pour l'empêcher de déraper, Sifenen Arlan glisse soudain dans le vide et se retrouve pendu à son layss. Il faut arrêter la colonne le temps de stabiliser l'attelage et que le Lewyllen se hisse à nouveau sur le sentier. Pendant cette brève halte, la grêle fouette sans merci toute peau découverte, se prend en glaçons fondants dans les crinières, les cheveux et les barbes. Elle s'abat puis bondit des vêtements avec les soubresauts du vent, ne laissant que l'humidité et le froid de ses gifles. Les chariots bâchés tanguent de plus en plus et, pourtant, sur ce raidillon effilé entre deux abîmes, les piétons tremblants s'accrochent aux véhicules comme à des radeaux.
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Le grand lewyllen commande de forcer encore le pas : '''l'abri ne peut plus être très loin''' et les rafales redoublent. En poussant le flanc d'un chariot pour l'empêcher de déraper, Sifenen Arlan glisse soudain dans le vide et se retrouve pendu à son layss. Il faut arrêter la colonne le temps de stabiliser l'attelage et que le Lewyllen se hisse à nouveau sur le sentier. Pendant cette brève halte, la grêle fouette sans merci toute peau découverte, se prend en glaçons fondants dans les crinières, les cheveux et les barbes. Elle s'abat puis bondit des vêtements avec les soubresauts du vent, ne laissant que l'humidité et le froid de ses gifles. Les chariots bâchés tanguent de plus en plus et, pourtant, sur ce raidillon effilé entre deux abîmes, les piétons tremblants s'accrochent aux véhicules comme à des radeaux.
  
 
Un nouveau cri rebondit de l'avant et, d'abord sans comprendre, les capuchons trempés et les cheveux agités par le vent se sont levés vers une ombre plus épaisse sous les stries du ciel où, soudain, une lueur orangée s'élève. La lumière dansante dessine bientôt une crevasse, presque une caverne, comme un trait de lame bien net au flanc d'une falaise indistincte.
 
Un nouveau cri rebondit de l'avant et, d'abord sans comprendre, les capuchons trempés et les cheveux agités par le vent se sont levés vers une ombre plus épaisse sous les stries du ciel où, soudain, une lueur orangée s'élève. La lumière dansante dessine bientôt une crevasse, presque une caverne, comme un trait de lame bien net au flanc d'une falaise indistincte.
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Les conversations vite noyées par le gémissement lourd des bœufs ou les vrombissements du vent que l'ouverture vers la vallée module en cris aigus, on attend que passe l'orage en grignotant un peu, en tâchant péniblement de faire réchauffer un peu d'eau pour le thé sur le fragile feu de camp. Constatant les mines inquiètes et fatiguées qui l'entourent, Virgile de Narcejane lance un ''"Là ça va : c'est le printemps !"'' qui arrache quelques ricanements et une poignée de sourires.  
 
Les conversations vite noyées par le gémissement lourd des bœufs ou les vrombissements du vent que l'ouverture vers la vallée module en cris aigus, on attend que passe l'orage en grignotant un peu, en tâchant péniblement de faire réchauffer un peu d'eau pour le thé sur le fragile feu de camp. Constatant les mines inquiètes et fatiguées qui l'entourent, Virgile de Narcejane lance un ''"Là ça va : c'est le printemps !"'' qui arrache quelques ricanements et une poignée de sourires.  
  
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Quand le vent et la grêle semblent se calmer, un petit coin de lumière revient au sud-ouest et Yehandael annonce qu'il va falloir profiter des dernières heures du jour pour tenter d'atteindre la vallée. Malgré la fatigue et les protestations, le convoi se met à nouveau en branle sur l'étroit chemin de crêtes.
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'''Quand le vent et la grêle semblent se calmer''', un petit coin de lumière revient au sud-ouest et Yehandael annonce qu'il va falloir profiter des dernières heures du jour pour tenter d'atteindre la vallée. Malgré la fatigue et les protestations, le convoi se met à nouveau en branle sur l'étroit chemin de crêtes.
  
 
Peu à peu, celui-ci s'élargit et se couvre de touffes d'herbes, et quelques sapins maigrichons montent ça et là sur les pentes qui s'adoucissent au fil de la marche. Les plaques de neige se font plus rares et les fleurs se multiplient.
 
Peu à peu, celui-ci s'élargit et se couvre de touffes d'herbes, et quelques sapins maigrichons montent ça et là sur les pentes qui s'adoucissent au fil de la marche. Les plaques de neige se font plus rares et les fleurs se multiplient.
 
Ce qui n'empêche pas le sentier d'être rocailleux et, depuis peu, humide : on peine encore souvent dans les côtes et on glisse dans les descentes mais, au moins, on ne risque plus sa vie au moindre faux-pas. On recommande aux Dirsen de remonter dans les chariots, désormais plus stables, parce qu'avec la fatigue les chutes sont plus fréquentes. Les chevaux, eux, reprennent un peu d'avance et les cavaliers au trot s'étirent le long du convoi.
 
Ce qui n'empêche pas le sentier d'être rocailleux et, depuis peu, humide : on peine encore souvent dans les côtes et on glisse dans les descentes mais, au moins, on ne risque plus sa vie au moindre faux-pas. On recommande aux Dirsen de remonter dans les chariots, désormais plus stables, parce qu'avec la fatigue les chutes sont plus fréquentes. Les chevaux, eux, reprennent un peu d'avance et les cavaliers au trot s'étirent le long du convoi.
  
Après une fourche vaguement marquée par un petit cairn de pierres entassées (le chemin vers l'est devant rejoindre Solerane par le relais du Marchepied), la piste oblique sensiblement au sud et, à travers une forêt pentue mais de plus en plus dense, dévale vers la vallée de l'Anilw'ayl en suivant les lacets étroits qui courent le long des falaises de granit. "N'a perdu trop d'temps, finit par expliquer Nael'Dharam : on n'atteindra jamais l'gué des Reflets Fugaces avant la nuit. On en a tous plein les pattes alors autant se chercher un bon site de bivouac." Yehandael consent et, après quelques recherches, on monte le camp sur une assez large terrasse de roche moussue encadrée de quelques sapins.
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'''Après une fourche vaguement marquée par un petit cairn de pierres entassées''' (le chemin vers l'est devant rejoindre Solerane par le relais du Marchepied), la piste oblique sensiblement au sud et, à travers une forêt pentue mais de plus en plus dense, dévale vers la vallée de l'Anilw'ayl en suivant les lacets étroits qui courent le long des falaises de granit. "N'a perdu trop d'temps, finit par expliquer Nael'Dharam : on n'atteindra jamais l'gué des Reflets Fugaces avant la nuit. On en a tous plein les pattes alors autant se chercher un bon site de bivouac." Yehandael consent et, après quelques recherches, on monte le camp sur une assez large terrasse de roche moussue encadrée de quelques sapins.
  
 
Si vous y êtes mal protégés du vent et que monter les yourtes va être difficile, des traces d'anciens feu témoignent que l'endroit a été utilisé dans les dernières semaines. "Beaucoup d'Emishen passent par ici ? demande Virgile. _Pas vraiment. Pour l'Assemblée, des Edell'okhil et des Tallalnen sont venus par cette piste, mais repartis par la passe du Fraisil puis le lac du Souvenir. mais eux préfèrent éviter Celanire, désormais. _À cause de l'abbé Boniface ? _De la manière dont il traite ces pauv' bonnes sœurs, surtout ! précise Dharam. _Les Emishen ne sont plus tellement bienvenus au marché non plus. Le sang a été versé. Les Tallalnen et les Lewyllen évitent désormais le village des Dirsen..."
 
Si vous y êtes mal protégés du vent et que monter les yourtes va être difficile, des traces d'anciens feu témoignent que l'endroit a été utilisé dans les dernières semaines. "Beaucoup d'Emishen passent par ici ? demande Virgile. _Pas vraiment. Pour l'Assemblée, des Edell'okhil et des Tallalnen sont venus par cette piste, mais repartis par la passe du Fraisil puis le lac du Souvenir. mais eux préfèrent éviter Celanire, désormais. _À cause de l'abbé Boniface ? _De la manière dont il traite ces pauv' bonnes sœurs, surtout ! précise Dharam. _Les Emishen ne sont plus tellement bienvenus au marché non plus. Le sang a été versé. Les Tallalnen et les Lewyllen évitent désormais le village des Dirsen..."
 
Et Virgile de te couler un regard intrigué.
 
Et Virgile de te couler un regard intrigué.
  
L'ombre couvre bientôt la vallée et les contreforts, puis votre perchoir, pendant que l'on se blottit au creux des "couvertures familiales", dans les chariots et jusque entre leurs roues, les pieds tendus vers le petit feu de camp ou assis sur l'unique tronc tombé sur la plateforme. On fait réchauffer un peu de veidhin et d'agneau pour se remettre des émotions, des fatigues et des plaies de la journée.
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'''L'ombre couvre bientôt la vallée''', les contreforts puis votre perchoir, pendant que l'on se blottit au creux des "couvertures familiales", dans les chariots et jusque entre leurs roues, les pieds tendus vers le petit feu de camp ou assis sur l'unique tronc tombé sur la plateforme. On fait réchauffer un peu de veidhin et d'agneau pour se remettre des émotions, des fatigues et des plaies de la journée.
  
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[[Fichier:Crêtes-03.jpg|820|les crêtes au crépuscule]]
  
Durant la veillée, Lel'Liamil peut entreprendre ses compagnons de bivouac sur 2 sujets au choix.
 
  
Nael'Dharam, Yehandael et un jeune homme nommé Épine d'Ambre t'explique que, franchement, Celanire, c'est pas l'éclate : il y a quelques lunaisons, peut-être un mois, un nouveau chef dirsen est arrivé là-bas. Il a accusé la mère supérieure d'être « une espèce de méchante sorcière », enfin un truc grave avec leurs grands esprits, il a chassé les 2 Tallalnen et l'Edell'okhil qui se retapait dans leur infirmerie et il a brûlé vive la pauvre mère-supérieure.
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==== Durant la Veillée ====
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'''''Lel'Liamil entreprend ses compagnons de bivouac sur 2 sujets : la situation à Celanire et les origines de Virgile '''''
  
Quand des Lewyllen (de l'aile du Sud : Doma Sholen, le massacre du Pic Blanc, tout ça) sont passé par le village quelques temps plus tard, l'ambiance avait nettement changé : des gardes un peu partout dans les rues qui les regardaient avec méfiance, plein de nouveaux colons construisant des maisons. Les Lewyllen ont donc rapidement troquer un cheval contre du grain mais on a voulu les entuber sur la marchandise, ça s'est énervé et les gardes sont tombés sur les Lewyllen. Après quoi le nouveau chef, il a expliqué aux Lewyllen qu'on voulait plus d'eux ici parce qu'ils sont "païens" et que les Compatissantes ne devraient soigner que les bons impériaux.
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Nael'Dharam, Yehandael et un jeune homme nommé Épine d'Ambre t'explique que, franchement, '''Celanire, c'est pas l'éclate :''' il y a quelques lunaisons, peut-être un mois, un nouveau chef dirsen est arrivé là-bas. Il a accusé la mère supérieure d'être « une espèce de méchante sorcière », enfin un truc grave avec leurs grands esprits, il a chassé les 2 Tallalnen et l'[[:Catégorie:Edell'Okhil|Edell'Okhil]] qui se retapait dans leur infirmerie et il a brûlé vive la pauvre mère-supérieure.
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Quand des Lewyllen (de l'aile du Sud : [[Doma Sholen]], le massacre du Pic Blanc, tout ça) sont passé par le village quelques temps plus tard, l'ambiance avait nettement changé : des gardes un peu partout dans les rues qui les regardaient avec méfiance, plein de nouveaux colons construisant des maisons. Les Lewyllen ont donc rapidement troquer un cheval contre du grain mais on a voulu les entuber sur la marchandise, ça s'est énervé et les gardes sont tombés sur les Lewyllen. Après quoi le nouveau chef, il a expliqué aux Lewyllen qu'on voulait plus d'eux ici parce qu'ils sont "païens" et que les Compatissantes ne devraient soigner que les bons impériaux.
 
Alors, évidemment, l'accueil pourrait être plutôt frais.
 
Alors, évidemment, l'accueil pourrait être plutôt frais.
  
Quant à Virgile, il n'y a pas que son ouverture d'esprit qui t'épate : il s'est débrouillé bien mieux que Tardil de Bedlam durant l'étape montagneuse, il ne se démonte pas facilement... Entrepris sur sa carrière et ses projets, l'érudit Virgile de Narcejane commence par un petit chant (emishen) à la mémoire d'Horen Rohanan, l'éclaireur Lewyllen (neveu de ton patron, Ethelkaran) qui a trouvé la mort à ses côtés à la Mine Maudite (enfin "Bénie", pour les Remans) : une attention qui semble beaucoup plaire à tes compagnons. Après quoi il explique en Langue des Vents qu'il a grandit très loin, dans une ville portuaire "encore plus grande qu'Aroche, et toute parcourue de Kerdans et de Fehnris" (ce qui fait bien rire la compagnie) et qu'il a ensuite été à l'école plutôt longtemps. Quand il a quitté l'école pour aller "apprendre du monde", il a vécu tout plein d'aventures avant d'arriver au Pays des Vents, qui lui a beaucoup plu et dans lequel il est resté depuis 8 ans.
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'''Quant à Virgile''', il n'y a pas que son ouverture d'esprit qui t'épate : il s'est débrouillé bien mieux que Tardil de Bedlam durant l'étape montagneuse, il ne se démonte pas facilement...  
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Interrogé sur sa carrière et ses projets, l'érudit Virgile de Narcejane commence par un petit chant (emishen) à la mémoire d'[[Horen Rohanan]], l'éclaireur Lewyllen (neveu de ton patron, Ethelkaran) qui a trouvé la mort à ses côtés à la [[Mine Bénie|Mine Maudite]] (enfin "Bénie", pour les Remans) : une attention qui semble beaucoup plaire à tes compagnons.  
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Après quoi il explique en Langue des Vents qu'il a grandit très loin, dans une ville portuaire ''"encore plus grande qu'Aroche, et toute parcourue de [[Kerdans]] et de [[Fehnri]]"'' (ce qui fait bien rire la compagnie) et qu'il a ensuite été à l'école plutôt longtemps. Quand il a quitté l'école pour aller "apprendre du monde", il a vécu tout plein d'aventures avant d'arriver au Pays des Vents, qui lui a beaucoup plu et dans lequel il est resté depuis 8 ans.
 
