20) "La Vallée des Ossements" : Différence entre versions

De Marches du Nord
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(ÉPILOGUE)
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Inquiets, ses camarades s'approchèrent, le secouèrent en vain et le retournèrent : traçant des rigoles dans son maquillage de cendres, le sang s'écoulait peu à peu de sa mâchoire pendante, de ses narines, de ses yeux et de ses oreilles.
 
Inquiets, ses camarades s'approchèrent, le secouèrent en vain et le retournèrent : traçant des rigoles dans son maquillage de cendres, le sang s'écoulait peu à peu de sa mâchoire pendante, de ses narines, de ses yeux et de ses oreilles.
 
Il était mort.
 
Il était mort.
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Il fallu encore plusieurs heurs pour rattraper les chevaux échappés, confectionner des travois et y sangler les dépouilles des Sentinelles. Gisant auprès de lame-Droite, le lieutenant Neige-en-Été (Nevel Sholdanan) était couvert de plaies mal soignées, jambes et mains entravées par des liens de cuir compliqués : il avait du lutter beaucoup, chercher à s'enfuir plus d'une fois et les Kormes s'étaient pourtant efforcé de le garder en vie.
 
Il fallu encore plusieurs heurs pour rattraper les chevaux échappés, confectionner des travois et y sangler les dépouilles des Sentinelles. Gisant auprès de lame-Droite, le lieutenant Neige-en-Été (Nevel Sholdanan) était couvert de plaies mal soignées, jambes et mains entravées par des liens de cuir compliqués : il avait du lutter beaucoup, chercher à s'enfuir plus d'une fois et les Kormes s'étaient pourtant efforcé de le garder en vie.
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Au soir du quatrième jour, quand la troupe atteignit le campement de la manade du Couchant ou Arc-Chantant avait changé ses chevaux, l'accueil fut assez "frais"...
 
Au soir du quatrième jour, quand la troupe atteignit le campement de la manade du Couchant ou Arc-Chantant avait changé ses chevaux, l'accueil fut assez "frais"...
  
