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De Marches du Nord
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'''Récit à deux voix, Par Bartolome Sotorine et Herle de Lorune, autour d'une table qui rassemble leurs compagnons du voyage à Aroche.'''
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'''Durant la [[huitaine 10]] ("naissante des Fenaisons) et [[première expédition à Aroche|leur retour d'Aroche]]''', les talendan embarqués sur le ''[[Coppavento]]'' des [[Sotorine]] et le "''Fulvio''" du capitaine [[Almerino Maletudine]] ont subit un méchant grain en traversant la baie des Griffes. Les deux navires assez amochés et le ''Coppavento'' ayant brisé son artimon, les deux navires font escale au plus proche havre sûr : '''[[Écume 7]], le "comptoir" tout récemment fondé par [[Bartolome Sotorine]] sur les rives boisées du [[Fleuve Brun]]'''.<br/>
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Pendant que les "naufragés de la forêt" organisent leur campement, une petite expédition est donc envoyée en territoire [[Liam'Lon]] à la recherche de grands peupliers bien droits pour remplacer le mât...
  
''Herle, qui visiblement a préparé son texte depuis plusieurs jours, se met à déclamer des vers. Malgré les regards interloqués des autres, il ne s'interromps pas.''
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'''Récit à deux voix, par [[Bartolome Sotorine]] et [[Herle de Lorune]], autour d'une table qui rassemble leurs compagnons du voyage à [[Aroche]].'''
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d'Herle de Lorune, dit "le Défroqué".
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=== RÉCIT EN PROSE ===
  
 
''Le poème s’achève. Herle se rassoit devant les regards éberlués de ses compagnons. Il maugrée. Les quelques mots compréhensibles semblent vouer aux avanies'' « ces soi-disant Kerdans raffinés et autres prétentieux qui ne comprennent  rien à la beauté de la poésie épique »''. La fin de la sentence se perd dans la chopine qu’il porte à sa bouche.
 
''Le poème s’achève. Herle se rassoit devant les regards éberlués de ses compagnons. Il maugrée. Les quelques mots compréhensibles semblent vouer aux avanies'' « ces soi-disant Kerdans raffinés et autres prétentieux qui ne comprennent  rien à la beauté de la poésie épique »''. La fin de la sentence se perd dans la chopine qu’il porte à sa bouche.
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Le risque était énorme. Le sorcier est, d’après les récits, d’une puissance rare même parmi ces insultes à la foi. Et j’étais, je suis toujours, bien conscient des limites de ce que j’ai appris au Temple. Mes compagnons, quant à eux, n’avaient jamais eu à combattre de sorcier. Pour beaucoup, leur première rencontre avec le mal a eu lieu à la Cloche Rouge. Et pourtant, pas un n’a hésité. Tous, l’un après l’autre, ont mis leur vie, leur âme immortelle, dans la balance. Le sorcier devait mourir.
 
Le risque était énorme. Le sorcier est, d’après les récits, d’une puissance rare même parmi ces insultes à la foi. Et j’étais, je suis toujours, bien conscient des limites de ce que j’ai appris au Temple. Mes compagnons, quant à eux, n’avaient jamais eu à combattre de sorcier. Pour beaucoup, leur première rencontre avec le mal a eu lieu à la Cloche Rouge. Et pourtant, pas un n’a hésité. Tous, l’un après l’autre, ont mis leur vie, leur âme immortelle, dans la balance. Le sorcier devait mourir.
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[[Fichier:Fleuve-aux-5-Bras.jpg|600px|thumb|left|la carte tracée par [[Nadine "la Moucheuse"]].]]
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'''''1)''' récifs de Brise-Langueur / '''2)''' tourbillons / '''3)''' hauts-fonds / '''4)''' détroit des Griffes / '''5)''' [[Pointe d'Arenzio]], [[Îles Shilorken]] / '''6)''' Gué de l'Ours Fou (où le Fleuve Brun croise une des pistes Liam'Lon) / '''7)''' Gué du Mouton-Archer (à côté de la ravine où les PJ ont été attaqués et ont failli perdre Maliam Lelpen) / '''8)''' Territoires des Gens de Pierre / '''9)''' [[Sheb' Liam'Lon|le Cercle Maudit]]''
  
 
Pas de temps pour le repos. Athelssan est reparti en arrière avec les chevaux. Nous l’avons chargé de révélé la présence d’Urgrand aux siens. Si nous ne revenions pas, au moins les Liam’Lon pourraient, à leur tour, tenter d’arrêter le sorcier. Notre troupe résolue a filé plein nord. Nadine a fait preuve d’un remarquable talent pour nous guider et dessiner une carte à mesure que nous avancions. A marche forcée, nous avons couvert les lieues et les lieux qui nous séparaient du « pays des gens de pierre ». Aucune trace sur notre route. Le plan a eu l’air de fonctionner. Sans doute Urgrand ne croyait pas assez fous pour tenter quelque chose contre lui.
 
Pas de temps pour le repos. Athelssan est reparti en arrière avec les chevaux. Nous l’avons chargé de révélé la présence d’Urgrand aux siens. Si nous ne revenions pas, au moins les Liam’Lon pourraient, à leur tour, tenter d’arrêter le sorcier. Notre troupe résolue a filé plein nord. Nadine a fait preuve d’un remarquable talent pour nous guider et dessiner une carte à mesure que nous avancions. A marche forcée, nous avons couvert les lieues et les lieux qui nous séparaient du « pays des gens de pierre ». Aucune trace sur notre route. Le plan a eu l’air de fonctionner. Sans doute Urgrand ne croyait pas assez fous pour tenter quelque chose contre lui.
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Après un bref repos, nous sommes repartis. Une courte reconnaissance a confirmé ce que nous espérions. Un fleuve barrait la route en direction du cercle de pierre. Grâce aux informations d’Athelssan, nous savions qu’il n’existait qu’un seul gué praticable. Le sorcier et ses hommes seraient donc contraints de traverser en un endroit précis. Qui plus est, cette masse d’eau avait de forte chance de nous dissimuler face aux sortilèges de notre ennemi. Le lieu semblait idéal pour notre embuscade, trop peut-être, mais nous n’avons pas hésité longtemps.
 