Il se lasse un peu qu'après plusieurs offres alléchantes, personne ne l'ait effectivement embauché ni pour la guilde ni pour le village, mais comme il a découvert un filon d'argent pas très loin de Tal Endhil, il ne doute pas que l'embauche va venir bientôt. :)
 
Il se lasse un peu qu'après plusieurs offres alléchantes, personne ne l'ait effectivement embauché ni pour la guilde ni pour le village, mais comme il a découvert un filon d'argent pas très loin de Tal Endhil, il ne doute pas que l'embauche va venir bientôt. :)
  
==== Troisième Jour ====
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== Troisième Jour ==
  
 
L'aube te trouve roulé en boule au fond d'un chariot, perclus de rhumatismes et la goutte au nez. Découvrant de votre plateforme rocheuse le paysage noyé de brume de la Vallée des Cerfs, on charge les attelages et on reprend la piste qui, de faux plat en corniche et de pente en paroi, descend en lacets étroits vers la vallée.
 
L'aube te trouve roulé en boule au fond d'un chariot, perclus de rhumatismes et la goutte au nez. Découvrant de votre plateforme rocheuse le paysage noyé de brume de la Vallée des Cerfs, on charge les attelages et on reprend la piste qui, de faux plat en corniche et de pente en paroi, descend en lacets étroits vers la vallée.
 
Malgré la raideur du terrain, c'est encore la végétation qui pose le plus de problème. À mi-hauteur de votre bivouac, la forêt devient "luxuriante", la pinède de plus en plus épaisse est parcourue de chants d'oiseaux et striées de pistes de gibier : deux cavaliers Lewyllen sont ainsi partis en avant, espérant chasser un peu. Péniblement, les attelages négocie les virages étroits qui s'enchaînent entre les troncs et les rochers, plongeant dans la forêt.
 
Malgré la raideur du terrain, c'est encore la végétation qui pose le plus de problème. À mi-hauteur de votre bivouac, la forêt devient "luxuriante", la pinède de plus en plus épaisse est parcourue de chants d'oiseaux et striées de pistes de gibier : deux cavaliers Lewyllen sont ainsi partis en avant, espérant chasser un peu. Péniblement, les attelages négocie les virages étroits qui s'enchaînent entre les troncs et les rochers, plongeant dans la forêt.
  
Alors qu'on atteint les contre-forts, le sous-bois brumeux envahit régulièrement la piste, des arbustes poussés en trois mois bloquant parfois le passage jusqu'à ce que la hache de Nael'Dharam n'y remédie. On avance alors lentement dans cette atmosphère duveteuse et humide, les branches claquant ou fouettant régulièrement sur la toile des chariots dont les roues peinent dans l'humus et les racines; on tâche de distinguer le sentier, rarement plus qu'une trouée parmi les buissons et les arbrisseaux, et la pente camouflée par les fougères et la brume, la piste s'étirant toujours plus loin dans l'épaisse forêt. Parfois, à la faveur d'un col ou d'une crête abaissée, quelque rafale de vent disperse le brouillard pendant un moment, vous permettant de voir jusqu'aux cimes des arbres, bercées par un peu de vent.
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'''Alors qu'on atteint les contre-forts''', le sous-bois brumeux envahit régulièrement la piste, des arbustes poussés en trois mois bloquant parfois le passage jusqu'à ce que la hache de Nael'Dharam n'y remédie. On avance alors lentement dans cette atmosphère duveteuse et humide, les branches claquant ou fouettant régulièrement sur la toile des chariots dont les roues peinent dans l'humus et les racines; on tâche de distinguer le sentier, rarement plus qu'une trouée parmi les buissons et les arbrisseaux, et la pente camouflée par les fougères et la brume, la piste s'étirant toujours plus loin dans l'épaisse forêt. Parfois, à la faveur d'un col ou d'une crête abaissée, quelque rafale de vent disperse le brouillard pendant un moment, vous permettant de voir jusqu'aux cimes des arbres, bercées par un peu de vent.
  
Soudain, le convoi s'immobilise et, une fois les consignes chuchotées dans les deux langues, fait entièrement silence. Nael'Dharam, Yehandael et deux autres guerriers s'avancent le long du sentier, lances en main. Des craquements et des grognements annonce bientôt la bête, écartant du col branchages et arbrisseaux, et l'ours apparaît bientôt sur le chemin : il tourne un instant sa grosse tête brune vers vous, lâche un long rugissement vers le ciel, et s'en va comme il est venu. La troupe reste aux aguets encore un moment, et la progression reprend. Ce n'est que lorsque les troncs commencent à s'espacer et que les frondaisons s'écartent que vous constatez que le soleil brille haut, que la brume s'est levée dans le reste de la vallée et que, depuis ces alpages boisés, on commence à distinguer les deux crêtes qui séparent le lit de l'Anil'wel du lac des Frères et du village de Celanire.
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Soudain, le convoi s'immobilise et, une fois les consignes chuchotées dans les deux langues, fait entièrement silence. Nael'Dharam, Yehandael et deux autres guerriers s'avancent le long du sentier, lances en main. Des craquements et des grognements annonce bientôt la bête, écartant du col branchages et arbrisseaux, et l'ours apparaît bientôt sur le chemin : il tourne un instant sa grosse tête brune vers vous, lâche un long rugissement vers le ciel, et s'en va comme il est venu. La troupe reste aux aguets encore un moment, et la progression reprend. Ce n'est que lorsque les troncs commencent à s'espacer et que les frondaisons s'écartent que vous constatez que le soleil brille haut, que la brume s'est levée dans le reste de la vallée et que, depuis ces alpages boisés, on commence à distinguer les deux crêtes qui séparent le lit de l'[[Anil'wel]] du [[Lac des Frères]] et du village de Celanire.
  
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Bientôt revenus sous les feuillages et rejoint par les deux chasseurs (qui ramènent un faisan), suivant le lit d'un torrent très encaissé qui zigzague dans les accidents d'une pente plongeant au sud-est, chevaux, piétons et cavaliers continuent de descendre lentement le sentier forestiers qui rampe après le ruisseau de combes en épaulements, de zig-zags en virage et creux en chute, jusqu'à ce que vous parvienne la rumeur d'un flot rageur s'écoulant quelques escarpements plus loin. Un cairn moussu, haut comme un enfant, trône là sous un genévrier isolé, et décide tes éclaireurs à obliquer plein sud : "L'gué est par là", annonce Dharam en pointant au pif dans la fûtaie.
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'''Bientôt revenus sous les feuillages''' et rejoint par les deux chasseurs (qui ramènent un faisan), suivant le lit d'un torrent très encaissé qui zigzague dans les accidents d'une pente plongeant au sud-est, chevaux, piétons et cavaliers continuent de descendre lentement le sentier forestiers qui rampe après le ruisseau de combes en épaulements, de zig-zags en virage et creux en chute, jusqu'à ce que vous parvienne la rumeur d'un flot rageur s'écoulant quelques escarpements plus loin. Un cairn moussu, haut comme un enfant, trône là sous un genévrier isolé, et décide tes éclaireurs à obliquer plein sud : ''"'''L'gué est par là"''''', annonce 'Dharam en pointant apparemment au pif dans la fûtaie.
 
Après une brève montée boueuse où il a fallu pousser les chariots, vous atteignez un cirque demi-circulaire étagé dans la pente où, après une courte chute, la rivière forme plusieurs bassins dont le plus bas, pas beaucoup plus grand que le village de Tal Endhil, ralentit pourtant le fleuve gonflé de printemps au point de le rendre traversable. Sauf que ça a l'air bien profond : on donne alors un peu de mou à la toile des chariots, la toile formant maintenant des poches entre les suspentes, et on y répartit tout le matériel, les armes, les vivres, les peaux et les vêtements jusqu'à ce que le convoi soit rehaussé, les montures dé-sellées et les caravaniers en pagne.
 
Après une brève montée boueuse où il a fallu pousser les chariots, vous atteignez un cirque demi-circulaire étagé dans la pente où, après une courte chute, la rivière forme plusieurs bassins dont le plus bas, pas beaucoup plus grand que le village de Tal Endhil, ralentit pourtant le fleuve gonflé de printemps au point de le rendre traversable. Sauf que ça a l'air bien profond : on donne alors un peu de mou à la toile des chariots, la toile formant maintenant des poches entre les suspentes, et on y répartit tout le matériel, les armes, les vivres, les peaux et les vêtements jusqu'à ce que le convoi soit rehaussé, les montures dé-sellées et les caravaniers en pagne.
  
Après quelques conciliabules dénudés avec les cochers, Yehandaeln, le sein orgueilleux mais le dos et les bras zébrés de cicatrices, s'avance dans l'eau qui la pousse sans cesse vers le bord relevé du bassin, cherchant ses appuis contre al force du flot. "Avancez !" crie-t-elle bientôt et, après Arlan qui entre dans l'eau froide en entraînant son cheval qui renâcle, les bœufs tirent leurs attelages dans le bassin. Sous le poids relatif de leur chargement, les chariots touchent régulièrement le fond rocheux, mi flottant mi-roulant, sans cesse déportés vers la gauche par le courant. À ton tour, après ton dirsen bedonnant mais avant ton vieux athlétique, tu entres dans l'eau glacée et, tentant d'abord de nager contre le courant latéral, tu te résous comme les autres à tituber en cherchant avec tes pieds assez de prise pour te repousser par petits bonds à la suite des attelages qui n'en finissent pas de couler, de tanguer et de racler vers l'autre rive.
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Après quelques conciliabules dénudés avec les cochers, Yehandael, le sein orgueilleux mais le dos et les bras zébrés de cicatrices, s'avance dans l'eau qui la pousse sans cesse vers le bord relevé du bassin, cherchant ses appuis contre al force du flot. "Avancez !" crie-t-elle bientôt et, après Arlan qui entre dans l'eau froide en entraînant son cheval qui renâcle, les bœufs tirent leurs attelages dans le bassin. Sous le poids relatif de leur chargement, les chariots touchent régulièrement le fond rocheux, mi flottant mi-roulant, sans cesse déportés vers la gauche par le courant. À ton tour, après ton dirsen bedonnant mais avant ton vieux athlétique, tu entres dans l'eau glacée et, tentant d'abord de nager contre le courant latéral, tu te résous comme les autres à tituber en cherchant avec tes pieds assez de prise pour te repousser par petits bonds à la suite des attelages qui n'en finissent pas de couler, de tanguer et de racler vers l'autre rive.
 
Épuisé par le courant et transi de froid, le convoi se rassemble pour le déjeuner autour d'un bon feu de camp, se rhabillant au fur et à mesure qu'il sèche, alors que les bœufs laineux, dégoulinant comme des serpillières géantes, s'ébrouent par moment à la distance respectable où on les a attaché.
 
Épuisé par le courant et transi de froid, le convoi se rassemble pour le déjeuner autour d'un bon feu de camp, se rhabillant au fur et à mesure qu'il sèche, alors que les bœufs laineux, dégoulinant comme des serpillières géantes, s'ébrouent par moment à la distance respectable où on les a attaché.
 
Entre eux les Lewyllen discutent du voyage déjà accompli, de ce qui vous attend à Celanire et des rares traces de passage qu'ils ont relevé : alors que la région est inhabitée, des Dirsen et au moins un Emishen ont emprunté le même sentier vers l'ouest ces derniers jours.
 
Entre eux les Lewyllen discutent du voyage déjà accompli, de ce qui vous attend à Celanire et des rares traces de passage qu'ils ont relevé : alors que la région est inhabitée, des Dirsen et au moins un Emishen ont emprunté le même sentier vers l'ouest ces derniers jours.
  
Une fois la caravane restaurée et à peu près sèche, elle reprend alors la piste qui continue à travers la forêt, parallèlement à la route qui longe le lac d'Acier à quelques lieues de là, pour rejoindre les crêtes qui dépassent des sapins. "Ce soir on campe au pied des collines et, si tout va bien, annonce votre guide en milieu d'après-midi, on sera à Celanire demain en fin de journée.
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'''Une fois la caravane restaurée et à peu près sèche''', elle reprend alors la piste qui continue à travers la forêt, parallèlement à la route qui longe le lac d'Acier à quelques lieues de là, pour rejoindre les crêtes qui dépassent des sapins. "Ce soir on campe au pied des collines et, si tout va bien, annonce votre guide en milieu d'après-midi, on sera à Celanire demain en fin de journée.
  
À peine séchée de sa traversée de l'Anil'wel, la caravane reçoit la pluie : par les trouées dans les frondaisons des mélèzes, vous avez d'abord vu glisser de lourds nuages bas et gris, qui ont bientôt lâché quelques gouttes sur la piste couvertes d'aiguilles roussâtres et de fougères, comme pour vous avertir de l'ondée. Et d'un coup l'eau tombe drue : elle crible les branchages, tambourine sur les attelages et les cailloux, dégouline le long des tildhan et trempe les bêtes.
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À peine séchés de votre traversée de l'Anil'wel, vous recevez la pluie : par les trouées dans les frondaisons des mélèzes, vous avez d'abord vu glisser de lourds nuages bas et gris, qui ont bientôt lâché quelques gouttes sur la piste couvertes d'aiguilles roussâtres et de fougères, comme pour vous avertir de l'ondée. Et d'un coup l'eau tombe drue : elle crible les branchages, tambourine sur les attelages et les cailloux, dégouline le long des tildhan et trempe les bêtes.
  
La drache dure des heures : dans l'ombre des nuages et le rideau épais des gouttes, le sentier devient spongieux sous vos pas, puis se change en bourbier où les chariots tracent de profond sillons qui s'emplissent aussitôt d'une eau brune et clapotante où nagent les aiguilles de pin. Et lorsque le sol commence à s'élever vers le sud-ouest, montant à l'assaut des crêtes, la piste où sabots et mocassins s'enfoncent jusqu'aux chevilles semble s'écouler lentement à contre-courant de la caravane. Les marcheurs les moins lestes y dérapent, les bœufs maculés ralentissent tant les hautes roues cerclées y glissent plus qu'elles n'y tournent.
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'''La drache dure des heures :''' dans l'ombre des nuages et le rideau épais des gouttes, le sentier devient spongieux sous vos pas, puis se change en bourbier où les chariots tracent de profond sillons qui s'emplissent aussitôt d'une eau brune et clapotante où nagent les aiguilles de pin. Et lorsque le sol commence à s'élever vers le sud-ouest, montant à l'assaut des crêtes, la piste où sabots et mocassins s'enfoncent jusqu'aux chevilles semble s'écouler lentement à contre-courant de la caravane. Les marcheurs les moins lestes y dérapent, les bœufs maculés ralentissent tant les hautes roues cerclées y glissent plus qu'elles n'y tournent.
 