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Situé sur les berges de la Mer Cernée, à l'émissaire [1] du Fleuve-aux-Cinq-Bras, le campement des Liam'Lon du Couchant comptait peut-être 200 cavaliers de tous âges. Installés par petits groupes de yourtes familiales, ils stationnaient là depuis maintenant deux huitaines (le temps de pêcher, de faucher et tresser des joncs, de tanner du cuir...) et la plupart étaient déjà impatients de repartir.
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Leur doyenne, Rit-sous-l'Ouragan, accueillit les Sentinelles avec autant de politesse que de circonspection : elle ordonna qu'on prépare un bûcher funéraire pour leurs morts, elle les invita à participer à l'éternel ragout [2] et à raconter leurs aventures (les récits d'Avant-l'Aube, d'ordinaire si éloquente, manquaient ce soir-là d'enthousiasme). Elle rendit surtout aux Sentinelles les chevaux qu'Arc-Chantant avait laissé se reposer parmi les leurs.
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        Mais avant cela, "Ouragan" demanda que les visiteurs campent à part, recommanda aux gens de sa manade de ne pas coucher avec eux [3] et réclama que les Sentinelles participent à une nouvelle cérémonie d'offrandes aux esprits, menée par le barde Flûte-Ciselée (en l'absence de véritable chaman) : Avant-l'Aube, Regard-Caché, Fils-d'Ours, Chêne-des-Anciens et même Éclat-de-Glace durent y verser du sang, en signe d'expiation.
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La manade déplaça aussi toutes les tentes et yourtes installées à moins de 100 pas de la rive, ce qui provoqua de nombreuses râleries mais devait mettre les familles hors de portée d'éventuelles représailles du Dieu-du-Fleuve, que les Liam'Lon avait en effet aperçu deux jours auparavant et qui croisait fréquemment dans la Mer Cernée.
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Le dîner terminé, elle expliqua aux Sentinelles qu'elle comprenait leurs raisons : dans sa jeunesse, elle avait rencontré des démons (le plus souvent incarné dans des animaux) et même vu son père se résoudre à tuer un de ses cousins, possédé par un Esprit-Maivaus, dont les mains avaient pris feu et qui attaquait tous ceux qui l'entouraient de ses moignons noircis, provoquant de graves brûlures et de multiples incendies. Mais pourtant, elle n'aurait pas fait le même choix : elle aurait élevé l'enfant dans l'isolement, ne serait-ce que le temps de vérifier s'il était maléfique, ou ne serait-ce que sujet à la possession.
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        En agissant "dans la précipitation, sous l'empire de la peur", les Sentinelles avaient à ses yeux commis une grave erreur, peut-être même un crime, et les Liam'Lon ne pouvaient se comporter comme des barbares du Sud : le meurtre d'un enfant devrait être discuté et jugé entre les manades, à la Croisée des Pistes. Rit-sous-l'Ouragan avait déjà envoyé des oiseaux-messagers aux manades du Croisement, du Grand Pin [4] et de la Côte, et elle insistait pour qu'au moins Levée-Avant-l'Aube se rende elle-même à la Croisée pour expliquer le geste de son équipe.
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Dans tous les cas, elle ne doutait pas qu'au moins le chef Racine-Noueuses en profiterait pour rompre ses engagements vis-à-vis des Sentinelles, ne serait-ce que pour ne pas leur verser de tribut après la saison des élans, mais elle-même n'était pas encore décidée et prendrait conseil auprès de la Chamane-aux-Longues-Vies...
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* ''Levée-Avant-l'Aube prit la nuit pour réflexion. Avant la fin de la nuit, elle se leva et s'éclipsa. Lorsqu'elle revint au campement, elle était lavée, mais ses cheveux étaient attachés, symbole de son deuil. S'avançant vers la Doyenne, en train de déjeûner, elle lui dit :
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"J'ai pris ma décision. L'acte perpétré n'a été commis ni sur la Territoire du faucon chanteur ni par une de ses tribus. La décision a été prise par des sentinelles de l'orage. En tant que porteuse de ce groupe, j'irai le représenter auprès de Kal Khiran. Il jugera nos actes. Dès que ce sera possible, et si c'est possible, je me rendrai ensuite à la Croisée. Non pas en tant que Sentinelle, mais en tant que Liam'Lon. Chacun des actes de mes compagnons m'engage. Je suis donc responsable de la mort de cet enfant tout autant que si j'avais été le bras qui portait l'épée."''
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Cette nuit-là comme les précédentes, la plupart des Sentinelles firent des cauchemars. Encore une fois, ils furent bien pires pour Regard-Caché, qui par ailleurs vomissait tout ce qu'elle ingurgitait et s'affaiblissait de jour en jour, et pour Chêne-des-Anciens, dont la surdité persistait.
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Dans leurs rêves, toutes deux se voyaient poursuivies par le Loup Efflanqué année après année : il les égorgeait de ses crocs dans la forêt, il répandait la maladie dans leurs familles, il transformait leurs enfants en charogne dans leurs ventres.
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Le bras gauche blessé d'Éclat-de-Glace avait noircit, gagné par la gangrène, et provoquait des fièvres que personne ne pouvait soulager. Le barde Flûte-Ciselée recommandait qu'on l'ampute mais le garçon refusait obstinément d'être ainsi privé de son métier d'archer, et le chaman le plus proche se trouvait à plusieurs jours de chevauchée : Éclat-de-Glace ne survivrait probablement pas au trajet...
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Toute la soirée, Chêne-des-Anciens plaida et négocia avec Éclat-de-Glace, abruti par la fièvre. En vain : le jeune archer refusait de perdre son bras pour sauver sa vie.
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Quand il finit par s'effondrer dans le sommeil, sa tante chercha de l'aide auprès des Liam'Lon et des Sentinelles, mais la plupart lui renvoyèrent le même refus : le jeune homme était adulte, et aussi stupide que soit sa décision, elle lui appartenait. "Tu as déjà tué un gamin, tu veux en taillader un autre ?!" lui répondit même une des Sentinelles, un dénommé Lanière-de-Cerf qui avait était le premier à tirer son nerhil contre Lame-Droite dans la Vallée des Ossement.
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        Chêne-des-Anciens considéra ses options : Regard Caché tenant à peine debout, Fils-d'Ours était muré dans le silence depuis des jours et Avant-l'Aube... La lancière parlait peu, mangeait encore moins et se tenait la plupart du temps à l'écart, scrutant l'horizon et appelant son faucon, qui ne venait pas. La mort du bébé avait creusé un fossé entre les deux femmes, et Chêne, après tant de refus, n'osa pas lui demander son aide pour braver un nouvel interdit.
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Mais le barde Flûte-Ciselée avait écouté le plaidoyer de l'Edell'okhil sans mot dire, en grattant sa courte barbe grise, et quand elle se trouva seule il pencha sa longue carcasse vers la guerrière courtaude pour l'entraîner à l'écart.
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« J'assume mon diagnostic jusqu'au bout : ton neveu mourra bientôt s'il n'est pas amputé. Il a peut-être fait son Rite de Passage, mais il est jeune, orgueilleux, inconscient du risque et son esprit est embrumé par la fièvre : ce sont de mauvaises raison pour le laisser décider de sa mort. Je t'aiderai.
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Mais il faudra faire la chose vite et bien, car si le garçon se débat, la manade risque de se retourner contre toi... »
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Les deux lunes étaient hautes par-delà les collines du sud, le campement des Sentinelles comme celui de la mande du Couchant étaient largement endormis.
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Quand le barde ficha un flambeau près de la couche d'Éclat-de-Glace, le front ruisselant du blessé ne se fronça même pas. Haletant et tremblant dans son sommeil, il ne réagit pas plus quand le Liam'Lon déposa une grosse bûche à sa gauche, plaçant précisément la pièce de bois à une coudée du dormeur. Flûte-Ciselée s'attacha alors une longue lanière de cuir au poignet, la fit passer autour d'un bouleau proche et rapprocha du garçon la boucle qu'il avait noué à l'autre bout. Dégainant son poignard de bronze, il se tourna alors vers Chêne-des-Anciens :
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« Je suis prêt, murmura-t-il. »
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Alors la guerrière tira des flammes sa hache d'armes, qu'elle avait patiemment affutée pendant plus d'une heure avant de la mettre à rougir dans le plus proche feu de camp, et le barde écarta les fourrures d'Éclat-de-Glace pour trancher l'écharpe qui retenait son bras blessé. Avant que le jeune homme n'ait complètement émergé du sommeil, Flûte-Ciselée avait passé le nœud coulant autour du bras noirci d'Éclat, lui arrachant un gémissement plaintif en le verrouillant par un nouveau nœud.
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Puis le vieil homme s'agenouilla franchement sur la poitrine de l'archer et, d'une vive traction relayée autour de l'arbre, serra fortement la lanière sur le coude : Éclat-de-Glace hurla de douleur quand son bras se tendit brutalement contre la bûche, réveillant les Sentinelles alentours.
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Voyant arriver la hache grésillante, il écarquilla les yeux d'horreur, se cabra de toutes ses forces et envoya bouler le vieux barde en criant « NON ! NOOOON ! ». La hache à moitié levée, surplombant le garçon qui remuait dans tous les sens alors que les Sentinelles s'éveillaient les unes après les autres, Chêne-des-Anciens ne savait plus que faire...
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Mais avant qu'Éclat aie pu défaire le nœud, Arc-Chantant, surgie de nulle-part, le saisit à bras-le-corps, le rejeta sur sa couche et l'y plaqua de toutes ses forces : « Maintenant ! » ordonna-t-elle.
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La guerrière coinça le coude de son neveu sous son pied et le fer brûlant s'abattit, tranchant l'avant bras et la lanière à raz du nœud pour se planter dans la bûche.
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Alors que sa tante maintenait le fer rouge contre la plaie, le hurlement d'Éclat-de-Glace résonna loin sur le rivage, alertant toute la manade du Couchant et effrayant les oiseaux qui s'envolèrent par centaines de leurs perchoirs nocturnes. Il fallu encore forcer le garçon à avaler la tisane d'herbe-nuage que Flûte-Ciselée avait préparée, mais il s'effondra ensuite dans un sommeil sans rêve.
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L'affaire déplu souverainement à la manade mais, à nouveau, la chose était faite. Les Sentinelles reprirent la route dès l'aube, et Rit-sous-l'Ouragan leur signifia qu'elles ne seraient plus les bienvenues parmi les Liam'Lon du Couchant. Malgré l'herbe-nuage qui l'abrutissait encore, Éclat-de-Glace avait pleuré et maudit sa tante dès qu'il s'était réveillé, et elle avait du le hisser en selle de force, montant derrière lui pour le maintenir contre elle en prenant le trot.
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Debout sur une colline proche, Flûte-Ciselée fut le seul à saluer leur départ.
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À travers les collines boisées qui séparaient le bassin du Fleuve-aux-Cinq-Bras de la vallée du Fleuve Brun, la cohorte chevaucha tout le jour sous une bruine fraîche et dans une ambiance hargneuse : l'amputation forcée avait divisé la troupe, et ceux qui y voyaient une transgression de plus échangeait des invectives avec la minorité qui défendait Chêne-des-Anciens.
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Sourde aux chamailleries, Arc-Chantant avait repris la tête des cavaliers et chevauchait loin en avant.
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Elle avait décidé de "rentrer au plus court" par la piste de la [[Cordillère des Soupirs]], empruntant le col à l'est de l'Anche plutôt que de contourner les Eaux-Noires, longer ensuite le Vieux Brasier par le sud et remonter la Vallée des Lacs en Paliers sans s'approcher de Tal Endhil ("Le Chaman-Lancier a donné des instructions : on ne va pas chez les Dirsen tant que ça peut faire des histoires avec leur Grand-Chaman..."). La troupe s'arrêterait alors chez les Edell'okhil du Lac Deuxième avant de franchir le fleuve par le Gué des Rapides, remonter au cercle des cascades et, finalement, atteindre le Col de l'Aïeule.
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Mais Avant-l'Aube connaissait bien la région et n'était pas dupe : cet itinéraire, plus éprouvant, permettait aussi d'éviter au maximum de rencontrer des Liam'Lon pendant le trajet...