Après un bref repos, nous sommes repartis. Une courte reconnaissance a confirmé ce que nous espérions. Un fleuve barrait la route en direction du cercle de pierre. Grâce aux informations d’Athelssan, nous savions qu’il n’existait qu’un seul gué praticable. Le sorcier et ses hommes seraient donc contraints de traverser en un endroit précis. Qui plus est, cette masse d’eau avait de forte chance de nous dissimuler face aux sortilèges de notre ennemi. Le lieu semblait idéal pour notre embuscade, trop peut-être, mais nous n’avons pas hésité longtemps.
 
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Dès le matin, nous traversions le fleuve. Le courant est fort, le gué instable.  Nous nous en tirions bien, mais ce serait une autre affaire pour l’ennemi qui sera pris sous nos flèches. Rapidement, nous avons exploré la rive nord. Une plage, quelques buissons, puis la forêt qui s’étend de nouveau. Un peu plus loin, un promontoire rocher domine la rive. Tapis dans le sous bois, nous réfléchissions. Notre meilleure chance, pensions-nous, était d’abattre Urgrand sans lui laisser un instant pour agir. Nous savions qu’il tirerait son énergie de la nature qui l’entoure. Et dans la région, la nature, ça ne manque pas. Et puis, il y avait Chacal, la grande inconnue. Comment l’esprit agirait-il ? En tuant le sorcier, nous pensions que Chacal serait privé de porteur, incapable d’agir. Enfin, je l’espérais… d’autant que vous tous, là, vous me regardiez comme si je savais bien des choses sur les sorciers. Je vous l’ai déjà dit, mes amis, au Temple, les sorciers, on les brûle, on ne détaille pas trop leur méthodes de travail.
 
Dès le matin, nous traversions le fleuve. Le courant est fort, le gué instable.  Nous nous en tirions bien, mais ce serait une autre affaire pour l’ennemi qui sera pris sous nos flèches. Rapidement, nous avons exploré la rive nord. Une plage, quelques buissons, puis la forêt qui s’étend de nouveau. Un peu plus loin, un promontoire rocher domine la rive. Tapis dans le sous bois, nous réfléchissions. Notre meilleure chance, pensions-nous, était d’abattre Urgrand sans lui laisser un instant pour agir. Nous savions qu’il tirerait son énergie de la nature qui l’entoure. Et dans la région, la nature, ça ne manque pas. Et puis, il y avait Chacal, la grande inconnue. Comment l’esprit agirait-il ? En tuant le sorcier, nous pensions que Chacal serait privé de porteur, incapable d’agir. Enfin, je l’espérais… d’autant que vous tous, là, vous me regardiez comme si je savais bien des choses sur les sorciers. Je vous l’ai déjà dit, mes amis, au Temple, les sorciers, on les brûle, on ne détaille pas trop leur méthodes de travail.
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''Herle se tait. Il regarde le sergent, Islinna, Mérane, les vétérans d’Aroche.''
 
''Herle se tait. Il regarde le sergent, Islinna, Mérane, les vétérans d’Aroche.''
  
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== Épilogue ==
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''à développer par les joueurs à l'occasion''
  
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Ayant ainsi résolue l'affaire du campement massacré par un ours, en démontrant la présence (et donc la culpabilité) d'[[Urgrand]] et ses Sylvains avant des les tuer tous, '''[[Bartolome]]''' et son équipe ont sauvé non-seulement les relations entre [[Talendans]] et [[Liam'Lon]], mais les accords commerciaux des [[Sotorine]] avec le clan du Faucon-Chanteur. <br>
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Le commerce pouvant dès lors se développer en bonne intelligence, tous les espoirs étaient désormais permis pour le fameux comptoir d'[[Écume 7]] (que les navigateurs restés au camp avaient entre-temps bien agrandi)...
  
 
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'''[[15) "Les Hautes Sphères"|<< Épisode Précédent]] | [[17) "La Piste des Brigands"|Épisode Suivant >>]]'''
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'''[[15) "Les Hautes Sphères"|Épisode Précédent ]] | [[17) "La Grande Évasion"|Épisode Suivant]]'''
  
'''[[Liste des Épisodes|<= retour à la LISTE des ÉPISODES]]'''
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'''[[Liste des Épisodes|<< retour à la LISTE des ÉPISODES]]'''
  
[[Catégorie:Comptes-Rendus]]
 
 
[[Catégorie:Épisodes]]
 
[[Catégorie:Épisodes]]
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[[Catégorie:Comptes-Rendus]]
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[[Catégorie:Première Expédition à Aroche]]
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[[Catégorie:Grand Nord]]

Version actuelle en date du 28 septembre 2016 à 15:05

Durant la huitaine 10 ("naissante des Fenaisons) et leur retour d'Aroche, les talendan embarqués sur le Coppavento des Sotorine et le "Fulvio" du capitaine Almerino Maletudine ont subit un méchant grain en traversant la baie des Griffes. Les deux navires assez amochés et le Coppavento ayant brisé son artimon, les deux navires font escale au plus proche havre sûr : Écume 7, le "comptoir" tout récemment fondé par Bartolome Sotorine sur les rives boisées du Fleuve Brun.
Pendant que les "naufragés de la forêt" organisent leur campement, une petite expédition est donc envoyée en territoire Liam'Lon à la recherche de grands peupliers bien droits pour remplacer le mât...

Ont participé à cette aventure forestière :


Récit à deux voix, par Bartolome Sotorine et Herle de Lorune, autour d'une table qui rassemble leurs compagnons du voyage à Aroche.


POÈME ÉPIQUE

d'Herle de Lorune, dit "le Défroqué".

Herle, qui visiblement a préparé son texte depuis plusieurs jours, se met à déclamer des vers. Malgré les regards interloqués des autres, il ne s'interromps pas.

« Hauts sont les monts, et ténébreux et grands,
Profonds les vaux, rapides les torrents.
A la quête du bois sont partis cinq vaillants.
Marchant, voguant, portant, errant.