Quand la sente oblique enfin pour grimper une pente rocailleuse, on a presque l'impression d'avoir atteint une rive.
 
Quand la sente oblique enfin pour grimper une pente rocailleuse, on a presque l'impression d'avoir atteint une rive.
  
 
La pluie cesse finalement mais l'ombre s'est installée : au-delà des collines escarpées, le soleil peint brièvement d'orange les nuages qui s'attardent et, bientôt, disparaît. Yehandael commande de marcher encore dans l'obscurité qui s'épaissit et l'on allume -après bien des efforts pour faire prendre l'étoupe humide- quelques torches qui crachotent en avant des chariots, les cavaliers éclairants de leur mieux le passage des attelages vers un épais bosquet de pins dressés sur un promontoire arrondi : là, enfin presque au sec, les voyageurs font enfin halte, épuisés.
 
La pluie cesse finalement mais l'ombre s'est installée : au-delà des collines escarpées, le soleil peint brièvement d'orange les nuages qui s'attardent et, bientôt, disparaît. Yehandael commande de marcher encore dans l'obscurité qui s'épaissit et l'on allume -après bien des efforts pour faire prendre l'étoupe humide- quelques torches qui crachotent en avant des chariots, les cavaliers éclairants de leur mieux le passage des attelages vers un épais bosquet de pins dressés sur un promontoire arrondi : là, enfin presque au sec, les voyageurs font enfin halte, épuisés.
 
Malgré la fatigue, l'habitude aide les Lewyllen à se dépêtrer du montage des yourtes et deux chasseurs s'emploient à plumer le faisan pendant qu'Arlan s'acharne pour démarrer un feu de tourbe. Lorsqu'il parvient à en tirer quelques flammes, il l'encercle de petit bois à sécher et l'on monte un tourne-broche avec quelques bâtons : ce soir, le gruau d'avoine sera accompagné de faisan rôti !
 
Malgré la fatigue, l'habitude aide les Lewyllen à se dépêtrer du montage des yourtes et deux chasseurs s'emploient à plumer le faisan pendant qu'Arlan s'acharne pour démarrer un feu de tourbe. Lorsqu'il parvient à en tirer quelques flammes, il l'encercle de petit bois à sécher et l'on monte un tourne-broche avec quelques bâtons : ce soir, le gruau d'avoine sera accompagné de faisan rôti !
Le petit festin ne suffit pourtant pas à démarrer la veillée : éreintés par ces trois jours de piste, la plupart des caravaniers s'assoupissent durant le conte que vous narre Mange-Cailloux. Toi-même, tu n'auras entendu que le début des aventures des deux jeunes elloran qui ont donné son nom au Lac des Frères.
 
  
==== Quatrième Jour ====
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'''Le petit festin ne suffit pourtant pas à démarrer la veillée :''' éreintés par ces trois jours de piste, la plupart des caravaniers s'assoupissent durant le conte que vous narre Mange-Cailloux. Toi-même, tu n'auras entendu que le début des aventures des deux jeunes elloran qui ont donné son nom au Lac des Frères.
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=== Quatrième Jour ===
  
 
L'aurore pointe à travers les ramures, dorant tout le versant du mont surplombant la caravane qui s'arrache laborieusement au sommeil, avant de démonter le campement. Lel'Liamil a les reins massacrés par le sol rocailleux, des ampoules plein les pieds, mal aux genoux et un méchant rhume lui obstrue les sinus mais il faut admettre que le paysage a de la gueule : de votre promontoire, la forêt chatoie sous le soleil naissant dans un ciel extrêmement clair, rincé par les ondées de la veille, et l'on voit au loin miroiter le Lac d'Acier sous l'ombre du Mont Grison.
 
L'aurore pointe à travers les ramures, dorant tout le versant du mont surplombant la caravane qui s'arrache laborieusement au sommeil, avant de démonter le campement. Lel'Liamil a les reins massacrés par le sol rocailleux, des ampoules plein les pieds, mal aux genoux et un méchant rhume lui obstrue les sinus mais il faut admettre que le paysage a de la gueule : de votre promontoire, la forêt chatoie sous le soleil naissant dans un ciel extrêmement clair, rincé par les ondées de la veille, et l'on voit au loin miroiter le Lac d'Acier sous l'ombre du Mont Grison.
 
Avec le retard pris sous la pluie de la veille, néanmoins, il va falloir en mettre un coup pour atteindre Celanire avant la nuit et Yehandael est sans pitié : le petit déjeuner avalé et la toilette faîte, les vêtements de la veille sont mis à sécher à plat sur le toit des chariots et le convoi s'ébranle doucement au pied de la pente rocheuse, en direction de l'épaisse forêt qui tapisse la vallée.
 
Avec le retard pris sous la pluie de la veille, néanmoins, il va falloir en mettre un coup pour atteindre Celanire avant la nuit et Yehandael est sans pitié : le petit déjeuner avalé et la toilette faîte, les vêtements de la veille sont mis à sécher à plat sur le toit des chariots et le convoi s'ébranle doucement au pied de la pente rocheuse, en direction de l'épaisse forêt qui tapisse la vallée.
  
Les premières heures de piste sont presque aussi laborieuses que la veille : il faut régulièrement rouvrir la piste envahie d'arbrisseaux, contourner les troncs tombés durant les tempêtes hivernales, traverser des ruisseaux encaissés et des pierriers instables, mais au moins s'épargne-t-on les incessantes montées et descentes. Car pour vallonnée que soit la région, la sente suit d'assez loin le contour du mont pour sinuer entre les collines et les crevasses, allongeant d'autant le trajet mais permettant de conserver un rythme constant qui s'avère à la longue moins dur que le crapahutage des jours précédents.
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'''Les premières heures de piste sont presque aussi laborieuses que la veille :''' il faut régulièrement rouvrir la piste envahie d'arbrisseaux, contourner les troncs tombés durant les tempêtes hivernales, traverser des ruisseaux encaissés et des pierriers instables, mais au moins s'épargne-t-on les incessantes montées et descentes. Car pour vallonnée que soit la région, la sente suit d'assez loin le contour du mont pour sinuer entre les collines et les crevasses, allongeant d'autant le trajet mais permettant de conserver un rythme constant qui s'avère à la longue moins dur que le crapahutage des jours précédents.
 
Mais lorsque, le soleil est enfin levé haut, des colonies d'oiseaux font assaut de chants variés, des grives et des lièvres détalent à votre approche, des nuées d'insectes bourdonnent gaiement, les fleurs s'ouvrent entre les fougères, les champignons se multiplient et, surtout, ça sent bon : l'acide piquant des aiguilles de pins, la sève mielleuse qui exhale quand la forêt se réchauffe, la terre encore humide, la mousse tendre et les lichens... Par instant, un chevreuil ou un grand cerf disparaît entre les troncs. Évidemment, il ne faut pas longtemps pour que les Lewyllen se mettent à chanter et, puisque vous n'avez guère besoin d'être discrets, votre guide laisse faire avec un demi-sourire.
 
Mais lorsque, le soleil est enfin levé haut, des colonies d'oiseaux font assaut de chants variés, des grives et des lièvres détalent à votre approche, des nuées d'insectes bourdonnent gaiement, les fleurs s'ouvrent entre les fougères, les champignons se multiplient et, surtout, ça sent bon : l'acide piquant des aiguilles de pins, la sève mielleuse qui exhale quand la forêt se réchauffe, la terre encore humide, la mousse tendre et les lichens... Par instant, un chevreuil ou un grand cerf disparaît entre les troncs. Évidemment, il ne faut pas longtemps pour que les Lewyllen se mettent à chanter et, puisque vous n'avez guère besoin d'être discrets, votre guide laisse faire avec un demi-sourire.
 
La matinée passe ainsi, au rythme des contreforts qui défilent à votre droite et des chants de marche, dans l'odeur estivale, la caravane avalant la piste sinuante avec une bonne humeur inédite. Peut-être que tu n'es pas encore "trop vieux pour ces conneries".
 
La matinée passe ainsi, au rythme des contreforts qui défilent à votre droite et des chants de marche, dans l'odeur estivale, la caravane avalant la piste sinuante avec une bonne humeur inédite. Peut-être que tu n'es pas encore "trop vieux pour ces conneries".
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Trop vieux pour prendre la tête, par contre, ou pour devancer le convoi à Solerane. Surtout avec tes deux Dirsen qui traînent pour l'instant à l'arrière : de la voix, du geste, du plaisir évident qu'il a au paysage, Mange-Cailloux soutien la marche du volumineux maquignon. Qui ne se plaint plus, d'ailleurs : il respire profondément, avance d'un pas régulier, négocie son effort. Il a pris le pli. Arlan et au moins deux autres Lewyllen commencent à l'appeler "Dernier Bœuf" et, lorsque Virgile lui traduit la vanne en souriant, le maquignon secoue la tête d'un air mi-amusé, mi-fataliste.
 
Trop vieux pour prendre la tête, par contre, ou pour devancer le convoi à Solerane. Surtout avec tes deux Dirsen qui traînent pour l'instant à l'arrière : de la voix, du geste, du plaisir évident qu'il a au paysage, Mange-Cailloux soutien la marche du volumineux maquignon. Qui ne se plaint plus, d'ailleurs : il respire profondément, avance d'un pas régulier, négocie son effort. Il a pris le pli. Arlan et au moins deux autres Lewyllen commencent à l'appeler "Dernier Bœuf" et, lorsque Virgile lui traduit la vanne en souriant, le maquignon secoue la tête d'un air mi-amusé, mi-fataliste.
  
La pause de midi reste la bienvenue : au bord d'un ru clair coulant entre quelques pierres, on se pose un moment, on mange, on remplit les gourdes. Mais après quelques apartés, Yehandael et Nael'Dharam annoncent que les chasseurs à peine assis doivent partir en avant : le convoi n'arrivera pas à Celanire avant la nuit et l'on va manquer de vivres pour le soir et le lendemain, après le don fait aux Sentinelles.
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'''La pause de midi reste la bienvenue :''' au bord d'un ru clair coulant entre quelques pierres, on se pose un moment, on mange, on remplit les gourdes. Mais après quelques apartés, Yehandael et Nael'Dharam annoncent que les chasseurs à peine assis doivent partir en avant : le convoi n'arrivera pas à Celanire avant la nuit et l'on va manquer de vivres pour le soir et le lendemain, après le don fait aux Sentinelles.
 
Alors il faut profiter de l'occasion pour chasser et cueillir. Trois jeunes gens laissent ainsi leurs montures aux piétons et s'en vont à petites foulées dans la forêt, rendez-vous à la chute des Hérissons à l'heure du Cerf (1).
 
Alors il faut profiter de l'occasion pour chasser et cueillir. Trois jeunes gens laissent ainsi leurs montures aux piétons et s'en vont à petites foulées dans la forêt, rendez-vous à la chute des Hérissons à l'heure du Cerf (1).
  
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La pause terminée, les Dirsen et toi montez en selle et reprenez la route. Au pas rallongé des chevaux, seulement freiné par les attelages, la forêt se déroule un peu plus vite et la piste se redresse en s'éloignant des pentes : un détour vers le sud-est pour aborder une côte plus douce et passer les derniers épaulement qui barre l'accès vers le torrent baptisé Cyolaygh, étroit mais furieux en cette saison, qui dégringole par une gorge profonde jusque dans la vallée où, des dernières hauteurs dégagées, les teintes vert tendres succédant à la forêt annoncent déjà les bosquets épars et les cultures des Dirsen.
 
La pause terminée, les Dirsen et toi montez en selle et reprenez la route. Au pas rallongé des chevaux, seulement freiné par les attelages, la forêt se déroule un peu plus vite et la piste se redresse en s'éloignant des pentes : un détour vers le sud-est pour aborder une côte plus douce et passer les derniers épaulement qui barre l'accès vers le torrent baptisé Cyolaygh, étroit mais furieux en cette saison, qui dégringole par une gorge profonde jusque dans la vallée où, des dernières hauteurs dégagées, les teintes vert tendres succédant à la forêt annoncent déjà les bosquets épars et les cultures des Dirsen.
  
Un nouveau cairn, à peine haut d'une coudée, indique à qui sait où chercher une étroite langue terreuse qui serpente entre les hauts sapins, les arbustes et les rochers pour rejoindre les berges du torrent.
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'''Un nouveau [[cairn]], à peine haut d'une coudée,''' indique à qui sait où chercher une étroite langue terreuse qui serpente entre les hauts sapins, les arbustes et les rochers pour rejoindre les berges du torrent.
 
À nouveau les chevaux sont attelés, un à l'avant et deux à l'arrière de chaque charrette, pour aider les bœufs laineux à négocier ce devers en biseau dont les épingles à cheveux vous obligent quasiment à faire halte pour tourner. À la suite de Nael'Darham -qui a démonté pour mener sa jument par la bride, tu conduits l'étalon qu'on t'a confié et qui retient le second chariot dans la pente abrupte. Le cheval renaude un peu mais, avec le soutien de la puissante jument que Sifenen Arlan guide des deux mains à tes côtés, votre attelage atteint lui aussi sans heurt le fond humide de la combe.
 
À nouveau les chevaux sont attelés, un à l'avant et deux à l'arrière de chaque charrette, pour aider les bœufs laineux à négocier ce devers en biseau dont les épingles à cheveux vous obligent quasiment à faire halte pour tourner. À la suite de Nael'Darham -qui a démonté pour mener sa jument par la bride, tu conduits l'étalon qu'on t'a confié et qui retient le second chariot dans la pente abrupte. Le cheval renaude un peu mais, avec le soutien de la puissante jument que Sifenen Arlan guide des deux mains à tes côtés, votre attelage atteint lui aussi sans heurt le fond humide de la combe.
 