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Au soir, on avait donc établit le bivouac à une fourche de la piste, à la pointe ouest du lac des Castors (ainsi nommé puisqu'il est le résultat de leur plus grand barrage). Des traces de feux récents indiquaient qu'une caravane de Lewyllen était passée par là quelques jours auparavant et en démontant le petit tertre de pierres en bordure du chemin, Traque-les-Ours découvrit que les Corneilles y avaient laissé un sac de noix, du miel et des airelles séchées, alors qu'une lourde jarre décorées des vaguelettes de la manade de la Côte contenait une bonne réserve de viande fumée (la saison de l'élan avait du être généreuse) : des mets qui s'ajoutèrent dès lors au repas du soir.
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En échange, Traque-les-Ours laissa une dizaine de pointes de flèches en fer emballée dans une peau de lapin où il traça des vaguelettes à la suie, pour indiquer les destinataires.
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Éclat-de-Glace était progressivement sorti de sa torpeur mais quand il refusa de manger, lançant l'écuelle à travers le campement et agitant son moignon bandé sous le nez de sa tante mortifiée en lui hurlant des insultes, Arc-Chantant n'y teint plus et laissa soudain éclater sa colère en gueulant :
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« Elle t'a sauvé la vie, petit con ! Tu as perdu ton bras, tu ne tireras plus à l'arc, mais tu pourras encore manier la lance ou le glaive et combattre pour ton clan ! Tu pourras trouver une femme qui supporte ton caractère de merde, tu pourras encore baiser, et chanter, et chevaucher sous le Vent ! Tu pourras encore VIVRE, pauvre con ! »
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La bourrasque de l'archère ayant au moins fait taire le jeune Edell'okhil, elle reprit sur un ton à peine plus doux : « Je suis Arc-Chantant. Quand j'avais ton âge, j'ai voyagé jusqu'au Pays des Glaces pour me procurer l'arc qui m'a valu ce nom. Pour convaincre un connard de Tallalnen obtus de me le céder, j'ai du aller chasser un putain d'ours noir avec ce cinglé ! J'ai encore les griffures de la bête sur la cuisse et j'ai quand-même du laisser toute la prise à son clan !
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Avec cet arc, j'ai nourri ma famille depuis plus longtemps que tu n'es tombé du ventre de ta mère. J'ai un jour du tué deux Dirsen qui voulait me le voler. Mes flèches ont fait basculé des batailles, elles ont incendié des navires, elles ont abattu plus de Kormes et de maraudeurs que tu n'as rencontré de gens dans ta vie !
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          Et bien si je devais sacrifier mon bras gauche, et mon arc, et mon nom pour sauver ma vie, je le trancherais moi-même ! Au couteau, s'il le faut ! Je n'attendrais pas qu'on m'y force par un caprice de gamin geignard ! Chêne-des-Anciens t'a sauvé la vie ! Et si tu es trop con et trop jeune pour t'apercevoir du cadeau que ça représente, attends pour la remercier d'être amoureux, attends d'avoir des gosses, attends qu'on compose des chansons sur tes exploits. Mais par le Vent je te jure que si tu vis un peu, tu la remercieras.
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Tu t'es joint aux Sentinelles de toi-même, tu t'es lancé dans une aventure comme peu de gens en ont vécu, tu as risqué ta peau de nombreuses fois et, finalement, tu y as laissé un bras : ça peut te paraître injuste, mais c'est NORMAL ! Ça arrive, les blessures, quand on part au combat !
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Maintenant, choisis si tu veux continuer à nous percer les oreilles de tes gamineries, ou si tu vas te comporter comme un guerrier digne de l'Aigle-à-Tête-Blanche et apprendre à manier le javelot. Mais pendant que tu y réfléchis, je te conseille de serrer les dents pour éviter de dire des conneries ! Et tant que tu seras dans MA troupe, tu traiteras avec respect et ta tante, et mes cavaliers, et la bouffe qu'on te prépare ! »
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Elle se rassit alors pour finir son repas, Chêne-des-Anciens enlaça son neveu abasourdi et il pleura longuement au creux de son épaule.
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Quand le jeune homme fut enfin endormi, Traque-les-Ours s'approcha de la guerrière edell'okhil, s'assit à ses côtés et, après lui avoir dit qu'il approuvait son geste, il lui parla de la manade de la Côte.
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Parmi les siens, expliqua-t-il, dans la troupe du chef de guerre Cimier-Verdoyant, vivait un artisan infirme mais très talentueux : Bercé-par-les-Esprits. Pas beaucoup plus vieux qu'Éclat-de-Glace, Bercé-par-les-Esprits était né avec une jambe tordue qu'aucun chaman n'avait pu redresser, qui l'empêchait de courir et de grimper aux arbres, de combattre et même de chasser autrement qu'à cheval.
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Mais en échange de son infirmité, le Vent lui avait donné le pouvoir de parler aux Esprits et d'insuffler leur pouvoir dans les objets qu'il tirait du bois. Il faisait des lances qui ne se brisaient jamais et des amulettes qui éloignaient les maladies, des instruments de musique dont les notes émouvaient jusqu'aux loups et des pirogues qui résistaient aux rapides.
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Alors, se disait Traque-les-Ours, comme un bras d'arc n'est jamais qu'une perche tendue contre laquelle on bande la corde, et comme il resté un moignon d'avant-bras au jeune archer, peut-être Bercé-par-les-Esprits saurait-il lui fabriquer un bras de bois ?
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Ni Chêne-des-Anciens ni Éclat-de-Glace ne devaient plus rien aux Sentinelles et, s'ils voulaient emprunter deux chevaux pour rejoindre la manade de la Côte, qui n'était sans doute qu'à deux ou trois jours vers le nord-est, ils pourraient y consulter Bercé-par-les-Esprits et prendre pour Traque-les-Ours quelques nouvelles de ses parents...
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La nuit fut pourtant mauvaise pour Chêne-des-Anciens : elle rêva encore du Loup Efflanqué, et d'une gangrène purulente qui dévorait lentement tous les gens autour d'elle.
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Au réveil, dans l'humidité matinale que le feu de camp ne pouvait éloigner tout à fait, elle exposa pourtant son projet à son neveu : il accepta sans enthousiasme, par complaisance. Arc-Chantant leur confia des montures, en précisant qu'ils devraient les rapporter au Col de l'Aïeule quand ils rentreraient auprès des leurs, et les deux Edell'okhil prirent congés de leur compagnons.
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>> Si Levée-Avant-l'Aube ou Fils-d'Ours veulent échanger des adieux ou des cadeaux avec leurs compagnons d'aventure, c'est le moment.
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Après quoi ils s'en furent en longeant le Fleuve Brun, vers le comptoir des Dirsen-Orange et les pistes littorales où courrait la manade de la Côte.
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C'est en démontant le bivouac qu'on réalisa que Regard-Caché ne s'éveillait pas. On avait d'abord mis sa "grasse-matinée" sur le compte de la fatigue accumulée, de la tristesse ou -étant donné son caractère- sur l'esquive volontaire des adieux.
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Mais quand on l'appela et qu'on la secoua, elle ne fit que gémir sans reprendre conscience. Et elle tremblait.
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Deux Sentinelles tentèrent de la mettre sur ses jambes : elle marmonna d'abord, puis soudain se débattit en hurlant, frappant et griffant les guerriers atterrés... et s'écroula comme une poupée de chiffon, inanimée.
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Toute la troupe ayant connu les mauvais rêves depuis la Vallée des Ossements, il ne fallu pas longtemps pour que quelqu'un suggère qu'elle était prisonnière d'un cauchemar, ou que le Démon la possédait.
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"Il lui faut un chaman... conclut-on.
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_D'accord, acquiesça, Arc-Chantant, mais pas ici. Pas chez les Faucons-Chanteurs. Le Chaman-Sacrifice est au Lac Deuxième : à bonne allure, nous y serons dans trois jours..."
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Traque-les-Ours monta Regard-Caché en selle devant lui, Avant-l'Aube prit le cheval restant par la longe et les cavaliers avalèrent la piste au galop. Toutes les deux ou trois heures, on faisait halte près d'un des torrents qui striaient les contreforts pour boire, souffler un peu et échanger les montures : Traque et Regard passaient sur un cheval frais, celui que leur poids cumulés venait d'épuiser était pris en remorque, et le galop reprenait.
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Les arbres défilaient, la berge bourbeuse du Fleuve Brun se redressait de plus en plus et, à mesure que la piste prenait de l'altitude, les rives se hérissait de pierriers et de blocs rocheux.
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Passé midi, les pentes étaient trop raides pour maintenir plus que le trot, puis le pas, mais les cavaliers forcèrent encore vers l'amont, vers le col. À travers une forêt de moins en moins dense, bientôt réduite aux sapins et aux fougères, on franchit l'épaulement dans l'ombre allongée du Vieux Brasier, à l'ouest.
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On poussa encore durant le crépuscule, car des nuages noirs menaçaient par le nord et que Traque-les-Ours insistait pour qu'on campe sur le versant sud, plus boisé et mieux protégé.
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Il fallu tout de même tendre des toiles entre les sapins pour se protéger des averses, qui se succédèrent toute la nuit, zébrées d'éclairs et rythmées de tonnerre.
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Au matin, Regard-Caché était brûlante de fièvre. La troupe détrempée et fatiguée s'élança pourtant dans les zigzags incessants de la piste qui descendaient vers la vallée. Après les orages, le ciel était si clair qu'on distinguait presque la côte de la Baie des Langueurs, en tous cas les tâches brillantes du lac de l'Ermite [5] et, plus au sud, du Lac-à-Tourbe où Liam'Lon et Lewyllen "du Silond" s'approvisionnent en combustible.
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Le paysage disparut derrière la forêt où s'enfonçait le sentier et l'ont repris le galop : un petit tertre, couvert de mousse, marquait une nouvelle fourche et, après un nouvel échange de monture, on prit vers la droite, à l'ouest, rejoignant bientôt un torrent qu'on longea vers l'amont, remontant cette fois vers le haut-plateau qui s'appuie aux Écailles-du-Serpent.
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Trottant à l'arrière sur son cheval suant dans les pentes et observant la double-pointe de la montagne, Fils-d'Ours pensa qu'elle ressemblait effectivement aux excroissance sur le crâne gigantesque du Dieu-du-Fleuve ; une large dépression arrondie y figurait même l’œil gigantesque du monstre. Pour la première fois, il compris qu'on avait baptisé le sommet comme un avertissement aux présomptueux qui voudraient s'aventurer au-delà...
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La chevauchée ne s'interrompit qu'à la nuit. On monta le camp au bord d'un petit torrent qu'Arc-Chantant disait se déversait dans par un marais jusque dans le Lac Quatrième, au nord de la presqu'île appelée l'Ergot de Forêt, où Kerdans et Talendans comptaient bâtir une nouvelle ville.
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En pleine nuit, Regard-Caché fut secouée de hurlements terribles, et Avant-l'Aube préleva dans son paquetage un peu d'herbe-nuage qu'elle fuma et lui souffla au visage jusqu'à ce qu'elles se détendent toutes deux.
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Durant son tour de veille, Fils-d'Ours aperçu deux yeux jaunes qui le fixait depuis les ténèbres, au-delà de la lumière du feu de camp : il fut pris d'un frisson mais, cette fois encore, se garda d'en parler aux autres.
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1] un joli mot pour désigner le cours d'eau sortant d'un lac.
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2] comme quelques autres clans nomades, les Liam'Lon consacrent fréquemment une grande marmite de terre cuite à un ragoût perpétuellement renouvelé : chaque soir, on y réchauffe les restes de la veille en ajoutant les ingrédients récoltés durant la journée, tous ceux qui veulent en manger apportant quelque chose pour contribuer aux saveurs de "la compagnie du moment" (viandes, poissons, racines, courges, noix, herbes aromatiques, salicorne...). Ils aiment alors à raconter comment un de leurs aïeux a commencer le ragoût avec un gibier qui survit au moins "en esprit" dans la recette du jour...
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3] parce qu'en temps normal, chez les Liam'Lon comme chez les Elloran, les visiteurs sont l'occasion de "varier les plaisirs".
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4] c'est la manade d'origine de Levée-Avant-l'Aube.
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5] Un Tallalnen un peu cinglé ayant occupé l'île de ce lac, tout seul pendant des décennies : aujourd'hui, il est probablement mort et desséché...
  