Fine chasseresse, guerrière tragique,
Cousins nautiques, joyeux et cynique,
Poète armé, votre récitant.

Deux jours filant, le fleuve à remonter,
Peupliers rares, tordus, la coupe malaisée.
La cognée se fait lourde, les quêteurs hésitants.

Un mort au fil de l’eau, malheureux Liam’lon
Des griffes étranges, une flèche à barbons.
Nous voilà avançant dans la futaie sombre
Découvrant le désastre, découvrant les décombres.

Des morts éparpillés, le malheur est passé.
Des traces d’un assaut, des tueurs ont frappé.
Qui sont-ils, pourquoi ?

Nous nous interrogeons, nous cherchons, nous parlons.
Un ours enragé, terrifié - du poison.
Et des tueurs rémans qui profitent de l’effroi.

Au matin sur le fleuve, voici les cavaliers.
Superbes guerriers, résolus, affairés.
Le dialogue est tendu, la mort pèse sur tous.
Bartolome parle bien et repousse le coup.

Les cavaliers acceptent de laisser notre quête.
A nous de remonter la piste, de traquer la bête.
Un pisteur nous rejoint, malgré le poids des ans.

Nous revoilà vaillants, six qui cheminent.
A un gouffre profond notre marche se termine.
Un torrent court au fond, la piste est fraîche encore.

Le crépuscule tombant, deux se glissent dans l’ombre.
Des flèches fusent, rapides. Maliam sombre.
Dario se terre, réplique, la protège.
Un héros solitaire, une simple rapière au lieu d’une flamberge.

A l‘ouest nous courrons. Un gué barre le torrent.
Tapis, l’ennemi attend.
Le combat s’amorce, échoue et se replie.

Las, la victoire s’échappe.
Peu de sang, peu de cris, à peine quelques frappes.
L’ennemi disparaît dans la grande forêt.

L’un d’eux a cependant parlé à Dario.
C’est le terrible Urgand, fléau de nos héros.
Sorcier, chacal, vendu aux puissances noires.
Ici il vient pour les maudites pierres.

Nouvelle terrible. Urgand est invincible.
Les six hésitent. Enfin, ils se décident.
Urgand sera défait ou nous mourrons vaincus.

Sous les bois centenaires la course folle commence.
Coupant dans les futaies, la troupe cesse l’errance.
Vers le cercle de pierre, vers les hommes pétrifiés.

Un gué providentiel sera le champ de gloire.
Urgrand doit y venir, enfin, il faut y croire.
A temps nous traversons, explorons, préparons.
Ici, sur cette rive, le mal nous combattrons.

L’attente est longue, le repos chiche.
Soudain arrivent des hommes au pas de biches.
Les chacals enfin - ignorant semblent-ils.

Nadine en embuscade du haut de son rocher.
Dario tapi dans l’ombre à ses pieds.
Les archers dans les arbres, les yeux sur le gué.

Le premier ennemi s’engage, de l’eau jusqu’à la taille.
Il avance, vaille que vaille.
Bientôt il apparait, trempé mais résolu.
Dans les taillis il passe l’arc tendu.

Ignorant l’embuscade, il avance, vaine démarche.
Dans l’eau ses compagnons se sont remis en marche.
Un d’eux sombre et dérive, sous nos sourires.

Urgrand s’avance enfin, criant ordres et jurons.
Devant lui, l’eau s’écarte et se fond.
Il passe le gué, se pose sur la berge.

Tous nos êtres se tendent. Nadine faillira-t-elle ?
Le trait fin vole sans ailes.
Il touche mais ne tue pas. Le sorcier est debout.
Nos flèches ne sont pas coups.

En hurlant nous chargeons.
Défroqué en avant, hardi compagnons.
Les chacals se reprennent, armes au poing sans frémir.

Derrière son rocher, le sorcier est surpris.
L’épée des temps anciens se plante en lui.
La mort alors paraît.

D’Urgrand nait un démon, un fauve, une terreur.
Tous, son cri glace de peur.
Géant de taille, dentu, Chacal est apparu.
Sa puissance croit telle une rivière en cru.

Sous sa griffe, Herle vole, désarmé et sanglant.
Le monstre crie vengeance, veut du sang.
La flèche de Maliam lui coupe son élan.

Les chacals en décousent. Le marin est vaincu.
Les héros malmenés sont déjà bien fourbus.
Dans l’onde, le démon a repris forme humaine.

Un souffle froid nous serre, une main d’os gelée.
Un guerrier ennemi prend l’épée du sorcier.
Traître, manipulé, il empale son maître.

Urgrand meurt en jurant. Chacal est libéré.
Le monstre est une brume aux relents acérés.
Noire, sanglante et terrible, elle dévore le guerrier.
Ses yeux roulent. Chacal est incarné.

Herle s’est ressaisi, Dario a couru sus.
Leurs lames éventrent Chacal le barbu.
La brume nous entoure, nous menace, nous brûle.

Le talent des anciens couvre le bouclier.
Bientôt, la brume horrible est dissipée.
Sur l’onde rapide, le sang s’efface vite.

La lutte se termine. Des héros résolus
L’adversaire est vaincu.
Le sorcier est tombé, il ne reviendra point.
Tal Endhil a un ennemi de moins.

Hardi guerriers, courageux voyageurs.
Portez en vous, en votre cœur.
Ce combat résolu malgré notre terreur. »


RÉCIT EN PROSE

Le poème s’achève. Herle se rassoit devant les regards éberlués de ses compagnons. Il maugrée. Les quelques mots compréhensibles semblent vouer aux avanies « ces soi-disant Kerdans raffinés et autres prétentieux qui ne comprennent rien à la beauté de la poésie épique ». La fin de la sentence se perd dans la chopine qu’il porte à sa bouche. Après une grande lampée, il soupire et reprend la parole.