Éclaboussé par les virages et les rebonds du torrent, le convoi suit en glissant et en cahotant l'étroite berge tapissée de rochers et de gros galets où la mousse s'épanouit dans l'ombre fraîche de la ravine où, au fil de la descente, les sapins cèdent peu à peu la place aux feuillus. Les parois rocheuses s'inclinent à leur tour, la piste se couvre de terre et s'étale, bourbeuse, entre des ornières boueuses marquées de récents passages de piétons et montures non-ferrées. Et par les trouées de plus en plus large de la végétation, on commence à distinguer le Lac des Frères en contrebas.
 
Éclaboussé par les virages et les rebonds du torrent, le convoi suit en glissant et en cahotant l'étroite berge tapissée de rochers et de gros galets où la mousse s'épanouit dans l'ombre fraîche de la ravine où, au fil de la descente, les sapins cèdent peu à peu la place aux feuillus. Les parois rocheuses s'inclinent à leur tour, la piste se couvre de terre et s'étale, bourbeuse, entre des ornières boueuses marquées de récents passages de piétons et montures non-ferrées. Et par les trouées de plus en plus large de la végétation, on commence à distinguer le Lac des Frères en contrebas.
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Enfin réunie et certaine de dîner ce soir, la caravane tâche d'accélérer sur la piste qui, à la lisière des bois s'évase en un véritable chemin, creusé par des passages qui devaient être fréquents avant le printemps, mais que les chardons investissent déjà. Quoique les Lewyllen n'y prêtent guère attention, Virgile te désigne en passant une de ces stèles qu'installent les Dirsen, usée par les décennies mais récemment brisée presque à raz du sol et qui disparaît aujourd'hui dans les herbes folles : dans les débris épars, on peut encore reconnaître un œil et le front bouclé d'un visage de granit qui devait être presque aussi grand qu'un bouclier et qu'on s'est acharné à raser il y a sans doute quelques semaines : travail de Kormes.
 
Enfin réunie et certaine de dîner ce soir, la caravane tâche d'accélérer sur la piste qui, à la lisière des bois s'évase en un véritable chemin, creusé par des passages qui devaient être fréquents avant le printemps, mais que les chardons investissent déjà. Quoique les Lewyllen n'y prêtent guère attention, Virgile te désigne en passant une de ces stèles qu'installent les Dirsen, usée par les décennies mais récemment brisée presque à raz du sol et qui disparaît aujourd'hui dans les herbes folles : dans les débris épars, on peut encore reconnaître un œil et le front bouclé d'un visage de granit qui devait être presque aussi grand qu'un bouclier et qu'on s'est acharné à raser il y a sans doute quelques semaines : travail de Kormes.
  
Le crépuscule rougit alors que vous croisez un bosquet d'où pointait un angle de pierres noircies : derrière sa palissade de fascines abattues dans les ronciers et son portail de rondins enfoncé, une ferme remane qui devait compter au moins trois corps de bâtiments gît, comme une carcasse éventrée par l'incendie qui a consumé le chaume, les charpente et jusqu'aux branches premiers arbres du bosquet. À en juger par les lichens qui commencent à ronger les restes d'une porte ou les poussent printanières qui jaillissent des vestiges d'un hâtre, le feu doit dater des dernières neiges.
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'''Le crépuscule rougit''' alors que vous croisez un bosquet d'où pointait un angle de pierres noircies : derrière sa palissade de fascines abattues dans les ronciers et son portail de rondins enfoncé, une ferme remane qui devait compter au moins trois corps de bâtiments gît, comme une carcasse éventrée par l'incendie qui a consumé le chaume, les charpente et jusqu'aux branches premiers arbres du bosquet. À en juger par les lichens qui commencent à ronger les restes d'une porte ou les poussent printanières qui jaillissent des vestiges d'un hâtre, le feu doit dater des dernières neiges.
Si nombre de tes lewyllen t'interrogent du regard et se tournent vers Mange-Cailloux, qui contemple les ruines avec une expression douloureuse, Yehandael tâche d'activer le convoi : la nuit noire tombera bientôt et il faut avancer. "Je connaissais ces gens..." lui explique l'érudit qui vient de trouver cinq tombes, encore bombées de terre, mais que fleurs et chiendent se disputent déjà. Le vieil homme s'agenouille, observe un instant les planches pointues qui forment un arc brisé à la tête de chaque tombe : y sont peints (mais déjà à moitié effacés) les visages de deux couples et d'un enfant. Il se recueille là pendant un instant, saisit une pognée de terre, prononce ce qui doit être une prière et se relève : "J'ignorais que les hommes de Lashdan étaient venus dans ce canton." conclue-t-il sombrement avant de reprendre la route d'un pas qui semble alourdi.
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Si nombre de tes lewyllen t'interrogent du regard et se tournent vers Mange-Cailloux, qui contemple '''les ruines''' avec une expression douloureuse, Yehandael tâche d'activer le convoi : la nuit noire tombera bientôt et il faut avancer. "Je connaissais ces gens..." lui explique l'érudit qui vient de trouver cinq tombes, encore bombées de terre, mais que fleurs et chiendent se disputent déjà. Le vieil homme s'agenouille, observe un instant les planches pointues qui forment un arc brisé à la tête de chaque tombe : y sont peints (mais déjà à moitié effacés) les visages de deux couples et d'un enfant. Il se recueille là pendant un instant, saisit une pognée de terre, prononce ce qui doit être une prière et se relève : "J'ignorais que les hommes de Lashdan étaient venus dans ce canton." conclue-t-il sombrement avant de reprendre la route d'un pas qui semble alourdi.
 
En prononçant quelques formules de consolation, les Lewyllen qui le doublent lui tapotent le bras ou lui pressent brièvement l'épaule et les ombres allongés de la caravane passent bientôt sur des champs récemment labourés mais déserts à cette heure tardive, parfois bordés de tas de bois (où Sifenen Arlan prélève quelques bûches pour le soir).
 
En prononçant quelques formules de consolation, les Lewyllen qui le doublent lui tapotent le bras ou lui pressent brièvement l'épaule et les ombres allongés de la caravane passent bientôt sur des champs récemment labourés mais déserts à cette heure tardive, parfois bordés de tas de bois (où Sifenen Arlan prélève quelques bûches pour le soir).
 
Au bout d'un sentier mal entretenu qui part vers la gauche, on peut encore apercevoir la silhouette hérissée de solives d'une seconde ruine, peut-être un hameau, et bientôt celle d'une ferme sans doute fortifiée, dominant les près et les labours du haut d'une colline au sud-est où conduit un sentier récemment emprunté. Une cheminée y fume doucement dans les dernières lueurs du soir, mais Yehandael préfère passer outre que de compter sur une hospitalité que les Dirsen pourraient fort bien ne pas vous accorder.
 
Au bout d'un sentier mal entretenu qui part vers la gauche, on peut encore apercevoir la silhouette hérissée de solives d'une seconde ruine, peut-être un hameau, et bientôt celle d'une ferme sans doute fortifiée, dominant les près et les labours du haut d'une colline au sud-est où conduit un sentier récemment emprunté. Une cheminée y fume doucement dans les dernières lueurs du soir, mais Yehandael préfère passer outre que de compter sur une hospitalité que les Dirsen pourraient fort bien ne pas vous accorder.
  
La nuit est tout à fait noire et les lunes pâles pointent déjà derrière les hauts sommets de l'Échine du monde, à l'ouest, quand le convoi entre à tâtons dans un petits bois presque cernés de champs et tâche de monter le camp entre les troncs des bouleaux bas et des hauts peupliers. Un petit feu, que la Tallalnen a voulu qu'on construise au fond d'un trou pour n'être pas visible de la route qui continue vers le sud à quelques portée de flèches, éclaire bientôt le flanc des véhicules installés en paravent et l'un des chasseurs commence à dépecer le daim, pendant qu'une jeune femme vide les entrailles puis dégage le cœur, donné aux flammes en remerciement de cette chasse favorable. Les Emishen interrompent alors leurs tâches pour entonner avec elle un hymne lent et bas, qui célèbre l'arrivée des voyageurs fourbus.
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'''La nuit est tout à fait noire''' et les lunes pâles pointent déjà derrière les hauts sommets de l'Échine du monde, à l'ouest, quand le convoi entre à tâtons dans un petits bois presque cernés de champs et tâche de monter le camp entre les troncs des bouleaux bas et des hauts peupliers. Un petit feu, que la Tallalnen a voulu qu'on construise au fond d'un trou pour n'être pas visible de la route qui continue vers le sud à quelques portée de flèches, éclaire bientôt le flanc des véhicules installés en paravent et l'un des chasseurs commence à dépecer le daim, pendant qu'une jeune femme vide les entrailles puis dégage le cœur, donné aux flammes en remerciement de cette chasse favorable. Les Emishen interrompent alors leurs tâches pour entonner avec elle un hymne lent et bas, qui célèbre l'arrivée des voyageurs fourbus.
 
Pendant qu'on foule une aire assez large pour monter une unique yourte, qu'on bouchonne les chevaux et qu'on découpe une patte du gibier pour la mettre à rôtir, les caravaniers rejoignent un à un les abords du foyer et, lorsque vous êtes tous rassemblés dans l'odeur alléchante, Yehandael annonce : "Celanire n'est plus qu'à une heure au bout de ce chemin. On m'attends plus au sud, mais je vais rester avec vous jusqu'à ce que Lel'Liamil rentre du village des Dirsen."
 
Pendant qu'on foule une aire assez large pour monter une unique yourte, qu'on bouchonne les chevaux et qu'on découpe une patte du gibier pour la mettre à rôtir, les caravaniers rejoignent un à un les abords du foyer et, lorsque vous êtes tous rassemblés dans l'odeur alléchante, Yehandael annonce : "Celanire n'est plus qu'à une heure au bout de ce chemin. On m'attends plus au sud, mais je vais rester avec vous jusqu'à ce que Lel'Liamil rentre du village des Dirsen."
 
La plupart des regards se tournent vers toi et Sifenen Arlan, grattant sa courte barbe auburn, finit par demander : "Tu es sûr que tu ne veux pas que je vous accompagne demain matin ? Si ce Boniface est tel qu'on le dit, je m'en voudrais de vous laisser sans protection, Dernier Bœuf, Mange-Cailloux et toi. Je commence à prendre l'habitude de traiter avec les Dirsen et puis, si vous trouvez le grain pour les Talendan, tu auras bien besoin d'un cocher de plus pour vos deux chariots..." Et tes autres caravaniers d'approuver du chef.
 
La plupart des regards se tournent vers toi et Sifenen Arlan, grattant sa courte barbe auburn, finit par demander : "Tu es sûr que tu ne veux pas que je vous accompagne demain matin ? Si ce Boniface est tel qu'on le dit, je m'en voudrais de vous laisser sans protection, Dernier Bœuf, Mange-Cailloux et toi. Je commence à prendre l'habitude de traiter avec les Dirsen et puis, si vous trouvez le grain pour les Talendan, tu auras bien besoin d'un cocher de plus pour vos deux chariots..." Et tes autres caravaniers d'approuver du chef.
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Arlan quête ton approbation du regard.
 
Arlan quête ton approbation du regard.
  
 
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[[Catégorie:Comptes-Rendus]]
 
[[Catégorie:Comptes-Rendus]]
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[[Catégorie:Chapitre I : "Fondation"]]
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[[Catégorie:Quêtes Personnelles]]
 
[[Catégorie:Géographie]]
 
[[Catégorie:Géographie]]
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[[Catégorie:Monts d'Azur]]
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[[Catégorie:Routes Commerciales]]

Version du 4 décembre 2019 à 17:22

Durant la huitaine 8 ("passante des Semailles"), Lel'Liamil le Maquignon a monté une petite expédition à destination de Celanire pour y échanger des peaux et les quelques dizaines de "rondelles" qu'il a pu rassembler contre les semences nécessaires aux nouvelles cultures en cours de défrichage au sud-est de Tal Endhil. Si c'était pour notre aventureux marchand et ses compagnons lewyllen l'occasion de reconnaître une possible voie commerciale parallèle à la route des Dirsen, plus longue (6-7 jours) et dernièrement frappée par des attaques de brigands, ce fut avant tout un rude voyage à travers les Monts d'Azur.

Nous vous le racontons ici pour illustrer ce que représente une expédition en montagne dans ces contrées sauvages (et quelques éléments de culture emishen)...

Prologue

Monté au Cercle des Cascades avec quelques camarades lewyllen (dont son fidèle éclaireur Sifenen Arlan et le guerrier Nael'Dharam), Virgile de Narcejane et le maquignon reman Tardil de Bedlam -membre de la Guilde- (qui compte acheter à Celanire un étalon et quelques juments pour relancer son haras pillé par les Kormes juste avant le Siège de Tal Endhil), Lel'Liamil y a d'abord fait le tour des cousins de l'Aile du Silond pour ramasser assez de monnaie impériale pour ses achats.
Le premier, sur place, fut une pleine charrette de céréales locales que les colons de la vallée ont accepté de mettre en culture "des fois que ça prenne bien".

Notre entreprenant négociant en profite d'ailleurs pour acheter les quelques peaux et fourrures qui n'ont pas encore été raflées par les camarades partis pour Aroche, sachant qu'il devrait en tirer un bénéfice substantiel une fois rendu à Celanire.
Après quelques jours de tractations, Lel'Liamil avait rassemblé ses marchandises, une petite escorte montée, des chariots hauts sur roues tirés par des bœufs laineux et dégotté un bon guide sur les conseils de Virgile (qui connaît décidément tout le monde, dans le secteur)...


Premier Jour

Une fois tous les préparatifs terminés et une charrette de "veidhin" envoyée vers Tal Endhil, à l'aube d'Eled passant des Semailles, ton petit convoi s'est mis en route vers le Col Algide avec ses deux autres chariots, ta paire de Dirsen enthousiastes, tes cochers lewyllen et votre escorte de 5 cavaliers menée par la quadragénaire tallalnen "Yehandael".