 
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Version du 3 février 2016 à 16:43


ÉPILOGUE

Dans cette vallée pétrifiée, seulement remplie de cendres, de pierres ou de carcasses et que les lourds nuages noirs ne quittaient toujours pas, sur la berge d'une rivière bouillonnante aux eaux assombries de pourpre, Chêne-des-Anciens tenait le vote décisif. Et quand elle a énonça « Elle meurt.», Arc-Chantant (Maliam Lelpen) et Traque-les-Ours (Falnen Be'hemshar), les Sentinelles à cheval et leurs éclaireurs Liam'Lon du Couchant, tous comprirent que vous étiez décidés à commettre le pire crime que connaisse le Peuple du Vent : tuer une enfant. Avant-l'Aube ('Nil Sholenshen) et les Liam'Lon pâlirent, la lourde tête de Fils-d'Ours s'affaissa, mais des protestations s'élevèrent et des armes sortirent des fourreaux dès que Lame-Droite s'empara du bébé : Arc-Chantant, pour avoir déjà combattu Urgrand et le Loup Efflanqué, ordonna à ses cavaliers de de ne pas bouger : « Nous sommes arrivés trop tard ! Même Levée-Avant-l'Aube est arrivés trop tard ! La chose est faîte ! Etayn-la-Louve et le démon ont engendré : ramener cette enfant parmi les tribus scellerait leur perte. Les volontaires ont bravé les Kormes et le Dieu-du-Fleuve pour l'empêcher, ils sacrifient maintenant leur honneur et leur après-vie pour nous en protéger : si le poids de leur choix pèsera sur toutes les Sentinelles, la décision leur appartient. Et moi, qui suis mère, je crois qu'elle est juste...»