« Bon, puisqu’il vous faut de la prose. Souvenez-vous, c’était il n’y a pas si longtemps, nous sommes partis tous les cinq vers l’amont du fleuve pour trouver les peupliers nécessaires aux réparations. Nadine et surtout Maliam pensaient bien être à même de reconnaitre les bons arbres et Bartolome de mener notre barque. Dario, je crois, s’est laissé piquer par la curiosité et est venu découvrir la vie sylvestre.

La première journée laissait présager un voyage agréable. Un peu de soleil, une température pour une fois clémente, le Nord comme nous avons rarement l’habitude de la voir. La remontée du fleuve se passait bien. Malheureusement, aucun peuplier en vue. En tout cas, pas un seul qui convienne : trop petit, trop tordu, trop loin de la rive pour pouvoir les hâler. Nous savions, bien sûr, que nous nous enfoncions dans les terres des Liam’Lon. Mais le moral de la troupe restait bon. Après tout, Bartolome se faisait fort d’en connaître quelques uns, Maliam est un emishen elle-même et nous parlons presque tous la langue des Vents. Une rencontre serait peut-être même ce qui pourrait nous arriver de mieux.

La nuit fut plus agitée. Nous durent repousser l’assaut d’une meute affamée, qui s’est glissée sans bruit dans notre campement. Les loups suivent ordinairement les élans qui remontent vers le nord. Ce soir, ils pensaient avoir trouvé des proies moins rapides - mais aux défenses plus fortes. Le combat fut rapide et brutal, la meute vite défaite, non sans laisser quelques plaies derrière elle.

Au matin, repartir fut plus ardu. Blessés, fatigués, nous étions désormais plus inquiets. Pourtant, la barque fut poussée dans le courant, nous primes place à bord. Le fleuve se faisait plus rapide, les obstacles plus nombreux. Plusieurs fois, nous sommes descendus et nous avons dû porter le matériel pour passer des rochers. La fatigue pesait sur nos épaules, et toujours pas de peupliers.

Au détour d’un méandre, un œil attentif remarqua une présence. Nous nous sommes hâtés vers la berge pour y découvrir un défunt. Le mort était un Liam’Lon. Dans son dos, une flèche rémane dépassait encore. L’homme était peu vêtu, il semblait avoir couru à travers la forêt. Nous décidâmes d’envoyer un groupe sur sa piste. Dans cette région oubliée de tous, cette flèche trop ordinaire et ce cadavre ne présageait rien de bon. Nous ne pouvions pas continuer d’avancer sans chercher à comprendre. La piste fut vite remontée. L’homme ne venait pas de loin.

A quelques centaines de pas, dans une clairière, nous trouvâmes un camp désert. Un clan de Liam’Lon venait d’être massacrés. Par qui, comment, pourquoi ? Seuls restaient des cadavres pour nous répondre. Guerriers, femmes, enfants, vieillards. Tous étaient tombés. D’autres flèches étaient encore plantées dans les dépouilles. Les assassins n’avaient pas cherché à se cacher. Ils avaient tué, implacablement, tous ceux qui vivaient ici. Même notre fuyard n’était pas allé loin. Plus grave encore, les impacts des flèches n’étaient les seules blessures visibles. Des marques de crocs, de griffes, gigantesques, déchiraient certains corps. Des traces de pattes sanglantes se voyaient dans la boue. Maliam, bien que choquée, et Dario reconstituèrent la scène tant bien que mal. Un peu avant l’aube, sans doute, le camp avait été attaqué par un ours, un de ces ours énormes qui s’épanouissent ici. Les guerriers, surpris, se firent tailler en pièces par la bête qui semblait dotée d’une rage implacable. Les archers ont alors profité de la confusion pour achever les blessés et ceux qui ne combattaient pas, ne laissant pas âme qui vive.

Bien des questions restaient sans réponse. Qui étaient ces archers ? Pourquoi assassiner un clan entier tout en laissant des flèches plus que suspectes ? Comment la bête avait-elle pu résister à des guerriers nombreux, même surpris ? Maliam nous parla de ces ours empoisonnés par des chasseurs, rendus fous de douleur. Peut-être était-ce le cas, mais pourquoi tous ces meurtres ? Et surtout, encore, qui ? Les chasseurs rémans ne s’aventurent pas aussi au nord. Personne, à vrai dire, ne passe dans ces contrées. Alors ? Nous pensons à des contrebandiers, peut-être fenhri, à des Arkonellekan, à des prospecteurs ou des soldats rémans (mais en mission pour qui ?), à nos adversaires les Chacals. Rien ne nous permet de savoir. »

Herle reprend son souffle. Bartolome lui tend sa chope et, après un signe d’approbation de sa part, reprend le cours de l’histoire.

« J’aime autant vous dire qu’on était pas à l’aise. Le camp ravagé, les morts… enfin, j’avais jamais vu un truc pareil. Les mecs qui on fait ça, y devaient pas être bien dans leur tête. On s’est dit que le mieux, c’était qu’on trouve d’autres Liam’Lon pour les mettre au courant et leur proposer notre aide. C’était la meilleure façon qu’ils ne tombent pas dans le panneau et se mettent à imaginer que c’était des Talendans qui avaient fait ça. Sans compter qu’ils pourraient nous indiquer des coins à peupliers, parce que c’était un peu le but de notre expédition, quand même. C’est important, la nature du bois, en charpenterie de marine. Et le peuplier, c’est solide, mais c’est souple à la fois. Ca te fait des mats de première qualité, et aussi des rames. L’agiella avec laquelle j’ai participé aux Jeux Insulaires avait des avirons en peuplier, et…

(Bartolome constate à ce moment que Herle le regarde, l’air interloqué)