Avec son nerhil d'acier et la longue balafre qui, sous ses longs cheveux grisonnant, cerne le côté gauche de son visage du menton jusqu'à la tempe, la Tallalnen au tildhan empiécé de cuir a d'avantage l'air d'une guerrière que d'une pisteuse. Elle n'est pas bavarde, non plus : après que Virgile vous l'ai présenté la veille au soir sous la tente d'Ethelkaran et qu'elle ait confirmé qu'elle connaissant bien la piste, elle est allée se coucher sans même partager le thé.
Réapparue aux aurores, très droite sur son cheval pommelé, elle s'est contenté d'un signe de tête à ton endroit et de quelques mots à Virgile : depuis que les chariots se sont engagés sur la piste sinueuse qui monte du vallon des Cascades vers le sud, elle n'a plus dit 20 mots par jour.


Après la foule et l'ébullition de l'Assemblée Tribale, Lel'Liamil eut une drôle d'impression en regardant le vallon presque déserté depuis les crêtes escarpées que le soleil commençait à éclairer : en contrebas, autour de l'éperon rocheux où se dresse le Cercle de Pierres et son village de huttes, il ne restait qu'une dizaine de tentes principalement Lewyllen et Liam'Lon. Un peu plus à l'est, encore noyé dans l'ombre matinale des montagnes, une douzaine d'Elloran rebâtissaient la grande halle de chaume qui était l'école de Kal Feilan avant l'incendie qui déclencha l'Opération Tréfonds : les débats terminés, peut-être le chaman pourrait-il enfin reprendre son enseignement interrompu depuis plus d'une lune.
Mais Yehandael ne ralentit pas la colonne pour te permettre de profiter de la vue et, en queue de ton convoi sur une monture de prêt, tu la suivis comme les autres le long du sentier en lacets qui montait parmi les arbres.

Malgré l'allure soutenue, il vous fallu le reste de la journée pour atteindre le Col Algide par une piste de corniche étroite, s'élevant bien au-delà de la limite des pins pour longer le versant ouest de la Pointe Bleue, replonger vers la forêt à midi, franchir un torrent rocailleux et remonter bientôt par un raidillon contournant le Pic Blanc par le sud. Dans l'après-midi, les neiges éternelles prenaient des teintes dorées et les creux des falaises se teintaient de bleu.
Des centaines de mètres plus bas, les hautes vallées déployaient les vertes tendres et foncés des prairies pentues et des forêts encore marbrées de neige, les tâches turquoises des lacs d'altitude et les gris pâles des falaises de granit... Après des semaines dans les vallées, l'air froid et ténu d'altitude te fatiguait presque autant que les Dirsen : si Virgile s'était vite trouvé une place dans un chariot, Tardil de Bedlam s'essoufflait en queue de colonne et le joyeux Nael'Dharam chevauchait à ses côtés pour l'encourager.

Les Monts d'Azur, entre les cascades et la Vallée des Cerfs

Le soleil rougeoyait déjà à l'horizon lorsque ta caravane rencontra la neige : d'abord un simple dépôt pâle sur les cailloux du chemin, elle s'épaississait continuellement alors que vous montiez vers le col, étouffant peu à peu tous les autres sons que le chant du vent, éclatant en poudre blanche autour des jambes des chevaux et noyant les roues presque au tiers.
Le vent lançait des flocons dans toutes les directions et Tardil dû finalement, comme tous les piétons, chercher refuge dans les chariots. Si les montures tremblotaient, rien ne semblait ralentir les bœufs laineux : ni la neige, ni le vent bientôt glacé par la nuit tombante, ni les hommes alourdissant leurs attelages. Toujours devant, enroulée dans son tildhan déployé, Yehandael finit par pointer du doigt une petite lueur vacillant contre la pénombre : les feux du camp des Sentinelles de l'Orage.

À la lueur des feux établis par les gardes-frontière et qui tremblent follement sous le vent, le campement se résume à 3 petites yourtes reliées par un paravent de bois et de cuir conçu pour protéger leurs deux chevaux maigrichons, mais qui évoque d'avantage une maigre palissade oblique. Quelques pieux de bois installés en chevaux de frise complète le dispositif dans la partie la plus étroite du col.
À l'approche de votre convoi, 3 jeunes gens s'approchent, congelés malgré les fourrures qui couvrent leurs épaules par-dessus le tildhan, bientôt rejoint par une demi-douzaine d'autres :
"Bonsoir ! Hé les gars, c'est des Lewyllen ! Des marchands ? Bienvenue ! Vous avez du petit bois ? Salut ! Vous vendez du pain ? De la farine ? Bonsoir ! Vous vendez du thé ? Vous avez de la tourbe pour le feu ? Du fourrage, vous avez du fourrage ?"


Le temps de monter vos propres yourtes et de compléter le paravent par vos chariots, vous voilà rapidement assis sous le plus grand dôme (le vôtre), allumant un petit feu de tourbe pour faire réchauffer vos provisions de voyage que les Sentinelles lorgnent avec envie. Quoique cela grève vos réserves, impossible de ne pas partager.
Pour la plupart armés de bric et de broc, insuffisamment couverts pour les rigueurs de l'altitude, les jeunes guerriers semblent faire "contre mauvaise fortune bon cœur" même si quelques tensions semblent planer entre eux (de la longue expérience de Lel'Liamil, on dirait bien que plusieurs s'emmêlent un peu dans leurs tresses sociales : en même temps, quand on coince une bande jeunes dans la montagne, faut bien qu'ils se réchauffent...).
Ils sont en tous cas très contents de voir du monde : la "responsable" du poste de garde, une chasseuse Liam'Lon presque trentenaire nommée Nil Sholenshen ("Levée avant l'aube"), vous confirme bientôt que sa "garderie" (la pique est d'elle) n'a quasiment vu passer personne depuis que les derniers bellicistes Tallalnen s'en sont allés rejoindre Alon Sorhan il y a presque deux huitaines. Le dernier ravitaillement remonte à 6 jours : un seul cavalier est monté jusqu'à eux avec un peu de tourbe et quelques vivres.

Pour tenir le coup, Nil Sholenshen envoie chaque jour la moitié des jeunes fourrager plus bas dans la vallée : ils ramènent des silex et de branches droites pour faire des pointes de flèches, du salsifis sauvage, des herbes pour épaissir la soupe ou parfois un lapin ou une marmotte. Maintenant qu'ils ont complètement ratissé les maigres réserves des crêtes, ils envisagent de monter une petite expédition de chasse : descendre en forêt à 3 ou 4 pour un ou deux jours avec les chevaux, et tâcher de ramener du gibier un peu conséquent.
Évidemment, ça impliquerait que la chasseresse y aille aussi (à une altitude aussi pauvre, dans une vallée où les Elloran ont traqué comme des malades pour nourrir l'Assemblée, prendre quelque chose devient un boulot de spécialiste) et elle hésite à laisser le poste de garde aux mains d'une poignée de mômes qui n'ont jamais combattu ensemble...

« 'Tain, c'est triste.
Arrête moi si je me trompe : je peux rien faire pour eux, a part à la limite leur laisser un peu de provisions, qui me manqueront sur le route ?
_Tu peux leur laisser des vivres si tu veux, mais oui elles vont vous manquer :
ils sont une dizaine, vous êtes 12, si vous leur laisser une bonne journée de bouffe, vous perdez une journée de bouffe (en gros). Par contre, vous, vous pouvez vous refaire dans les vallée : eux sont coincés là.
Si tu peux les ravitailler un peu au retour (ne serait-ce qu'en bois sec : je sais pas si t'imagines la galère pour se chauffer quand y a pas un arbre à des km), en tous cas, tu seras leur bienfaiteur.

On leur laisse une journée de bouffe et du combustible :). La Tallalnen se déride un peu au diner ?
_Un peu : Yehandael semble mieux s'entendre avec les Liam'Lon et les autres Tallalnen qu'avec votre bande de Lewyllen (et de Dirsen), mais elle n'est pas très causante pour autant. Ça se remarque d'autant plus qu'en laissant une journée de bouffe et de tourbe à la marmaille, vous avez droit à des vivats et à des chansons une bonne partie de la soirée. Hé ben Yehandael sourit à peine.

Alors que tu allais enfin trouver le sommeil parmi tes caravaniers épuisés, 'Nil Sholenshen vient te trouver pour te confier une requête : elle a en sa possession près de 30 lunes gagnées auprès de ton ami "Mesh-Mesh" en vendant des peaux (c'est aussi elle qui a fourni les fourrures qui équipent les jeunes, apparemment) et voudrait savoir si, pour cette somme, tu pourrais acheter quelques vivres supplémentaires à Celanire : de quoi faire du thé et du gruau, de la viande séchée, ce genre de choses. Et si en plus tu pouvais leur remonter du petit bois (ou carrément du charbon) de la vallée, elle t'en serait extrêmement reconnaissante.
Lel'liamil lui explique qu'il le fera avec plaisir, et que ça fait une sacrée somme [NdMJ : de quoi acheter un mois de vivres pour le camp].»


Deuxième Jour

Il semblait à Lel'Liamil goûter un repos bien mérité depuis quelques heures à peine lorsque une main virile lui secoue l'épaule : c'est le joyeux Nael'Dharam qui lui signale que l'aurore se lève et que la meneuse Yehandael est déjà à cheval à préparer le convoi au chemin à venir, qui promet d'être sportif...
Le temps d'avaler un peu de thé et de gruau d'avoine, de dire au-revoir aux jeunes gens qui vous souhaitent bonne chance et tu t'assoies dans un chariot avec Virgile et Tardil de Bedlam (qui eux aussi trouve que la nuit a été courte) pour monter le Col Algide, entièrement enneigé.


Lorsque la poudreuse tombée durant la nuit menace de monter plus haut que les essieux, votre guide fait atteler les chevaux des cavaliers d'escorte en avant de chaque chariot, de façon à ce qu'il puisse participer à les tracter. Et ce n'est pas du luxe, parce qu'on patine bientôt dans plus d'un mètre de neige et de glace. À cette altitude, il ne reste que du blanc à perte de vue, un peu de gris et de brun lorsqu'une façade rocheuse émerge de la neige et le bleu du ciel, puisqu'il fait grand beau. Mais la guide Tallalnen ne semble (décidément) pas s'en réjouir : si la "chaleur" augmente trop avant midi, certaines strates de neige risquent de fondre au point de devenir instables et de provoquer des avalanches.
Et c'est avec cette pensée moins que joyeuse que les chariots, glissant plus qu'ils ne roulent à la suite de leurs bœufs laineux et de leurs cavaliers déjà à moitié essoufflés par l'air trop léger, franchissent bientôt l'épaulement du col pour s'engager dans le défilé étroit, encore couvert de l'ombre des montagnes, qui redescend maintenant vers la vallée.

Alors que vos deux chariots viennent de franchir un torrent glacé (qui deviendra la Rivière aux Élans quelques dizaines de lieues plus bas) dans une série d'à-coups laborieux, le soleil monte du sud-est pour illuminer le haut vallon enneigé : les versants se mettent à chatoyer de multiples reflets bleus, jaunes ou rosés et, alors que les deux Dirsen lâchent quelques remarques admiratives, même la Tallalnen semble se dérider un peu. Le spectacle est encore rehaussé par les multiples gouttelettes brillantes qui tombent des parois avec un crépitement de pluie qui incite régulièrement les voyageurs à lever des regards circonspects vers le ciel pourtant immaculé, où même le Pic Cyan semble se fondre à l'ouest.


On s'engage alors sur un raidillon pierreux à flanc de coteau, où les bêtes peinent au point que les voyageurs descendent de selle ou des chariots pour les aider à tirer. Ce qui leur demande déjà d'assurer leurs propres appuis dans la pente, de plus en plus raide et souvent verglacée : la neige, en masquant les glacis traîtres et les rocailles instables, rend l'opération d'autant plus hasardeuse et l'on dérape parfois méchamment. C'est encore plus inquiétant quand un des chariots redescend brusquement d'un bon mètre ou qu'une roue verse franchement dans le vide, menaçant d'entraîner à sa suite tout l'attelage, les hommes et les chevaux qui y sont arnachés.
Virgile de Narcejane traîne en queue de cortège avec son bâton de marche et, bientôt, Tardil de Bedlam échappe de peu à une chute qui, si un Lewyllen ne l'avait pas rattrapé au dernier moment, se serait transformée en roulade mortelle vers le bas du vallon. Se retenant désormais à la caisse du second chariot plus qu'il ne la pousse, le maquignon contemple le chemin relativement court parcouru depuis le col, nettement visible à quelques lieues au nord-ouest, et confirme que non, jamais il n'essaiera de passer un troupeau par là.
Toi-même tu commences à te rappeler pourquoi tu avais voulu te sédentariser à Tal Endhil : tu deviens trop vieux pour ces conneries.

C'est donc avec les mains écorchées par l'escalade, le souffle pénible et les jambes marquées par la roche que votre douzaine d'aventureux atteint finalement la crête décapée par le vent. Ainsi perchés en plein ciel, serrés autour des bêtes et des chariots qui occupe presque à eux seuls l'étroite plateforme rocheuse où un peu de neige s'accroche, c'est entre vertige et satisfaction que vous accueillez un moment de répit pour contempler la majestueuse vallée de Mael Mindh qui s'étale presque 2000m plus bas.


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"Mais... où est la piste ?" finit par demander Virgile d'un air inquiet, après avoir longuement observer les crêtes déchiquetées qui dévalent la montagne en saccades aiguës. Yehandael, toujours plus courtoise avec "Mange-Cailloux" qu'avec quiconque, s'approche alors de l'érudit et tend le bras vers l'est : "Tu vois la petite corniche enneigée le long du versant sud ? On l’attrape par le pierrier là-bas, on la suit sur environs 1500 pas et...

_Mais elle est coupée à plusieurs endroits !
_C'est pour ça qu'on a emmené des rondins : pour franchir les creux avec les chariots. Et donc 1500 pas plus loin, on remonte pour prendre une seconde corniche, on change une première fois de versant : là, pendant une petite lieue, il y a une piste assez large pour marcher à côté des chariots et qui mène à un pont de cordes. Un peu après on rechange de côté pour suivre le lit d'un torrent et... Ben quoi ? Pourquoi tu fais la gueule ?"
Les deux Dirsen échangent un regard livide et tu croises toi-même les yeux écarquillés de Sifenen Arlan.
"Non mais c'est bon, annonce gaiement Nael'Darham : je l'ai déjà fait dans l'autre sens avec plus de neige et, franchement, si on fait gaffe, ça passe hein...
_Mais... tu l'a déjà fait avec des chariots, demande alors ton fidèle éclaireur ?
_Ah ben non, pas quand y avait encore de la neige sur les parois. Faudrait être un peu con.
_Ça va nous faire une belle épitaphe, dîtes-donc.
_Ne t'inquiète pas Mange-Cailloux : c'est vraiment dangereux que quand 'y a du vent."
Complètement décoiffés par les rafales qui font claquer la toile des chariots, les deux Dirsen ont soudain l'air très inquiets...