Les Liam'Lon qui allaient argumenter furent interrompus par une plainte stridente, qui vrillait les tympans et tordait les entrailles : son poignard de bronze, fiché à travers la minuscule poitrine de l'enfant tombée sur les galets, Lame-Droite s'effondra à ses côtés, comme abattu par le cri. À trois pas de lui, pressant ses paumes sur ses oreilles pour empêcher son crâne d'éclater sous la pression des aigus, Regard-Caché sentit ses jambes défaillir et son estomac se retourner : Chêne-des-Anciens, déjà à genoux et le sang lui coulant du nez, vit l'éclaireuse tomber au ralenti à côté du nourrisson transpercé et hurlant. Autour de Fils-d'Ours, pris de vertige dans les tourbillons de cendres soulevés du sol, les chevaux cabrés et peut-être hennissant jetaient à bas leurs cavaliers assourdis, les guerriers se recroquevillaient de douleur. Et le cri montait toujours. Sans même entendre la plainte qui secouait sa propre gorge, se tordant comme un ver sur la berge humide, Avant-l'Aube perdit finalement connaissance.

Quand Fils-d'Ours revint à lui, les Emishen étaient encore prostrés ou évanouis, la plupart couvert de cendres. Le bruit des flots et le piétinement des montures paniquées paraissaient étrangement lointain ; derrière lui, les cavaliers secoués émettaient de vagues murmures. Sa tête tintant toujours, il fit quelques pas vers ses compagnons : au milieu d'un cercle presque nettoyé de poussière, Avant-l'Aube puis Chêne se relevaient maladroitement, pendant que Regard-Caché s'appuyait sur ses coudes pour cracher le fiel qui lui brûlait la bouche. S'asseyant finalement, la chasseuse elloran secoua un peu ses manches et essuya son visage sur sa tunique. Mais, allongé face contre terre, Lame-Droite ne bougeait toujours pas. Inquiets, ses camarades s'approchèrent, le secouèrent en vain et le retournèrent : traçant des rigoles dans son maquillage de cendres, le sang s'écoulait peu à peu de sa mâchoire pendante, de ses narines, de ses yeux et de ses oreilles. Il était mort.


Il fallu encore plusieurs heurs pour rattraper les chevaux échappés, confectionner des travois et y sangler les dépouilles des Sentinelles. Gisant auprès de lame-Droite, le lieutenant Neige-en-Été (Nevel Sholdanan) était couvert de plaies mal soignées, jambes et mains entravées par des liens de cuir compliqués : il avait du lutter beaucoup, chercher à s'enfuir plus d'une fois et les Kormes s'étaient pourtant efforcé de le garder en vie. Le guerrier vétéran Né du Courage (Traem'shen) ne fût reconnu qu'à sa longue barbe tressée, son visage ayant été défoncé par un coup de masse, probablement dans une ultime confrontation. La pisteuse lilpanen Empreinte-du-Passé (Gyaliahn den' Anil) avait simplement été égorgée. Mais c'est le jeune cavalier Poulain-Impertinent (Ro'shen Evem'dhar) qui engendra le plus d'émoi, car les Liam'Lon présent réalisèrent qu'il était le fils de Perce-Vent (Tohadon' Shilen), meneur de la manade des Landes Pâles et peut-être la dernière recrue des Messagers de l'Orage. Avant-l'Aube ne l'avait même jamais croisé au Col de l'Aïeule, mais elle avait entendu dire que son père avait violemment désapprouvé l'engagement de l'Impertinent auprès du Prêtre-à-la-Lance : la nouvelle de sa mort risquait de faire du foin...

Il fallu chevaucher pendant plus de quatre jours pour pour contourner la Mer Cernée par le sud, guidés par les deux éclaireurs liam'lon -la taciturne Tresse-Grise et le nerveux Coup-de-Sabot. Le trajet s'était fait dans une ambiance lugubre et un daim fut sacrifié au premier bivouac pour apaiser les esprits, les deux guides craignant que vous n'ayez bafoué le Hagad et attiré les malédictions. Au soir du quatrième jour, quand la troupe atteignit le campement de la manade du Couchant ou Arc-Chantant avait changé ses chevaux, l'accueil fut assez "frais"...


Situé sur les berges de la Mer Cernée, à l'émissaire [1] du Fleuve-aux-Cinq-Bras, le campement des Liam'Lon du Couchant comptait peut-être 200 cavaliers de tous âges. Installés par petits groupes de yourtes familiales, ils stationnaient là depuis maintenant deux huitaines (le temps de pêcher, de faucher et tresser des joncs, de tanner du cuir...) et la plupart étaient déjà impatients de repartir. Leur doyenne, Rit-sous-l'Ouragan, accueillit les Sentinelles avec autant de politesse que de circonspection : elle ordonna qu'on prépare un bûcher funéraire pour leurs morts, elle les invita à participer à l'éternel ragout [2] et à raconter leurs aventures (les récits d'Avant-l'Aube, d'ordinaire si éloquente, manquaient ce soir-là d'enthousiasme). Elle rendit surtout aux Sentinelles les chevaux qu'Arc-Chantant avait laissé se reposer parmi les leurs.

        Mais avant cela, "Ouragan" demanda que les visiteurs campent à part, recommanda aux gens de sa manade de ne pas coucher avec eux [3] et réclama que les Sentinelles participent à une nouvelle cérémonie d'offrandes aux esprits, menée par le barde Flûte-Ciselée (en l'absence de véritable chaman) : Avant-l'Aube, Regard-Caché, Fils-d'Ours, Chêne-des-Anciens et même Éclat-de-Glace durent y verser du sang, en signe d'expiation.

La manade déplaça aussi toutes les tentes et yourtes installées à moins de 100 pas de la rive, ce qui provoqua de nombreuses râleries mais devait mettre les familles hors de portée d'éventuelles représailles du Dieu-du-Fleuve, que les Liam'Lon avait en effet aperçu deux jours auparavant et qui croisait fréquemment dans la Mer Cernée.

Le dîner terminé, elle expliqua aux Sentinelles qu'elle comprenait leurs raisons : dans sa jeunesse, elle avait rencontré des démons (le plus souvent incarné dans des animaux) et même vu son père se résoudre à tuer un de ses cousins, possédé par un Esprit-Maivaus, dont les mains avaient pris feu et qui attaquait tous ceux qui l'entouraient de ses moignons noircis, provoquant de graves brûlures et de multiples incendies. Mais pourtant, elle n'aurait pas fait le même choix : elle aurait élevé l'enfant dans l'isolement, ne serait-ce que le temps de vérifier s'il était maléfique, ou ne serait-ce que sujet à la possession.

        En agissant "dans la précipitation, sous l'empire de la peur", les Sentinelles avaient à ses yeux commis une grave erreur, peut-être même un crime, et les Liam'Lon ne pouvaient se comporter comme des barbares du Sud : le meurtre d'un enfant devrait être discuté et jugé entre les manades, à la Croisée des Pistes. Rit-sous-l'Ouragan avait déjà envoyé des oiseaux-messagers aux manades du Croisement, du Grand Pin [4] et de la Côte, et elle insistait pour qu'au moins Levée-Avant-l'Aube se rende elle-même à la Croisée pour expliquer le geste de son équipe.