… mais je digresse et je m’égare. Bref, on voulait retrouver les Liam’Lon. Et en fait, c’est eux qui nous ont trouvés. Eux, c’est la troupe de fiers cavaliers qui nous ont accompagné jusqu’ici. Là, ils sont sympas et ils boivent des coups avec nous, mais quand ils nous ont trouvé sur le fleuve au petit matin, ben ils étaient de méchante humeur. Les armes étaient prêtes, et j’ai tout de suite vu à leurs parures qu’ils étaient pas venus pour nous offrir le petit déjeuner. J’ai eu un moment d’espoir quand j’ai reconnu au sein de la troupe une vieille connaissance à moi, un Liam’Lon avec qui je commerce et à qui je dois d’avoir été initié à l’alcool de genièvre local. Vous savez, cette petite drôlerie qu’on boit à Ecume 7 ? Et ben même lui, il était dans ses petits souliers et essayait de faire comme s’il ne me connaissait pas. Et là je me suis “mon vieux Bartolome, cette affaire pue encore plus fort que les latrines de la taverne penchée, et au moindre faux pas ils vont nous buter.” Alors bon, la négociation a été, euh, tendue. Je les comprends, les mecs, hein. Ils trouvent leurs frères et leurs soeurs morts, ça pue le Dirsen partout, et là, juste à côté, qu’est-ce qu’ils trouvent ? Des Dirsens. C’était quand même tentant de nous buter là, sur place, sans autre forme de procès. Je ne dis pas que ça aurait pas été injuste, hein, je dis juste que ça les aurait soulagés. Mais bon, on a quand même réussi à les convaincre que c’était probablement pas nous. Et notre accord, c’était qu’on devait partir à la poursuite des meurtriers et leur rapporter. On voulait qu’ils nous aident, parce qu’ils connaissent mieux le terrain que nous, et puis merde, c’était leur vengeance après tout, mais ils ont pas voulu. Ils préfèreraient s’occuper de leurs morts. Ils ont consenti à nous prêter un pisteur, un vieil emishen qui avait été un des seuls à croire à notre innocence. Ils nous ont aussi prêté des chevaux.

Et c’est comme ça qu’on est partis, quatre dirsen, Maliam et le vieux pisteur Liam’Lon, à la poursuite d’une bande d’assassins sanguinaires et d’un ours berserk. Alors qu’on était juste parti couper du bois. Normal, quoi.

Avec l’aide du pisteur et de Maliam, on a pu remonter la piste et suivre des traces de bottes remanes. Une poignée d’hommes se dirigeant vers le nord. La bonne nouvelle, c’est qu’il ne semblait pas y avoir d’ours avec eux. Ils avaient dû le laisser mourir dans un coin. En revanche, ce que nos pisteurs ont trouvé bizarre, c’est la technique de chasse des mecs. Parce qu’ils ne semblaient pas, comme nous, s’éloigner de leur route pour essayer de choper un lapin dans les bois. Nan. C’étaient les lapins qui semblaient venir directement sur leur route, prêts à se faire attraper. Alors bon, un emishen, il dirait que c’était peut-être un Lil’pan. Mais le camarade Herle, ici présent, il pensait que c’était plutôt de la sorcellerie. Mais qu’est-ce qu’un sorcier dirsen pourrait bien foutre ici, paumé au milieu du Pays des Elans ? Enfin, pays des Elans, je vous avouerai que j’en ai pas vu beaucoup des élans, j’appellerais ça plutôt le pays des moustiques. »

Tout en parlant, Bartolome écrase justement un moustique format maousse qui venait se poser sur son bras, suscitant quelques rires nerveux dans l’assemblée. Il faut dire que l’atmosphère s’est un peu refroidie depuis que Bartolome a prononcé le mot “sorcier” alors que Herle hochait gravement la tête. Dégageant d’une pichenette le corps gorgé de sang de l’insecte, Bartolome reprend d’un ton plus grave. « Ce qui est sûr, c’est qu’on pensait pas le trouver si vite, le sorcier. On a commencé à les rattraper les mecs, on allait d’un bon rythme. On a marché, je ne sais plus, deux, trois jours à leur suite. Puis on a atteint une ravine avec une rivière qui coulait au fond. Il fallait soit faire un détour par l’ouest pour passer à gué, soit tenter une escalade dans cet endroit propice à embuscade. Alors on a gardé les bons tireurs en couverture, attendu que le ciel s’assombrisse, et Dario est descendu dans la ravine. Dario, il est pas vraiment du genre rural, vous voyez. C’est un citadin. Alors Maliam l’a accompagné. Faut dire que ces deux là semblaient bien s’entendre. Et alors là, bon… Je ne sais pas trop ce qui s’est passé. Les mecs en face, ils étaient plutôt discrets, quand même. Et pis… (Bartolome regarde Dario d’un air gêné, puis reprend en bafouillant un peu) ben on a dû avoir… comment dire... un moment d’inattention. Dario et Maliam, il se sont fait tirer dessus par des archers. Maliam a pris un méchant trait et est tombée, et Dario a dû se planquer derrière un rocher pour échapper aux tirs. Nous, en face, on ne voyait pas les archers. Et descendre la ravine, maintenant, avec les autres en face prêts à nous tirer comme des lapins, c’était juste du suicide. On était coincés, Dario était coincé, Maliam risquait de mourir… Y a un des mecs qui s’est approché de Dario. Mais le Dario, rusé comme un Kerdan, il s’était bien positionné. Le mec qui s’est pointé, Dario l’a envoyé ad patres direct. Vasco Sotorine t’a bien formé, jeune questor !

En tout cas, on pouvait pas avancer, ils ne pouvaient pas avancer. On s’est dit que notre meilleure chance, c’était de contourner la ravine par l’ouest en courant jusqu’au gué, puis de rejoindre Dario en remontant la rivière. Et visiblement, les mecs en face avaient eu la même idée. Faudrait que Dario tienne pendant ce temps. Et donc on a tenté notre opération de secours, laissant Dario seul. On a atteint le gué, et les autres étaient là. Trois d'entre eux du moins. Nadine en a blessé un d’un trait, Herle et moi on s’est précipités au travers du gué. A peine le temps d’échanger un coup de sabre, ils se sont barrés. C’est sûr qu’on espérait plutôt les tuer ou les capturer, alors de ce point de vue l’opération n’était pas vraiment un succès. Mais au moins on avait libéré l’accès et on pouvait rejoindre Dario par la rivière. Dario qui était resté seul. Seul face au sorcier.