Le milieu de matinée est déjà largement dépassé et la pause est donc de courte durée : c'est le segment du chemin où vous ne pouvez pas vous permettre d'être surpris par la nuit ou les intempéries. Aussi, après avoir étudié le ciel avec Sifenen Arlan, Yehandael décide qu'il est temps d'y aller et interromps Nael'Darham qui voulait préparer du thé.

Pour atteindre la première corniche, surplombant un à-pic de presque 200m qui se mue ensuite en une pente à peine moins vertigineuse, la guide fait atteler 3 chevaux (qui n'ont pas l'air d'en mener très large non plus) à l'arrière du premier chariot, pendant qu'on en retire tout le matériel, les vivres et marchandises. On l'engage alors, très prudemment, dans la rampe pierreuse et oblique qui descend vers le long escarpement couvert d'un peu de neige, large de peut-être 3 à 4 pas, qui court le long des crêtes pointues.
Une fois le premier chariot stabilisé sur la voie étroite et en léger devers, on détalle un des chevaux et l'on replace la cargaison. Puis le deuxième chariot est à son tour tiré par ses bœufs et retenu par les chevaux, penchant nettement vers le vide durant sa brève descente vers la corniche et, le petit convoi précédé des piétons les plus agiles, avance alors à pas mesurés, rasant la paroi rocheuse au plus près, négociant chaque virage avec d'infinies précautions et dans un relatif silence, tant les Lewyllen sont maintenant concentrés.
À l'arrière, les deux Dirsen et toi surveillez l'opération, tendus, et lorsqu'un rafale plus vive remonte la paroi en ébouriffant les gens et les bêtes, Nael'Darham juge utile de crier en Langue des Pères depuis l'avant-garde :
"Vous inquiétez pas : ça impressionne 'cause de l'altitude mais 'faudrait un vent carrément plus fort pour nous mettre en danger. Si vous comptez pas le vide, la voie est pas pire que tous les chemins qu'on a pris hier, et les chariots s'sont pas renversés pour autant..."


Tout en surveillant d'un œil les nues où quelques nuages s'avancent en contre-bas depuis la côte (1), les éclaireurs fréquemment attachés par leur layss à un chariot ou à un cheval, vous mènent pas à pas vers la première faille, qui ne mesure sans doute pas 2m de large mais qui semble déjà vertigineuse : de profondes encoches, assez grossières, ont été taillées dans la pierre de part et d'autres et, souplement, 'Darham et Yehandael sautent le précipice pour aider à y installer les 6 madriers sommairement équarris pour former deux méplats sur toute leur longueur, qui serviront de pont.
Apparemment, il n'est même pas nécessaire de décharger le chariot de tête, le problème étant plutôt de décider les chevaux à y suivre les bœufs laineux qui s'y sont engagés placidement, malgré la tendance des troncs à plier un peu sous leur poids.

"Mais... pourquoi ne pas tout simplement laisser les troncs en permanence ?" demande Virgile après avoir franchit la passerelle sans hésiter, alors que le groupe de queue récupère le pont mobile.
Pendant qu'elle distribuaient du mayenhin (2) à ses compagnons, la guide prend encore le temps de répondre à Mange-Cailloux : "Parce qu'ils gèleraient l'hiver et deviendraient cassants (3). Si on compte employer ce passage plusieurs fois d'ici l'automne, on s'emmerdera peut-être à monter la trentaine de troncs nécessaires pour ouvrir tout le passage, mais faudra sans doute affréter un chariot rien que pour ça. Cet été, on est les premiers à passer mais je ne sais pas encore comment vous vous débrouillez en haute-montagne et je voulais pas en plus prendre le risque d'alourdir vos deux chariots..."

À nouveau plus que circonspects quant à cette assertion, les Dirsen font contre mauvaise fortune bon cœur et, quoique Tardil pâlisse visiblement quand il lui faut s'engager sur les rondins, glissés à chaque fois de l'arrière vers l'avant à travers le plateau des chariots et installés par-dessus l'abîme, la première corniche et ses trois failles sont ainsi avalées en une petite heure (4). On grimpe alors une nouvelle crête -autrement moins raide que celle qui vous a mené jusqu'au début de la corniche mais à qui l'altitude donne de faux airs d'épreuve mortelle- et, après être redescendus sur le versant nord-est déjà beaucoup moins abrupt, vous découvrez bientôt la seconde corniche.

Même avec un certain optimisme, tu ne vois pas bien comment on pourrait effectivement y "marcher à côté des chariots" mais Yehandael et 'Dharam s'élancent en réalité d'un pas de promenade sur un escarpement à peine large d'une coudée, qui court le longe de la piste principale entre un et 3m plus bas, en surplomb du précipice qui doit bien mesurer 60 ou 80m. "Je crois que je vais rester sur la voie principale, hein..." observe Tardil en constatant l'à-pic. Si cette voie ne comporte qu'une seule faille notable, elle descend par contre assez raidement en suivant les crête et on attelle donc à nouveau deux chevaux à l'arrière de chaque véhicule. Et comme le temps semble se maintenir au beau, Yehandael propose alors une pause-déjeuner sur un entablement à peine plus large, suspendu en plein ciel, d'où l'on peut voir le torrent aux Élans s'élancer en une longue cascade vers le vallon escarpé qui descend, loin à l'est, vers la passe de Nilfenan. Mais si les Emishen qui connaissent déjà la route mangent avec un bel appétit, les Dirsen, Arlan et toi êtes un peu trop stressés pour vraiment profiter du repas. "Mangez, insiste votre guide : la route sera plus facile cet après-midi mais vous allez avoir besoin de forces."

"C'est quand-même pas de la tarte, a fait remarquer Tardil de Bedlam en mâchouillant un quignon de pain. _C'sera plus facile en remontant. Plus fatiguant, mais moins risqué", a expliqué Nael'Darham. Quelques gouttes de pluie jetées par une bourrasque ont décidé le départ. La jeune Ellendiorin, une grimpeuse chevronnée et la nièce de ta femme, a escaladé la paroi jusqu'à une baisse proche, regardé le ciel de tous côtés et annoncé : "Nuages gris sud-ouest, et le vent tourne. _Le temps se couvre, il faut quitter la corniche avant que ça n'empire." a répercuté Yehandael.

Toujours prudent mais désormais pressé, le convoi s'est remis en branle, les deux éclaireurs loin devant, les chevaux freinant les attelages dans la descente toujours raide et verglacée par endroit, inscrite en creux dans la montagne : des arrêtes brisées et des marques dans la roche témoignent de l'aménagement grossier de la voie. Tous les piétons sont regroupés à l'arrière des fois qu'une des charrettes dérape. Nael'Dharam a pris la tête et a bientôt déployé une longue écharpe rouge et blanche ornée de pompons de laine, confiée par votre guide et accrochée à son épaule gauche, en plein vent : 100 pas en amont, la Tallalnen s'en sert pour évaluer le vent. Elle semble préoccupée.

La corniche s'éloignant toujours plus loin de la crête dentelée, vous vous retrouvez bientôt à mi-falaise au-dessus d'une gorge très encaissée et, soudain, après une épingle à cheveux vers la droite, vous découvrez un immense gouffre où un long pont de cordes et de planches se balance dans les rafales qui s'engouffrent entre les deux falaises, pour rejoindre une vire au flanc de la paroi suivante. "Oh ma mère... Y a loin là ? _75 pas. _Et ça, ça gèle pas l'hiver ? _Pu maint'nant. C'là depuis mon grand-père, au moins. _Donc c'est du solide ? _On vérifie. Toujours. _Ça a l'air de secouer méchamment quand-même... _L'poids des attelages, y stabilise le balancement. _Ben tout va bien, alors..." :-Z

Alors que des bourrasques de plus en plus vive secoue les toiles des chariots, les chevelures tressées et les crinières, Nael'Dharam échange quelques mots en aparté avec la Tallalnen, lui laisse la grande écharpe et son havresac, et cogne du manche de sa hache dans les montants de bois ferré fixés à l'équerre dans la paroi. Il vous adresse un grand sourire satisfait et, son arme à la main gauche pendant que la droite tient fermement l'épaisse corde tressée qui forme la rampe, le guerrier est le premier à s'engager sur la passerelle, sa large carrure bientôt ballotée par la houle. Personne ne parle pendant sa traversée, ralentie par le fait qu'il vérifie chaque planche en y cognant son fer et inspecte régulièrement les cordages, gueulant régulièrement des "C'est bon !" ou "Ça tient !" que bientôt le vent emporte, inaudibles, alors qu'il n'est même pas à 25 mètres de vous.

Arrivé de l'autre côté, il fait de grands signes et Arlan, sans doute votre meilleur cavalier, monte en selle pour mener le premier cheval -moins que ravi- à travers le pont. Son poids semble en effet réduire un peu les oscillations des suspentes. Un second cavalier le rejoint sans encombre. "Premier chariot : deux bœufs, un seul cocher." ordonne Yehandael. Le bouvier doit aiguillonner ses bêtes un moment pour les décider à s'avancer sur la passerelle mouvante et, finalement, la carriole pourtant étroite frotte en écartant les cordes contre ses flancs, l'ouvrage gémissant nettement sous ses roues. Presque arrivé de l'autre côté, l'attelage penche soudain contre le vent et s'immobilise. "Qu'est-ce qui s'passe ? _Il est coincé ? _Une traverse a du craquer. _Merde ! S'il se piège une roue, on est mal. _Je vais aller l'aider... _Moi aussi ! _Non ! On attend de savoir ce qui bloque avant de mettre plus de poids sur la passerelle !" Mais de l'autre côté, Arlan revient déjà vers le charriot avec son cheval mécontent, tout deux disparaissent quelques instants à votre vue et, après quelques à-coups qui donne encore de la gîte au pont, la carriole reprend sa progression ballotée au rythme du vent sifflant. Quand elle a atteint l'autre côté, Arlan fait des grands gestes pour indiquer "Une seule traverse cassée, avancez".

Il faut un moment pour décider qui conduira le deuxième chariot et activer les bêtes mais, finalement, la seconde paire de bœufs laineux s'engage en rechignant sur la passerelle où les deux cavaliers lewyllen semble bricoler quelque chose. Avec une lenteur étudiée, le second chariot franchit l'obstacle et, aidé par les deux piétons, atteint l'autre côté. "On passe 4 par 4 maintenant, sans traîner. 'Regardez pas en bas." Sous tes pas, le mouvement de balancier ajoute le mal de mer au vertige : les intervalles entre cordes et planches laissent voir les façades mouvantes des deux falaises, un entablement où niche des oiseaux et les premiers rochers, encore 50m plus bas, en haut d'un pierrier qui semble se déverser sur des km vers le nord. "Regardez les traverses, pas le vide" rappelle amicalement Virgile, derrière toi. Tu dépasses la planche brisée où Arlan a coincé un bout de marche-pied du premier chariot, et c'est avec soulagement que tu atteints l'autre extrémité, fixée entre deux aiguilles. Quand elle a fait traversé tout le monde, Yehandael signale qu'il faudra que vous remplaciez cette traverse au retour, ainsi que deux autres qui semblent faiblir. Nael'Dharam et elle échangent un signe de tête, le grand lewyllen a perdu de sa gaité : à eux deux, ils font redémarrer le convoi, refusant la pause que certains réclamaient en ralant : "Le vent forcit, 'faut atteindre le refuge avant que ça devienne intenable..."

Peu après le pont suspendu, les crêtes dentelées qui vous bouchaient le sud commencent à s'abaisser pour laisser la place à un sommet érodé par le vent, formant un sentier à peine aussi large qu'un essieu, dressé entre les pentes rocheuses d'un énième vallon dégoulinant de neige fondante et d'un à-pic abrupt. Un vent cinglant décoiffe les hommes et les bêtes qui surplombent les contreforts de la Vallée des Cerfs, poussant d'épais nuages au-dessus des collines et des deux sommets arrondis qui se découpent sur le fond sombre du Lac des Frères.

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Une bise froide et humide renchérit bientôt sur la fraîcheur des cimes. Courbés sous les rafales, la plupart des lewyllen attachés par leur layss à leur monture ou à un des chariots derrière lesquels se cachent les deux Dirsen, le convoi descend pas à pas le chemin escarpé qui, de creux en crête et de lacets en virages, dérape vers les contreforts et la masse lointaine d'un plateau rocheux. "Il y a un refuge à l'abri de ce massif : dépêchez-vous !" à crié Yehandael, ses ordres à peines intelligibles dans le sifflement du vent mais répétés par toutes les voix suivantes. Tardil de Bedlam commence à trébucher de fatigue mais préfère suivre un chariot que de rester à l'intérieur, sans cesse balloté par les cahots et les rafales, à espérer que les roues soient toujours sur la piste.

L'après-midi s'obscurcit rapidement et déverse bientôt une méchante petite grêle fondante qui colle au sentier, aux roues, aux sabots et aux souliers, changeant en boue le peu de terre accrochée entre les rochers et lessivant les quelques herbes qui y ont pris racine. Les flocons gèlent à moitié en s'étalant sur les creux et les arrêtes, jusqu'à ce que le vent souffle encore plus froid et qu'une mitraille piquante crible les voyageurs, crissant vaguement au passage des attelages : les sons sont emportés trop vite pour qu'on puisse en être sûr. L'ombre et les grains blancs qui passent en sifflant empêchent de voir à plus de quelques pas, et le chemin de crête est bientôt suspendu dans la tourmente comme s'il n'existait rien d'autre. Par moment, des appels et des encouragements parviennent de l'avant au fur et à mesure que la caravane, fatiguée et transie, tente d'accélérer la marche sans déraper vers un drame. Et puis une inquiétude, renvoyée à tue-tête par une dizaine de voix : Yehandael est partie en éclaireur depuis plus d'une demi-heure, Nael'Dharam guide seul le convoi.