Dans tous les cas, elle ne doutait pas qu'au moins le chef Racine-Noueuses en profiterait pour rompre ses engagements vis-à-vis des Sentinelles, ne serait-ce que pour ne pas leur verser de tribut après la saison des élans, mais elle-même n'était pas encore décidée et prendrait conseil auprès de la Chamane-aux-Longues-Vies...

  • Levée-Avant-l'Aube prit la nuit pour réflexion. Avant la fin de la nuit, elle se leva et s'éclipsa. Lorsqu'elle revint au campement, elle était lavée, mais ses cheveux étaient attachés, symbole de son deuil. S'avançant vers la Doyenne, en train de déjeûner, elle lui dit :

"J'ai pris ma décision. L'acte perpétré n'a été commis ni sur la Territoire du faucon chanteur ni par une de ses tribus. La décision a été prise par des sentinelles de l'orage. En tant que porteuse de ce groupe, j'irai le représenter auprès de Kal Khiran. Il jugera nos actes. Dès que ce sera possible, et si c'est possible, je me rendrai ensuite à la Croisée. Non pas en tant que Sentinelle, mais en tant que Liam'Lon. Chacun des actes de mes compagnons m'engage. Je suis donc responsable de la mort de cet enfant tout autant que si j'avais été le bras qui portait l'épée."

Cette nuit-là comme les précédentes, la plupart des Sentinelles firent des cauchemars. Encore une fois, ils furent bien pires pour Regard-Caché, qui par ailleurs vomissait tout ce qu'elle ingurgitait et s'affaiblissait de jour en jour, et pour Chêne-des-Anciens, dont la surdité persistait. Dans leurs rêves, toutes deux se voyaient poursuivies par le Loup Efflanqué année après année : il les égorgeait de ses crocs dans la forêt, il répandait la maladie dans leurs familles, il transformait leurs enfants en charogne dans leurs ventres. Le bras gauche blessé d'Éclat-de-Glace avait noircit, gagné par la gangrène, et provoquait des fièvres que personne ne pouvait soulager. Le barde Flûte-Ciselée recommandait qu'on l'ampute mais le garçon refusait obstinément d'être ainsi privé de son métier d'archer, et le chaman le plus proche se trouvait à plusieurs jours de chevauchée : Éclat-de-Glace ne survivrait probablement pas au trajet...


Toute la soirée, Chêne-des-Anciens plaida et négocia avec Éclat-de-Glace, abruti par la fièvre. En vain : le jeune archer refusait de perdre son bras pour sauver sa vie. Quand il finit par s'effondrer dans le sommeil, sa tante chercha de l'aide auprès des Liam'Lon et des Sentinelles, mais la plupart lui renvoyèrent le même refus : le jeune homme était adulte, et aussi stupide que soit sa décision, elle lui appartenait. "Tu as déjà tué un gamin, tu veux en taillader un autre ?!" lui répondit même une des Sentinelles, un dénommé Lanière-de-Cerf qui avait était le premier à tirer son nerhil contre Lame-Droite dans la Vallée des Ossement.

        Chêne-des-Anciens considéra ses options : Regard Caché tenant à peine debout, Fils-d'Ours était muré dans le silence depuis des jours et Avant-l'Aube... La lancière parlait peu, mangeait encore moins et se tenait la plupart du temps à l'écart, scrutant l'horizon et appelant son faucon, qui ne venait pas. La mort du bébé avait creusé un fossé entre les deux femmes, et Chêne, après tant de refus, n'osa pas lui demander son aide pour braver un nouvel interdit.

Mais le barde Flûte-Ciselée avait écouté le plaidoyer de l'Edell'okhil sans mot dire, en grattant sa courte barbe grise, et quand elle se trouva seule il pencha sa longue carcasse vers la guerrière courtaude pour l'entraîner à l'écart. « J'assume mon diagnostic jusqu'au bout : ton neveu mourra bientôt s'il n'est pas amputé. Il a peut-être fait son Rite de Passage, mais il est jeune, orgueilleux, inconscient du risque et son esprit est embrumé par la fièvre : ce sont de mauvaises raison pour le laisser décider de sa mort. Je t'aiderai. Mais il faudra faire la chose vite et bien, car si le garçon se débat, la manade risque de se retourner contre toi... »

Les deux lunes étaient hautes par-delà les collines du sud, le campement des Sentinelles comme celui de la mande du Couchant étaient largement endormis. Quand le barde ficha un flambeau près de la couche d'Éclat-de-Glace, le front ruisselant du blessé ne se fronça même pas. Haletant et tremblant dans son sommeil, il ne réagit pas plus quand le Liam'Lon déposa une grosse bûche à sa gauche, plaçant précisément la pièce de bois à une coudée du dormeur. Flûte-Ciselée s'attacha alors une longue lanière de cuir au poignet, la fit passer autour d'un bouleau proche et rapprocha du garçon la boucle qu'il avait noué à l'autre bout. Dégainant son poignard de bronze, il se tourna alors vers Chêne-des-Anciens : « Je suis prêt, murmura-t-il. »

Alors la guerrière tira des flammes sa hache d'armes, qu'elle avait patiemment affutée pendant plus d'une heure avant de la mettre à rougir dans le plus proche feu de camp, et le barde écarta les fourrures d'Éclat-de-Glace pour trancher l'écharpe qui retenait son bras blessé. Avant que le jeune homme n'ait complètement émergé du sommeil, Flûte-Ciselée avait passé le nœud coulant autour du bras noirci d'Éclat, lui arrachant un gémissement plaintif en le verrouillant par un nouveau nœud. Puis le vieil homme s'agenouilla franchement sur la poitrine de l'archer et, d'une vive traction relayée autour de l'arbre, serra fortement la lanière sur le coude : Éclat-de-Glace hurla de douleur quand son bras se tendit brutalement contre la bûche, réveillant les Sentinelles alentours. Voyant arriver la hache grésillante, il écarquilla les yeux d'horreur, se cabra de toutes ses forces et envoya bouler le vieux barde en criant « NON ! NOOOON ! ». La hache à moitié levée, surplombant le garçon qui remuait dans tous les sens alors que les Sentinelles s'éveillaient les unes après les autres, Chêne-des-Anciens ne savait plus que faire... Mais avant qu'Éclat aie pu défaire le nœud, Arc-Chantant, surgie de nulle-part, le saisit à bras-le-corps, le rejeta sur sa couche et l'y plaqua de toutes ses forces : « Maintenant ! » ordonna-t-elle. La guerrière coinça le coude de son neveu sous son pied et le fer brûlant s'abattit, tranchant l'avant bras et la lanière à raz du nœud pour se planter dans la bûche. Alors que sa tante maintenait le fer rouge contre la plaie, le hurlement d'Éclat-de-Glace résonna loin sur le rivage, alertant toute la manade du Couchant et effrayant les oiseaux qui s'envolèrent par centaines de leurs perchoirs nocturnes. Il fallu encore forcer le garçon à avaler la tisane d'herbe-nuage que Flûte-Ciselée avait préparée, mais il s'effondra ensuite dans un sommeil sans rêve.