Je ne sais pas vraiment comment il a fait, mais il a réussi à négocier. Le sorcier s’était pointé, faussement jovial et sûr de lui. C’était un sylvain, avec une main abimée et l’air dangereux. Il a expliqué que ce serait bien qu’on lui lâche la grappe, qu’il avait à faire dans la région. Des trucs pas nets qui avaient à voir avec le Cercle de Pierres abandonné situé plus au nord. Alors voilà, ce qu’il voulait, c’était qu’on reparte sans s’occuper de lui, et lui ne s’occupait plus de nous. En guise de bonne foi, il a filé un genre d’herbes médicinales pour Maliam, et a aidé Dario à soigner sa blessure. Puis il est parti, en redisant à Dario que si on essayait de les suivre, cette fois il n’y aurait pas de quartiers, et qu’il nous découperait en tranches plus fines que de la charcuterie kerdane.

C’est comme ça qu'on a retrouvé Dario et Maliam. Le sorcier, ni Dario ni moi on le connaissait, mais Herle avait entendu parler du sorcier barbu qui s’en était pris plusieurs fois aux Talendans. Un sorcier invincible. Vraiment. J’étais pas là, mais apparemment le mec, il s’est pris une falaise sur la gueule et il a survécu. Avec juste une main abimée, on dirait. Bref, on a compris que ce putain de sorcier, c’était Urgrand, Urgrand le sorcier invincible, Urgrand le Chacal. Herle connait ça mieux que moi, hein, mais ce mec, il était genre… possédé par un esprit maléfique, l’esprit du Chacal. Ouais, le même Chacal que celui de la Confrérie du Chacal, ces malades qu’on a dû affronter à Aroche ! Ah les mecs, ils sont du genre collant, j’ai connu des enduits de coque de bâteau dont on se débarrasse plus facilement.

En gros, on avait le choix. Soit on faisait comme le demandait Urgrand, on repartait dans l’autre sens. Ca voulait dire qu’on trahissait la parole donnée aux Liam’Lon, et qu’on aurait que le témoignage du pisteur pour prouver notre bonne foi. Bref, on risquait qu’ils nous tuent, et qu’il viennent ici vous emmerder ensuite. Et puis, on laissait Urgrand faire ce qu’il voulait faire au Cercle, au risque qu’il devienne plus dangeureux encore. L’autre alternative, c’était de tenter de reprendre l’initiative. On savait où Urgrand allait maintenant. Le pisteur pouvait nous y guider. On était plus obliger de le suivre, on pouvait tenter de le doubler, de lui tendre une embuscade, et de lui faire sa fête. C’était bien sûr une idée complètement folle. Urgrand semblait invincible. Il était accompagné de sylvains pas commodes. On était cinq guerriers, pas très en forme. Mais on pouvait le prendre par surprise ! On a parlé, essayé de mesurer nos chances. Et on a conclu qu’il valait mieux mourir en combattant Urgrand plutôt qu’en le fuyant. Alors on a mis un plan au point… »

Bartolome reprend sa chope, boit une rasade, puis jette un coup d’oeil à Herle qui semble signifier “putain mec j’ai soif d’avoir tant parlé, à toi de reprendre la narration”. Herle secoue ses épaules, reste silencieux un instant puis soupire.

« Oui, Urgand. Urgrand sûr de lui, qui fait son numéro à Dario et, grand prince, aide à soigner Maliam. Le parjure était tellement persuadé de terrifier Dario qu’il avait laissé échapper sa destination. Le cercle de pierre des Liam’Lon, notre vieux pisteur nous l’a confirmé, est abandonné depuis longtemps. Le discours d’Athelssan n’était pas très clair, mais pour les emishen l’endroit est interdit, sans doute maudit. En revanche, rien dans son récit ne laissait à penser que le cercle n’était pas encore, hum, actif. Et il n’y a pas que le cercle. Pas bien loin, à quelques heures de marche, se trouve le « pays des gens de pierre », des hommes pétrifiés en un lieu que les Liam’Lon évitent à tout prix. En bref, nous voilà avec deux endroits où un parjure peut espérer se damner encore plus.

Le risque était énorme. Le sorcier est, d’après les récits, d’une puissance rare même parmi ces insultes à la foi. Et j’étais, je suis toujours, bien conscient des limites de ce que j’ai appris au Temple. Mes compagnons, quant à eux, n’avaient jamais eu à combattre de sorcier. Pour beaucoup, leur première rencontre avec le mal a eu lieu à la Cloche Rouge. Et pourtant, pas un n’a hésité. Tous, l’un après l’autre, ont mis leur vie, leur âme immortelle, dans la balance. Le sorcier devait mourir.

la carte tracée par Nadine "la Moucheuse".

1) récifs de Brise-Langueur / 2) tourbillons / 3) hauts-fonds / 4) détroit des Griffes / 5) Pointe d'Arenzio, Îles Shilorken / 6) Gué de l'Ours Fou (où le Fleuve Brun croise une des pistes Liam'Lon) / 7) Gué du Mouton-Archer (à côté de la ravine où les PJ ont été attaqués et ont failli perdre Maliam Lelpen) / 8) Territoires des Gens de Pierre / 9) le Cercle Maudit

Pas de temps pour le repos. Athelssan est reparti en arrière avec les chevaux. Nous l’avons chargé de révélé la présence d’Urgrand aux siens. Si nous ne revenions pas, au moins les Liam’Lon pourraient, à leur tour, tenter d’arrêter le sorcier. Notre troupe résolue a filé plein nord. Nadine a fait preuve d’un remarquable talent pour nous guider et dessiner une carte à mesure que nous avancions. A marche forcée, nous avons couvert les lieues et les lieux qui nous séparaient du « pays des gens de pierre ». Aucune trace sur notre route. Le plan a eu l’air de fonctionner. Sans doute Urgrand ne croyait pas assez fous pour tenter quelque chose contre lui.