Le grand lewyllen commande de forcer encore le pas : l'abri ne peut plus être très loin et les rafales redoublent. En poussant le flanc d'un chariot pour l'empêcher de déraper, Sifenen Arlan glisse soudain dans le vide et se retrouve pendu à son layss. Il faut arrêter la colonne le temps de stabiliser l'attelage et que le Lewyllen se hisse à nouveau sur le sentier. Pendant cette brève halte, la grêle fouette sans merci toute peau découverte, se prend en glaçons fondants dans les crinières, les cheveux et les barbes. Elle s'abat puis bondit des vêtements avec les soubresauts du vent, ne laissant que l'humidité et le froid de ses gifles. Les chariots bâchés tanguent de plus en plus et, pourtant, sur ce raidillon effilé entre deux abîmes, les piétons tremblants s'accrochent aux véhicules comme à des radeaux.

Un nouveau cri rebondit de l'avant et, d'abord sans comprendre, les capuchons trempés et les cheveux agités par le vent se sont levés vers une ombre plus épaisse sous les stries du ciel où, soudain, une lueur orangée s'élève. La lumière dansante dessine bientôt une crevasse, presque une caverne, comme un trait de lame bien net au flanc d'une falaise indistincte. Un petit feu allumé dans un creux s'agite en tous sens, jetant des éclats jaunes ou fauve sur la faille. Juste assez profond pour abriter les attelages, le refuge est percé à sa pointe sud d'une fenêtre plus haute que large que le vent griffe furieusement, et au sommet par une sorte de fente irrégulière où retentit le sifflet du vent et d'où tombe un peu de grêle. Pour s'éloigner le plus possible de l'ouverture béant sur la tempête et le vide, gens et chevaux se pressent entre les parois rocheuses et tentent de s'approcher du petit foyer vacillant qu'entretient la Tallalnen.

Les conversations vite noyées par le gémissement lourd des bœufs ou les vrombissements du vent que l'ouverture vers la vallée module en cris aigus, on attend que passe l'orage en grignotant un peu, en tâchant péniblement de faire réchauffer un peu d'eau pour le thé sur le fragile feu de camp. Constatant les mines inquiètes et fatiguées qui l'entourent, Virgile de Narcejane lance un "Là ça va : c'est le printemps !" qui arrache quelques ricanements et une poignée de sourires.

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Quand le vent et la grêle semblent se calmer, un petit coin de lumière revient au sud-ouest et Yehandael annonce qu'il va falloir profiter des dernières heures du jour pour tenter d'atteindre la vallée. Malgré la fatigue et les protestations, le convoi se met à nouveau en branle sur l'étroit chemin de crêtes.

Peu à peu, celui-ci s'élargit et se couvre de touffes d'herbes, et quelques sapins maigrichons montent ça et là sur les pentes qui s'adoucissent au fil de la marche. Les plaques de neige se font plus rares et les fleurs se multiplient. Ce qui n'empêche pas le sentier d'être rocailleux et, depuis peu, humide : on peine encore souvent dans les côtes et on glisse dans les descentes mais, au moins, on ne risque plus sa vie au moindre faux-pas. On recommande aux Dirsen de remonter dans les chariots, désormais plus stables, parce qu'avec la fatigue les chutes sont plus fréquentes. Les chevaux, eux, reprennent un peu d'avance et les cavaliers au trot s'étirent le long du convoi.

Après une fourche vaguement marquée par un petit cairn de pierres entassées (le chemin vers l'est devant rejoindre Solerane par le relais du Marchepied), la piste oblique sensiblement au sud et, à travers une forêt pentue mais de plus en plus dense, dévale vers la vallée de l'Anilw'ayl en suivant les lacets étroits qui courent le long des falaises de granit. "N'a perdu trop d'temps, finit par expliquer Nael'Dharam : on n'atteindra jamais l'gué des Reflets Fugaces avant la nuit. On en a tous plein les pattes alors autant se chercher un bon site de bivouac." Yehandael consent et, après quelques recherches, on monte le camp sur une assez large terrasse de roche moussue encadrée de quelques sapins.

Si vous y êtes mal protégés du vent et que monter les yourtes va être difficile, des traces d'anciens feu témoignent que l'endroit a été utilisé dans les dernières semaines. "Beaucoup d'Emishen passent par ici ? demande Virgile. _Pas vraiment. Pour l'Assemblée, des Edell'okhil et des Tallalnen sont venus par cette piste, mais repartis par la passe du Fraisil puis le lac du Souvenir. mais eux préfèrent éviter Celanire, désormais. _À cause de l'abbé Boniface ? _De la manière dont il traite ces pauv' bonnes sœurs, surtout ! précise Dharam. _Les Emishen ne sont plus tellement bienvenus au marché non plus. Le sang a été versé. Les Tallalnen et les Lewyllen évitent désormais le village des Dirsen..." Et Virgile de te couler un regard intrigué.

L'ombre couvre bientôt la vallée, les contreforts puis votre perchoir, pendant que l'on se blottit au creux des "couvertures familiales", dans les chariots et jusque entre leurs roues, les pieds tendus vers le petit feu de camp ou assis sur l'unique tronc tombé sur la plateforme. On fait réchauffer un peu de veidhin et d'agneau pour se remettre des émotions, des fatigues et des plaies de la journée.

les crêtes au crépuscule


Durant la Veillée

Lel'Liamil entreprend ses compagnons de bivouac sur 2 sujets : la situation à Celanire et les origines de Virgile

Nael'Dharam, Yehandael et un jeune homme nommé Épine d'Ambre t'explique que, franchement, Celanire, c'est pas l'éclate : il y a quelques lunaisons, peut-être un mois, un nouveau chef dirsen est arrivé là-bas. Il a accusé la mère supérieure d'être « une espèce de méchante sorcière », enfin un truc grave avec leurs grands esprits, il a chassé les 2 Tallalnen et l'Edell'Okhil qui se retapait dans leur infirmerie et il a brûlé vive la pauvre mère-supérieure.

Quand des Lewyllen (de l'aile du Sud : Doma Sholen, le massacre du Pic Blanc, tout ça) sont passé par le village quelques temps plus tard, l'ambiance avait nettement changé : des gardes un peu partout dans les rues qui les regardaient avec méfiance, plein de nouveaux colons construisant des maisons. Les Lewyllen ont donc rapidement troquer un cheval contre du grain mais on a voulu les entuber sur la marchandise, ça s'est énervé et les gardes sont tombés sur les Lewyllen. Après quoi le nouveau chef, il a expliqué aux Lewyllen qu'on voulait plus d'eux ici parce qu'ils sont "païens" et que les Compatissantes ne devraient soigner que les bons impériaux. Alors, évidemment, l'accueil pourrait être plutôt frais.

Quant à Virgile, il n'y a pas que son ouverture d'esprit qui t'épate : il s'est débrouillé bien mieux que Tardil de Bedlam durant l'étape montagneuse, il ne se démonte pas facilement... Interrogé sur sa carrière et ses projets, l'érudit Virgile de Narcejane commence par un petit chant (emishen) à la mémoire d'Horen Rohanan, l'éclaireur Lewyllen (neveu de ton patron, Ethelkaran) qui a trouvé la mort à ses côtés à la Mine Maudite (enfin "Bénie", pour les Remans) : une attention qui semble beaucoup plaire à tes compagnons.

Après quoi il explique en Langue des Vents qu'il a grandit très loin, dans une ville portuaire "encore plus grande qu'Aroche, et toute parcourue de Kerdans et de Fehnri" (ce qui fait bien rire la compagnie) et qu'il a ensuite été à l'école plutôt longtemps. Quand il a quitté l'école pour aller "apprendre du monde", il a vécu tout plein d'aventures avant d'arriver au Pays des Vents, qui lui a beaucoup plu et dans lequel il est resté depuis 8 ans. Il se lasse un peu qu'après plusieurs offres alléchantes, personne ne l'ait effectivement embauché ni pour la guilde ni pour le village, mais comme il a découvert un filon d'argent pas très loin de Tal Endhil, il ne doute pas que l'embauche va venir bientôt. :)

Troisième Jour

L'aube te trouve roulé en boule au fond d'un chariot, perclus de rhumatismes et la goutte au nez. Découvrant de votre plateforme rocheuse le paysage noyé de brume de la Vallée des Cerfs, on charge les attelages et on reprend la piste qui, de faux plat en corniche et de pente en paroi, descend en lacets étroits vers la vallée. Malgré la raideur du terrain, c'est encore la végétation qui pose le plus de problème. À mi-hauteur de votre bivouac, la forêt devient "luxuriante", la pinède de plus en plus épaisse est parcourue de chants d'oiseaux et striées de pistes de gibier : deux cavaliers Lewyllen sont ainsi partis en avant, espérant chasser un peu. Péniblement, les attelages négocie les virages étroits qui s'enchaînent entre les troncs et les rochers, plongeant dans la forêt.

Alors qu'on atteint les contre-forts, le sous-bois brumeux envahit régulièrement la piste, des arbustes poussés en trois mois bloquant parfois le passage jusqu'à ce que la hache de Nael'Dharam n'y remédie. On avance alors lentement dans cette atmosphère duveteuse et humide, les branches claquant ou fouettant régulièrement sur la toile des chariots dont les roues peinent dans l'humus et les racines; on tâche de distinguer le sentier, rarement plus qu'une trouée parmi les buissons et les arbrisseaux, et la pente camouflée par les fougères et la brume, la piste s'étirant toujours plus loin dans l'épaisse forêt. Parfois, à la faveur d'un col ou d'une crête abaissée, quelque rafale de vent disperse le brouillard pendant un moment, vous permettant de voir jusqu'aux cimes des arbres, bercées par un peu de vent.

Soudain, le convoi s'immobilise et, une fois les consignes chuchotées dans les deux langues, fait entièrement silence. Nael'Dharam, Yehandael et deux autres guerriers s'avancent le long du sentier, lances en main. Des craquements et des grognements annonce bientôt la bête, écartant du col branchages et arbrisseaux, et l'ours apparaît bientôt sur le chemin : il tourne un instant sa grosse tête brune vers vous, lâche un long rugissement vers le ciel, et s'en va comme il est venu. La troupe reste aux aguets encore un moment, et la progression reprend. Ce n'est que lorsque les troncs commencent à s'espacer et que les frondaisons s'écartent que vous constatez que le soleil brille haut, que la brume s'est levée dans le reste de la vallée et que, depuis ces alpages boisés, on commence à distinguer les deux crêtes qui séparent le lit de l'Anil'wel du Lac des Frères et du village de Celanire.

820

Bientôt revenus sous les feuillages et rejoint par les deux chasseurs (qui ramènent un faisan), suivant le lit d'un torrent très encaissé qui zigzague dans les accidents d'une pente plongeant au sud-est, chevaux, piétons et cavaliers continuent de descendre lentement le sentier forestiers qui rampe après le ruisseau de combes en épaulements, de zig-zags en virage et creux en chute, jusqu'à ce que vous parvienne la rumeur d'un flot rageur s'écoulant quelques escarpements plus loin. Un cairn moussu, haut comme un enfant, trône là sous un genévrier isolé, et décide tes éclaireurs à obliquer plein sud : "L'gué est par là", annonce 'Dharam en pointant apparemment au pif dans la fûtaie. Après une brève montée boueuse où il a fallu pousser les chariots, vous atteignez un cirque demi-circulaire étagé dans la pente où, après une courte chute, la rivière forme plusieurs bassins dont le plus bas, pas beaucoup plus grand que le village de Tal Endhil, ralentit pourtant le fleuve gonflé de printemps au point de le rendre traversable. Sauf que ça a l'air bien profond : on donne alors un peu de mou à la toile des chariots, la toile formant maintenant des poches entre les suspentes, et on y répartit tout le matériel, les armes, les vivres, les peaux et les vêtements jusqu'à ce que le convoi soit rehaussé, les montures dé-sellées et les caravaniers en pagne.

Après quelques conciliabules dénudés avec les cochers, Yehandael, le sein orgueilleux mais le dos et les bras zébrés de cicatrices, s'avance dans l'eau qui la pousse sans cesse vers le bord relevé du bassin, cherchant ses appuis contre al force du flot. "Avancez !" crie-t-elle bientôt et, après Arlan qui entre dans l'eau froide en entraînant son cheval qui renâcle, les bœufs tirent leurs attelages dans le bassin. Sous le poids relatif de leur chargement, les chariots touchent régulièrement le fond rocheux, mi flottant mi-roulant, sans cesse déportés vers la gauche par le courant. À ton tour, après ton dirsen bedonnant mais avant ton vieux athlétique, tu entres dans l'eau glacée et, tentant d'abord de nager contre le courant latéral, tu te résous comme les autres à tituber en cherchant avec tes pieds assez de prise pour te repousser par petits bonds à la suite des attelages qui n'en finissent pas de couler, de tanguer et de racler vers l'autre rive. Épuisé par le courant et transi de froid, le convoi se rassemble pour le déjeuner autour d'un bon feu de camp, se rhabillant au fur et à mesure qu'il sèche, alors que les bœufs laineux, dégoulinant comme des serpillières géantes, s'ébrouent par moment à la distance respectable où on les a attaché. Entre eux les Lewyllen discutent du voyage déjà accompli, de ce qui vous attend à Celanire et des rares traces de passage qu'ils ont relevé : alors que la région est inhabitée, des Dirsen et au moins un Emishen ont emprunté le même sentier vers l'ouest ces derniers jours.

Une fois la caravane restaurée et à peu près sèche, elle reprend alors la piste qui continue à travers la forêt, parallèlement à la route qui longe le lac d'Acier à quelques lieues de là, pour rejoindre les crêtes qui dépassent des sapins. "Ce soir on campe au pied des collines et, si tout va bien, annonce votre guide en milieu d'après-midi, on sera à Celanire demain en fin de journée.

À peine séchés de votre traversée de l'Anil'wel, vous recevez la pluie : par les trouées dans les frondaisons des mélèzes, vous avez d'abord vu glisser de lourds nuages bas et gris, qui ont bientôt lâché quelques gouttes sur la piste couvertes d'aiguilles roussâtres et de fougères, comme pour vous avertir de l'ondée. Et d'un coup l'eau tombe drue : elle crible les branchages, tambourine sur les attelages et les cailloux, dégouline le long des tildhan et trempe les bêtes.