L'affaire déplu souverainement à la manade mais, à nouveau, la chose était faite. Les Sentinelles reprirent la route dès l'aube, et Rit-sous-l'Ouragan leur signifia qu'elles ne seraient plus les bienvenues parmi les Liam'Lon du Couchant. Malgré l'herbe-nuage qui l'abrutissait encore, Éclat-de-Glace avait pleuré et maudit sa tante dès qu'il s'était réveillé, et elle avait du le hisser en selle de force, montant derrière lui pour le maintenir contre elle en prenant le trot. Debout sur une colline proche, Flûte-Ciselée fut le seul à saluer leur départ.

À travers les collines boisées qui séparaient le bassin du Fleuve-aux-Cinq-Bras de la vallée du Fleuve Brun, la cohorte chevaucha tout le jour sous une bruine fraîche et dans une ambiance hargneuse : l'amputation forcée avait divisé la troupe, et ceux qui y voyaient une transgression de plus échangeait des invectives avec la minorité qui défendait Chêne-des-Anciens. Sourde aux chamailleries, Arc-Chantant avait repris la tête des cavaliers et chevauchait loin en avant. Elle avait décidé de "rentrer au plus court" par la piste de la Cordillère des Soupirs, empruntant le col à l'est de l'Anche plutôt que de contourner les Eaux-Noires, longer ensuite le Vieux Brasier par le sud et remonter la Vallée des Lacs en Paliers sans s'approcher de Tal Endhil ("Le Chaman-Lancier a donné des instructions : on ne va pas chez les Dirsen tant que ça peut faire des histoires avec leur Grand-Chaman..."). La troupe s'arrêterait alors chez les Edell'okhil du Lac Deuxième avant de franchir le fleuve par le Gué des Rapides, remonter au cercle des cascades et, finalement, atteindre le Col de l'Aïeule. Mais Avant-l'Aube connaissait bien la région et n'était pas dupe : cet itinéraire, plus éprouvant, permettait aussi d'éviter au maximum de rencontrer des Liam'Lon pendant le trajet...

Au soir, on avait donc établit le bivouac à une fourche de la piste, à la pointe ouest du lac des Castors (ainsi nommé puisqu'il est le résultat de leur plus grand barrage). Des traces de feux récents indiquaient qu'une caravane de Lewyllen était passée par là quelques jours auparavant et en démontant le petit tertre de pierres en bordure du chemin, Traque-les-Ours découvrit que les Corneilles y avaient laissé un sac de noix, du miel et des airelles séchées, alors qu'une lourde jarre décorées des vaguelettes de la manade de la Côte contenait une bonne réserve de viande fumée (la saison de l'élan avait du être généreuse) : des mets qui s'ajoutèrent dès lors au repas du soir. En échange, Traque-les-Ours laissa une dizaine de pointes de flèches en fer emballée dans une peau de lapin où il traça des vaguelettes à la suie, pour indiquer les destinataires.

Éclat-de-Glace était progressivement sorti de sa torpeur mais quand il refusa de manger, lançant l'écuelle à travers le campement et agitant son moignon bandé sous le nez de sa tante mortifiée en lui hurlant des insultes, Arc-Chantant n'y teint plus et laissa soudain éclater sa colère en gueulant : « Elle t'a sauvé la vie, petit con ! Tu as perdu ton bras, tu ne tireras plus à l'arc, mais tu pourras encore manier la lance ou le glaive et combattre pour ton clan ! Tu pourras trouver une femme qui supporte ton caractère de merde, tu pourras encore baiser, et chanter, et chevaucher sous le Vent ! Tu pourras encore VIVRE, pauvre con ! » La bourrasque de l'archère ayant au moins fait taire le jeune Edell'okhil, elle reprit sur un ton à peine plus doux : « Je suis Arc-Chantant. Quand j'avais ton âge, j'ai voyagé jusqu'au Pays des Glaces pour me procurer l'arc qui m'a valu ce nom. Pour convaincre un connard de Tallalnen obtus de me le céder, j'ai du aller chasser un putain d'ours noir avec ce cinglé ! J'ai encore les griffures de la bête sur la cuisse et j'ai quand-même du laisser toute la prise à son clan ! Avec cet arc, j'ai nourri ma famille depuis plus longtemps que tu n'es tombé du ventre de ta mère. J'ai un jour du tué deux Dirsen qui voulait me le voler. Mes flèches ont fait basculé des batailles, elles ont incendié des navires, elles ont abattu plus de Kormes et de maraudeurs que tu n'as rencontré de gens dans ta vie !

         Et bien si je devais sacrifier mon bras gauche, et mon arc, et mon nom pour sauver ma vie, je le trancherais moi-même ! Au couteau, s'il le faut ! Je n'attendrais pas qu'on m'y force par un caprice de gamin geignard ! Chêne-des-Anciens t'a sauvé la vie ! Et si tu es trop con et trop jeune pour t'apercevoir du cadeau que ça représente, attends pour la remercier d'être amoureux, attends d'avoir des gosses, attends qu'on compose des chansons sur tes exploits. Mais par le Vent je te jure que si tu vis un peu, tu la remercieras.

Tu t'es joint aux Sentinelles de toi-même, tu t'es lancé dans une aventure comme peu de gens en ont vécu, tu as risqué ta peau de nombreuses fois et, finalement, tu y as laissé un bras : ça peut te paraître injuste, mais c'est NORMAL ! Ça arrive, les blessures, quand on part au combat ! Maintenant, choisis si tu veux continuer à nous percer les oreilles de tes gamineries, ou si tu vas te comporter comme un guerrier digne de l'Aigle-à-Tête-Blanche et apprendre à manier le javelot. Mais pendant que tu y réfléchis, je te conseille de serrer les dents pour éviter de dire des conneries ! Et tant que tu seras dans MA troupe, tu traiteras avec respect et ta tante, et mes cavaliers, et la bouffe qu'on te prépare ! » Elle se rassit alors pour finir son repas, Chêne-des-Anciens enlaça son neveu abasourdi et il pleura longuement au creux de son épaule.

Quand le jeune homme fut enfin endormi, Traque-les-Ours s'approcha de la guerrière edell'okhil, s'assit à ses côtés et, après lui avoir dit qu'il approuvait son geste, il lui parla de la manade de la Côte. Parmi les siens, expliqua-t-il, dans la troupe du chef de guerre Cimier-Verdoyant, vivait un artisan infirme mais très talentueux : Bercé-par-les-Esprits. Pas beaucoup plus vieux qu'Éclat-de-Glace, Bercé-par-les-Esprits était né avec une jambe tordue qu'aucun chaman n'avait pu redresser, qui l'empêchait de courir et de grimper aux arbres, de combattre et même de chasser autrement qu'à cheval. Mais en échange de son infirmité, le Vent lui avait donné le pouvoir de parler aux Esprits et d'insuffler leur pouvoir dans les objets qu'il tirait du bois. Il faisait des lances qui ne se brisaient jamais et des amulettes qui éloignaient les maladies, des instruments de musique dont les notes émouvaient jusqu'aux loups et des pirogues qui résistaient aux rapides. Alors, se disait Traque-les-Ours, comme un bras d'arc n'est jamais qu'une perche tendue contre laquelle on bande la corde, et comme il resté un moignon d'avant-bras au jeune archer, peut-être Bercé-par-les-Esprits saurait-il lui fabriquer un bras de bois ? Ni Chêne-des-Anciens ni Éclat-de-Glace ne devaient plus rien aux Sentinelles et, s'ils voulaient emprunter deux chevaux pour rejoindre la manade de la Côte, qui n'était sans doute qu'à deux ou trois jours vers le nord-est, ils pourraient y consulter Bercé-par-les-Esprits et prendre pour Traque-les-Ours quelques nouvelles de ses parents...