Nous sommes arrivés dans un étrange vallon à la nuit tombée. Des silhouettes immobiles se découpaient dans la clarté diffuse. L’arme au poing, les sens en alerte, nous nous sommes avancés. Rien. Pas de mouvement, pas de bruit. Les silhouettes ne bougeaient pas. Sous nos pieds, l’herbe et la mousse ont laissé place à de grandes dalles de pierre ravagées par le temps. Nous nous rapprochons. Les silhouettes sont là, devant nous. Des statues de belle taille et d’une finesse rare. Il n’est pas étonnant que des nomades, peu portés sur la sculpture, comme les emishen, les aient pris pour des hommes. Elles sont très anciennes. Sergent, cela vous aurait sans doute plu, vous qui êtes féru d’histoire. Moi, j’avoue que je n’en sais pas assez pour dater tout cela. En tout cas, c’était plutôt beau et surtout une bonne nouvelle. Même s’il existe sûrement des trésors anciens dans les profondeurs de ce qui a du être une ville ou un temple, il y a bien longtemps, il nous paru peu probable qu’Urgrand fasse autant d’effort pour une visite culturelle.

Après un bref repos, nous sommes repartis. Une courte reconnaissance a confirmé ce que nous espérions. Un fleuve barrait la route en direction du cercle de pierre. Grâce aux informations d’Athelssan, nous savions qu’il n’existait qu’un seul gué praticable. Le sorcier et ses hommes seraient donc contraints de traverser en un endroit précis. Qui plus est, cette masse d’eau avait de forte chance de nous dissimuler face aux sortilèges de notre ennemi. Le lieu semblait idéal pour notre embuscade, trop peut-être, mais nous n’avons pas hésité longtemps.

Dès le matin, nous traversions le fleuve. Le courant est fort, le gué instable. Nous nous en tirions bien, mais ce serait une autre affaire pour l’ennemi qui sera pris sous nos flèches. Rapidement, nous avons exploré la rive nord. Une plage, quelques buissons, puis la forêt qui s’étend de nouveau. Un peu plus loin, un promontoire rocher domine la rive. Tapis dans le sous bois, nous réfléchissions. Notre meilleure chance, pensions-nous, était d’abattre Urgrand sans lui laisser un instant pour agir. Nous savions qu’il tirerait son énergie de la nature qui l’entoure. Et dans la région, la nature, ça ne manque pas. Et puis, il y avait Chacal, la grande inconnue. Comment l’esprit agirait-il ? En tuant le sorcier, nous pensions que Chacal serait privé de porteur, incapable d’agir. Enfin, je l’espérais… d’autant que vous tous, là, vous me regardiez comme si je savais bien des choses sur les sorciers. Je vous l’ai déjà dit, mes amis, au Temple, les sorciers, on les brûle, on ne détaille pas trop leur méthodes de travail.

Enfin… Le plan fut rapidement arrêté. Nadine devait prendre position en haut du promontoire. C’était un peu loin, mais la meilleure position pour notre tireur d’élite. Si tout allait bien, elle pourrait planter un carreau entre les yeux du sorcier à l’instant où il poserait le pied sur la plage. Dario fut placé dans le bois, en contrebas de Nadine. Seul d’entre nous à ne pas avoir d’arme à distance, il protégerait la position en cas d’assaut ou de reconnaissance ennemie. Enfin, Bartolome, Maliam et moi restions dissimulés à la lisière des arbres, prêts à tirer sur Urgrand ou ses sbires au signal de Nadine. Avec quatre traits dans la viande, nous pouvions espérer que le sorcier ne serait plus à même de nous agonir de ses malédictions.

Commença alors l’attente. Vous, les vétérans, vous savez que c’est le pire moment. Celui où l’esprit s’évade, où l’on s’inquiète.. « Et si, et si… ». Pourtant, et je vous rends hommage, mes cadets, vous avez su trouver en vous les ressources de courage et d’honneur pour vous reposer même à ces instants difficiles.

Herle lève sa choppe et salue silencieusement ses compagnons. Il cherche du regard Bartolome, comme pour lui redonner la parole. Mais le marin semble concentré sur sa chope.

A la mi-journée, nous avons enfin aperçu l’ennemi. Urgrand et ses hommes avançaient prudemment à la lisière des arbres. Ils s’arrêtèrent en retrait du gué pour observer notre rive. Tapis à nos postes, la main sur nos arcs, nous nous efforcions de rester immobiles. A nouveau, il faudrait attendre. Attendre qu’un éclaireur passe, attendre qu’Urgrand traverse. Et nous n’aurions qu’une étroite chance à saisir.

Un premier homme s’est engagé dans le fleuve. Un Sylvain, à en croire son allure, un grand arc en travers du dos. Il n’a pas trop peiné à fendre les eaux. Bientôt, il prenait pied face à nous. Son regard a fouillé le bois où nous étions cachés. Notre souffle est resté bloqué dans nos gorges. Puis les yeux du Sylvain ont continué leur chemin. Après s’être ébroué, les bottes vidées, il a longé un instant la rivière vers l’ouest et s’est plongé dans la forêt. Droit sur le promontoire où Nadine était placée. A croire qu’il avait eu la même idée qu’elle pour se choisir un poste d’observation. Dans notre bois, nous ne pouvions agir. Tout reposait sur Nadine et Dario, quelque part en contrebas. Le silence régnait toujours.

En face, un second Sylvain venait de rentrer dans le gué. Il avançait d’un bon pas avant de perdre pied. Avec de grands cris, il s’écroula dans l’eau. Le courant l’emporta brutalement. Debout sur l’autre rive, Urgand se perdait en injure contre son comparse. Un autre Sylvain se rua dans le fleuve pour aider le nageur. J’ai cru voir un sourire sur les lèvres de Maliam et Bartolome : deux des tueurs en train de prendre un bain, c’était plutôt de bon augure pour la suite.

Sans doute pour ne pas perdre trop de temps, Urgrand s’est décidé à traverser. Là où les plus forts et les plus souples d’entre nous, là où un guerrier expérimenté venait de perdre pied, le sorcier semblait fouler une route pavée. De grands pas souples le menait au travers du gué sans que le courant ne semble l’affecter un instant. Le dernier Sylvain, qui pourtant s’était engagé dans l’eau à peine quelques instants plus tard, fut vite distancé. L’embuscade, pour l’instant, se déroulait comme prévu et Urgrand avançait droit vers nos flèches.