La drache dure des heures : dans l'ombre des nuages et le rideau épais des gouttes, le sentier devient spongieux sous vos pas, puis se change en bourbier où les chariots tracent de profond sillons qui s'emplissent aussitôt d'une eau brune et clapotante où nagent les aiguilles de pin. Et lorsque le sol commence à s'élever vers le sud-ouest, montant à l'assaut des crêtes, la piste où sabots et mocassins s'enfoncent jusqu'aux chevilles semble s'écouler lentement à contre-courant de la caravane. Les marcheurs les moins lestes y dérapent, les bœufs maculés ralentissent tant les hautes roues cerclées y glissent plus qu'elles n'y tournent. Quand la sente oblique enfin pour grimper une pente rocailleuse, on a presque l'impression d'avoir atteint une rive.

La pluie cesse finalement mais l'ombre s'est installée : au-delà des collines escarpées, le soleil peint brièvement d'orange les nuages qui s'attardent et, bientôt, disparaît. Yehandael commande de marcher encore dans l'obscurité qui s'épaissit et l'on allume -après bien des efforts pour faire prendre l'étoupe humide- quelques torches qui crachotent en avant des chariots, les cavaliers éclairants de leur mieux le passage des attelages vers un épais bosquet de pins dressés sur un promontoire arrondi : là, enfin presque au sec, les voyageurs font enfin halte, épuisés. Malgré la fatigue, l'habitude aide les Lewyllen à se dépêtrer du montage des yourtes et deux chasseurs s'emploient à plumer le faisan pendant qu'Arlan s'acharne pour démarrer un feu de tourbe. Lorsqu'il parvient à en tirer quelques flammes, il l'encercle de petit bois à sécher et l'on monte un tourne-broche avec quelques bâtons : ce soir, le gruau d'avoine sera accompagné de faisan rôti !

Le petit festin ne suffit pourtant pas à démarrer la veillée : éreintés par ces trois jours de piste, la plupart des caravaniers s'assoupissent durant le conte que vous narre Mange-Cailloux. Toi-même, tu n'auras entendu que le début des aventures des deux jeunes elloran qui ont donné son nom au Lac des Frères.

Quatrième Jour

L'aurore pointe à travers les ramures, dorant tout le versant du mont surplombant la caravane qui s'arrache laborieusement au sommeil, avant de démonter le campement. Lel'Liamil a les reins massacrés par le sol rocailleux, des ampoules plein les pieds, mal aux genoux et un méchant rhume lui obstrue les sinus mais il faut admettre que le paysage a de la gueule : de votre promontoire, la forêt chatoie sous le soleil naissant dans un ciel extrêmement clair, rincé par les ondées de la veille, et l'on voit au loin miroiter le Lac d'Acier sous l'ombre du Mont Grison. Avec le retard pris sous la pluie de la veille, néanmoins, il va falloir en mettre un coup pour atteindre Celanire avant la nuit et Yehandael est sans pitié : le petit déjeuner avalé et la toilette faîte, les vêtements de la veille sont mis à sécher à plat sur le toit des chariots et le convoi s'ébranle doucement au pied de la pente rocheuse, en direction de l'épaisse forêt qui tapisse la vallée.

Les premières heures de piste sont presque aussi laborieuses que la veille : il faut régulièrement rouvrir la piste envahie d'arbrisseaux, contourner les troncs tombés durant les tempêtes hivernales, traverser des ruisseaux encaissés et des pierriers instables, mais au moins s'épargne-t-on les incessantes montées et descentes. Car pour vallonnée que soit la région, la sente suit d'assez loin le contour du mont pour sinuer entre les collines et les crevasses, allongeant d'autant le trajet mais permettant de conserver un rythme constant qui s'avère à la longue moins dur que le crapahutage des jours précédents. Mais lorsque, le soleil est enfin levé haut, des colonies d'oiseaux font assaut de chants variés, des grives et des lièvres détalent à votre approche, des nuées d'insectes bourdonnent gaiement, les fleurs s'ouvrent entre les fougères, les champignons se multiplient et, surtout, ça sent bon : l'acide piquant des aiguilles de pins, la sève mielleuse qui exhale quand la forêt se réchauffe, la terre encore humide, la mousse tendre et les lichens... Par instant, un chevreuil ou un grand cerf disparaît entre les troncs. Évidemment, il ne faut pas longtemps pour que les Lewyllen se mettent à chanter et, puisque vous n'avez guère besoin d'être discrets, votre guide laisse faire avec un demi-sourire. La matinée passe ainsi, au rythme des contreforts qui défilent à votre droite et des chants de marche, dans l'odeur estivale, la caravane avalant la piste sinuante avec une bonne humeur inédite. Peut-être que tu n'es pas encore "trop vieux pour ces conneries".

Trop vieux pour prendre la tête, par contre, ou pour devancer le convoi à Solerane. Surtout avec tes deux Dirsen qui traînent pour l'instant à l'arrière : de la voix, du geste, du plaisir évident qu'il a au paysage, Mange-Cailloux soutien la marche du volumineux maquignon. Qui ne se plaint plus, d'ailleurs : il respire profondément, avance d'un pas régulier, négocie son effort. Il a pris le pli. Arlan et au moins deux autres Lewyllen commencent à l'appeler "Dernier Bœuf" et, lorsque Virgile lui traduit la vanne en souriant, le maquignon secoue la tête d'un air mi-amusé, mi-fataliste.

La pause de midi reste la bienvenue : au bord d'un ru clair coulant entre quelques pierres, on se pose un moment, on mange, on remplit les gourdes. Mais après quelques apartés, Yehandael et Nael'Dharam annoncent que les chasseurs à peine assis doivent partir en avant : le convoi n'arrivera pas à Celanire avant la nuit et l'on va manquer de vivres pour le soir et le lendemain, après le don fait aux Sentinelles. Alors il faut profiter de l'occasion pour chasser et cueillir. Trois jeunes gens laissent ainsi leurs montures aux piétons et s'en vont à petites foulées dans la forêt, rendez-vous à la chute des Hérissons à l'heure du Cerf (1).

820

La pause terminée, les Dirsen et toi montez en selle et reprenez la route. Au pas rallongé des chevaux, seulement freiné par les attelages, la forêt se déroule un peu plus vite et la piste se redresse en s'éloignant des pentes : un détour vers le sud-est pour aborder une côte plus douce et passer les derniers épaulement qui barre l'accès vers le torrent baptisé Cyolaygh, étroit mais furieux en cette saison, qui dégringole par une gorge profonde jusque dans la vallée où, des dernières hauteurs dégagées, les teintes vert tendres succédant à la forêt annoncent déjà les bosquets épars et les cultures des Dirsen.

Un nouveau cairn, à peine haut d'une coudée, indique à qui sait où chercher une étroite langue terreuse qui serpente entre les hauts sapins, les arbustes et les rochers pour rejoindre les berges du torrent. À nouveau les chevaux sont attelés, un à l'avant et deux à l'arrière de chaque charrette, pour aider les bœufs laineux à négocier ce devers en biseau dont les épingles à cheveux vous obligent quasiment à faire halte pour tourner. À la suite de Nael'Darham -qui a démonté pour mener sa jument par la bride, tu conduits l'étalon qu'on t'a confié et qui retient le second chariot dans la pente abrupte. Le cheval renaude un peu mais, avec le soutien de la puissante jument que Sifenen Arlan guide des deux mains à tes côtés, votre attelage atteint lui aussi sans heurt le fond humide de la combe. Éclaboussé par les virages et les rebonds du torrent, le convoi suit en glissant et en cahotant l'étroite berge tapissée de rochers et de gros galets où la mousse s'épanouit dans l'ombre fraîche de la ravine où, au fil de la descente, les sapins cèdent peu à peu la place aux feuillus. Les parois rocheuses s'inclinent à leur tour, la piste se couvre de terre et s'étale, bourbeuse, entre des ornières boueuses marquées de récents passages de piétons et montures non-ferrées. Et par les trouées de plus en plus large de la végétation, on commence à distinguer le Lac des Frères en contrebas. Un dernier méandre, un ultime escarpement et le torrent se jette en une cataracte blanche, brève mais bruyante, qui crépite sur les rochers aigus que le sentier rejoint par quelques lacets supplémentaires, et où les deux chasseurs vous attendent avec un air satisfait dans la lumière mordorée de cette fin de journée, un daim couché en travers d'une selle.

Enfin réunie et certaine de dîner ce soir, la caravane tâche d'accélérer sur la piste qui, à la lisière des bois s'évase en un véritable chemin, creusé par des passages qui devaient être fréquents avant le printemps, mais que les chardons investissent déjà. Quoique les Lewyllen n'y prêtent guère attention, Virgile te désigne en passant une de ces stèles qu'installent les Dirsen, usée par les décennies mais récemment brisée presque à raz du sol et qui disparaît aujourd'hui dans les herbes folles : dans les débris épars, on peut encore reconnaître un œil et le front bouclé d'un visage de granit qui devait être presque aussi grand qu'un bouclier et qu'on s'est acharné à raser il y a sans doute quelques semaines : travail de Kormes.

Le crépuscule rougit alors que vous croisez un bosquet d'où pointait un angle de pierres noircies : derrière sa palissade de fascines abattues dans les ronciers et son portail de rondins enfoncé, une ferme remane qui devait compter au moins trois corps de bâtiments gît, comme une carcasse éventrée par l'incendie qui a consumé le chaume, les charpente et jusqu'aux branches premiers arbres du bosquet. À en juger par les lichens qui commencent à ronger les restes d'une porte ou les poussent printanières qui jaillissent des vestiges d'un hâtre, le feu doit dater des dernières neiges. Si nombre de tes lewyllen t'interrogent du regard et se tournent vers Mange-Cailloux, qui contemple les ruines avec une expression douloureuse, Yehandael tâche d'activer le convoi : la nuit noire tombera bientôt et il faut avancer. "Je connaissais ces gens..." lui explique l'érudit qui vient de trouver cinq tombes, encore bombées de terre, mais que fleurs et chiendent se disputent déjà. Le vieil homme s'agenouille, observe un instant les planches pointues qui forment un arc brisé à la tête de chaque tombe : y sont peints (mais déjà à moitié effacés) les visages de deux couples et d'un enfant. Il se recueille là pendant un instant, saisit une pognée de terre, prononce ce qui doit être une prière et se relève : "J'ignorais que les hommes de Lashdan étaient venus dans ce canton." conclue-t-il sombrement avant de reprendre la route d'un pas qui semble alourdi. En prononçant quelques formules de consolation, les Lewyllen qui le doublent lui tapotent le bras ou lui pressent brièvement l'épaule et les ombres allongés de la caravane passent bientôt sur des champs récemment labourés mais déserts à cette heure tardive, parfois bordés de tas de bois (où Sifenen Arlan prélève quelques bûches pour le soir). Au bout d'un sentier mal entretenu qui part vers la gauche, on peut encore apercevoir la silhouette hérissée de solives d'une seconde ruine, peut-être un hameau, et bientôt celle d'une ferme sans doute fortifiée, dominant les près et les labours du haut d'une colline au sud-est où conduit un sentier récemment emprunté. Une cheminée y fume doucement dans les dernières lueurs du soir, mais Yehandael préfère passer outre que de compter sur une hospitalité que les Dirsen pourraient fort bien ne pas vous accorder.

La nuit est tout à fait noire et les lunes pâles pointent déjà derrière les hauts sommets de l'Échine du monde, à l'ouest, quand le convoi entre à tâtons dans un petits bois presque cernés de champs et tâche de monter le camp entre les troncs des bouleaux bas et des hauts peupliers. Un petit feu, que la Tallalnen a voulu qu'on construise au fond d'un trou pour n'être pas visible de la route qui continue vers le sud à quelques portée de flèches, éclaire bientôt le flanc des véhicules installés en paravent et l'un des chasseurs commence à dépecer le daim, pendant qu'une jeune femme vide les entrailles puis dégage le cœur, donné aux flammes en remerciement de cette chasse favorable. Les Emishen interrompent alors leurs tâches pour entonner avec elle un hymne lent et bas, qui célèbre l'arrivée des voyageurs fourbus. Pendant qu'on foule une aire assez large pour monter une unique yourte, qu'on bouchonne les chevaux et qu'on découpe une patte du gibier pour la mettre à rôtir, les caravaniers rejoignent un à un les abords du foyer et, lorsque vous êtes tous rassemblés dans l'odeur alléchante, Yehandael annonce : "Celanire n'est plus qu'à une heure au bout de ce chemin. On m'attends plus au sud, mais je vais rester avec vous jusqu'à ce que Lel'Liamil rentre du village des Dirsen." La plupart des regards se tournent vers toi et Sifenen Arlan, grattant sa courte barbe auburn, finit par demander : "Tu es sûr que tu ne veux pas que je vous accompagne demain matin ? Si ce Boniface est tel qu'on le dit, je m'en voudrais de vous laisser sans protection, Dernier Bœuf, Mange-Cailloux et toi. Je commence à prendre l'habitude de traiter avec les Dirsen et puis, si vous trouvez le grain pour les Talendan, tu auras bien besoin d'un cocher de plus pour vos deux chariots..." Et tes autres caravaniers d'approuver du chef. Quand Virgile lui a traduit la proposition, Tardil de Bedlam fait remarquer : "J'ai ma grande couverture brune... En l'attachant au col avec un cordon, ça pourrait faire une cape assez remane pour que Siffeunaine y dissimule ses traits et son épée, peut-être même un arc..." Arlan quête ton approbation du regard.

Carte

Cascades-Celanire.png

Légende : Au départ du Cercle des Cascades, vous avez d'abord fait un détour vers l'ouest pour rejoindre la piste qui longe la Pointe Bleue vers le sud, et avancé d'un pas soutenu pour atteindre le col Algide (c) peu après la tombée de la 1° nuit (1), que vous avez passée auprès des Sentinelles. Le chemin de crête et les passerelles mobiles (ou branlantes) ont occupé toute la matinée du lendemain jusqu'au "refuge" (A), la fin de journée vous ayant trouvé harassés au promontoire où vous avez monté votre 2° bivouac. Le troisième jour vous a vu descendre vers l'Anil'wel, traversé au tumultueux bassin (B), avant de serpenter sous la pluie dans la forêt vers les contreforts pour votre 3° nuit. Vous avez suivi le mont par l'est jusqu'à la gorge du Cyolaigh (C) pour descendre dans la vallée par la chute des Hérissons et camper pour la 4° nuit à moins d'une lieue de Celanire.