La nuit fut pourtant mauvaise pour Chêne-des-Anciens : elle rêva encore du Loup Efflanqué, et d'une gangrène purulente qui dévorait lentement tous les gens autour d'elle. Au réveil, dans l'humidité matinale que le feu de camp ne pouvait éloigner tout à fait, elle exposa pourtant son projet à son neveu : il accepta sans enthousiasme, par complaisance. Arc-Chantant leur confia des montures, en précisant qu'ils devraient les rapporter au Col de l'Aïeule quand ils rentreraient auprès des leurs, et les deux Edell'okhil prirent congés de leur compagnons. >> Si Levée-Avant-l'Aube ou Fils-d'Ours veulent échanger des adieux ou des cadeaux avec leurs compagnons d'aventure, c'est le moment. Après quoi ils s'en furent en longeant le Fleuve Brun, vers le comptoir des Dirsen-Orange et les pistes littorales où courrait la manade de la Côte.

C'est en démontant le bivouac qu'on réalisa que Regard-Caché ne s'éveillait pas. On avait d'abord mis sa "grasse-matinée" sur le compte de la fatigue accumulée, de la tristesse ou -étant donné son caractère- sur l'esquive volontaire des adieux. Mais quand on l'appela et qu'on la secoua, elle ne fit que gémir sans reprendre conscience. Et elle tremblait. Deux Sentinelles tentèrent de la mettre sur ses jambes : elle marmonna d'abord, puis soudain se débattit en hurlant, frappant et griffant les guerriers atterrés... et s'écroula comme une poupée de chiffon, inanimée.

Toute la troupe ayant connu les mauvais rêves depuis la Vallée des Ossements, il ne fallu pas longtemps pour que quelqu'un suggère qu'elle était prisonnière d'un cauchemar, ou que le Démon la possédait. "Il lui faut un chaman... conclut-on. _D'accord, acquiesça, Arc-Chantant, mais pas ici. Pas chez les Faucons-Chanteurs. Le Chaman-Sacrifice est au Lac Deuxième : à bonne allure, nous y serons dans trois jours..." ________

Traque-les-Ours monta Regard-Caché en selle devant lui, Avant-l'Aube prit le cheval restant par la longe et les cavaliers avalèrent la piste au galop. Toutes les deux ou trois heures, on faisait halte près d'un des torrents qui striaient les contreforts pour boire, souffler un peu et échanger les montures : Traque et Regard passaient sur un cheval frais, celui que leur poids cumulés venait d'épuiser était pris en remorque, et le galop reprenait. Les arbres défilaient, la berge bourbeuse du Fleuve Brun se redressait de plus en plus et, à mesure que la piste prenait de l'altitude, les rives se hérissait de pierriers et de blocs rocheux.

Passé midi, les pentes étaient trop raides pour maintenir plus que le trot, puis le pas, mais les cavaliers forcèrent encore vers l'amont, vers le col. À travers une forêt de moins en moins dense, bientôt réduite aux sapins et aux fougères, on franchit l'épaulement dans l'ombre allongée du Vieux Brasier, à l'ouest. On poussa encore durant le crépuscule, car des nuages noirs menaçaient par le nord et que Traque-les-Ours insistait pour qu'on campe sur le versant sud, plus boisé et mieux protégé. Il fallu tout de même tendre des toiles entre les sapins pour se protéger des averses, qui se succédèrent toute la nuit, zébrées d'éclairs et rythmées de tonnerre.

Au matin, Regard-Caché était brûlante de fièvre. La troupe détrempée et fatiguée s'élança pourtant dans les zigzags incessants de la piste qui descendaient vers la vallée. Après les orages, le ciel était si clair qu'on distinguait presque la côte de la Baie des Langueurs, en tous cas les tâches brillantes du lac de l'Ermite [5] et, plus au sud, du Lac-à-Tourbe où Liam'Lon et Lewyllen "du Silond" s'approvisionnent en combustible. Le paysage disparut derrière la forêt où s'enfonçait le sentier et l'ont repris le galop : un petit tertre, couvert de mousse, marquait une nouvelle fourche et, après un nouvel échange de monture, on prit vers la droite, à l'ouest, rejoignant bientôt un torrent qu'on longea vers l'amont, remontant cette fois vers le haut-plateau qui s'appuie aux Écailles-du-Serpent. Trottant à l'arrière sur son cheval suant dans les pentes et observant la double-pointe de la montagne, Fils-d'Ours pensa qu'elle ressemblait effectivement aux excroissance sur le crâne gigantesque du Dieu-du-Fleuve ; une large dépression arrondie y figurait même l’œil gigantesque du monstre. Pour la première fois, il compris qu'on avait baptisé le sommet comme un avertissement aux présomptueux qui voudraient s'aventurer au-delà...

La chevauchée ne s'interrompit qu'à la nuit. On monta le camp au bord d'un petit torrent qu'Arc-Chantant disait se déversait dans par un marais jusque dans le Lac Quatrième, au nord de la presqu'île appelée l'Ergot de Forêt, où Kerdans et Talendans comptaient bâtir une nouvelle ville. En pleine nuit, Regard-Caché fut secouée de hurlements terribles, et Avant-l'Aube préleva dans son paquetage un peu d'herbe-nuage qu'elle fuma et lui souffla au visage jusqu'à ce qu'elles se détendent toutes deux. Durant son tour de veille, Fils-d'Ours aperçu deux yeux jaunes qui le fixait depuis les ténèbres, au-delà de la lumière du feu de camp : il fut pris d'un frisson mais, cette fois encore, se garda d'en parler aux autres.


1] un joli mot pour désigner le cours d'eau sortant d'un lac. 2] comme quelques autres clans nomades, les Liam'Lon consacrent fréquemment une grande marmite de terre cuite à un ragoût perpétuellement renouvelé : chaque soir, on y réchauffe les restes de la veille en ajoutant les ingrédients récoltés durant la journée, tous ceux qui veulent en manger apportant quelque chose pour contribuer aux saveurs de "la compagnie du moment" (viandes, poissons, racines, courges, noix, herbes aromatiques, salicorne...). Ils aiment alors à raconter comment un de leurs aïeux a commencer le ragoût avec un gibier qui survit au moins "en esprit" dans la recette du jour... 3] parce qu'en temps normal, chez les Liam'Lon comme chez les Elloran, les visiteurs sont l'occasion de "varier les plaisirs". 4] c'est la manade d'origine de Levée-Avant-l'Aube. 5] Un Tallalnen un peu cinglé ayant occupé l'île de ce lac, tout seul pendant des décennies : aujourd'hui, il est probablement mort et desséché...


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