Plus loin dans la forêt, une bataille silencieuse venait d’opposer Nadine et l’éclaireur sylvain. Avec l’aide de Dario, elle avait pu tuer l’homme avant qu’il ne donne l’alerte. Nous, dans notre bois, nous n’en savions rien. Nous avions vu l’homme passer, puis plus rien. Et pas question de bouger pour aller voir, un mouvement intempestif aurait risqué de donner l’alerte. Il fallait s’en tenir au plan, malgré l’incertitude. Urgrand approchait toujours.

Enfin, il arriva sur notre berge, l’air tranquille. Comme son éclaireur, il prit le temps de vider ses bottes, le regard sur ses deux hommes occupés à rejoindre, tant bien que mal, la rive en aval. Les secondes s’écoulaient bien trop vite à mon goût. Qu’attendait Nadine pour tirer ? Le sorcier était presque immobile, à l’endroit prévu, jamais une occasion pareille ne se représenterait. » Herle, qui jusque là avait le regard vague de celui qui cherche dans ses souvenir, redresse la tête et regarde directement Nadine.

«  Je crois pourtant, honorée camarade, que tu n’as pas dû attendre bien longtemps avant de tirer. Mais par Herem, que c’était long ! Au claquement de l’arbalète, nous avons lâché nos traits. Presque ensembles, nos traits ont frappé Urgrand - sans le tuer. Mauvais calcul de notre embuscade, trop longue portée, malchance… Je ne sais pas. Et ce n’est pas important. Mais le sorcier n’était que blessé. Et nous savions trop bien que ses talents pour se soigner en feraient de nouveau un adversaire redoutable dans les instants à venir.

En hurlant, j’ai chargé, couvert par les tirs de mes compagnons. Mon épée s’est plantée dans le sorcier, et c’est là que les choses ont commencé sérieusement à se gâter. Vous savez, je n’en fait pas mystère, que cet arme est dans ma famille depuis des générations. Elle a la réputation de réagir face au mal, à la sorcellerie. Plus d’une fois, elle m’a averti d’un danger. A la Cloche rouge, elle avait dispersé les êtres de fumée. Mais cette fois, pas question de faire s’évaporer un sorcier. Elle vibrait déjà dans ma main au moment de la charge. Une fois plantée profondément dans l’épaule d’Urgrand, ce n’était plus des vibrations mais des secousses brutales. Lui hurlait, un hurlement barbare, animal, terrible, et moi je tentais, tant bien que mal, de ne pas lâcher mon arme. L’air semblait bouger autour de nous. Du coin de l’œil, j’ai vu avancer le dernier Sylvain, j’ai aperçu Maliam et Bartolome sortant du couvert, les nageurs se hâter vers nous. Mais, franchement, je ne sais guère ce qui s’est passé.

Pendant un court instant, je suis resté là, l’épée plantée dans Urgrand. Sans réfléchir, comme à l’entrainement, j’ai dégagé ma lame d’une secousse pour la replonger plus profondément. C’était une erreur. En un instant, ce n’était plus Urgrand qui me faisait face, mais Chacal. Une créature immense, haute comme un homme et demi et pourtant efflanquée. Avant que je ne puisse frapper, son grand bras m’avait envoyé rouler sur la berge, à moitié assommé. A nouveau, Chacal a hurlé. Son cri était sans doute un des bruits les plus terrifiants que j’entendrais dans ma vie. Je crois que je l’entendrai encore longtemps. Et je crois que je ne suis pas le seul. »

Herle regarde la tablée, ses compagnons de voyage et de lutte. Il se tait un moment.

« La suite est sacrément confuse dans mon esprit. Le coup m’avait largement sonné, et j’ai mis un moment à me remettre sur pied. Je sais que le combat s’est engagé entre Bartolome et les Sylvains qui arrivaient après leur bain forcé. Je sais aussi que je dois sans doute au trait de Maliam d’être ici à vous parler. Une flèche parfaite, droit dans la poitrine de la bête et qui l’a arrêté. L’air a vibré, Chacal a disparu, laissant Urgrand isolé et sanglant. Quand j’ai pu avancer vers lui, le sorcier semblait mourant. Un air glacé s’est mis à souffler autour de nous malgré la belle journée d’été. Urgrand ne me regardait plus, ses yeux fixaient un point derrière moi. Le denier Sylvain se rapprochait à grand pas, les yeux fous. Sans un regard pour moi, l’homme a foncé sur Urgrand.

Le sorcier hurlait. Des insultes, des protestations, je ne sais pas. L’homme, un barbu, a arraché son épée à Urgrand - une vieille épée courte, rémane, à la lame en feuille de laurier. Sans hésitation, il s’en est servir pour empaler son ancien maître. Le sang d’Urgrand a coulé dans le fleuve à gros bouillon. Une inquiétante brume noirâtre s’est dégagée de l’endroit où le sang tombait dans l’eau. Mon épée s’est remise à vibrer comme une corde d’arc. Tant bien que mal, je me suis avancé vers le barbu qui semblait toujours inconscient de ma présence. Il a fini par dégager sa lame et me faire face, l’air hagard. La brume se concentrait en une épaisse colonne qui l’environnait. J’ai même cru qu’elle entrait en lui, mais je crois que dans mon état d’alors j’ai vu bien des choses étranges.

Ma lame a fendu la garde du barbu. Au même instant, j’ai deux pouces d’acier sortir de la poitrine de l’homme. Dario avait couru à perdre haleine depuis le début du combat pour nous porter secours. Sa rapière venait d’achever le Sylvain. La brume s’est mise à tourner autour de nous. Le froid glacial est revenu. Un instant, une douleur brutale nous a envahis.

Puis le fleuve a dissipé la brume. La douleur a disparu. Ma lame a cessé de vibrer, lentement, comme à regret. Bartolome, Maliam, Nadine sans doute avaient dépêché les autres Sylvains. Nous étions toujours cinq, debout, pas vaillants mais vainqueur. Et Urgrand n’était plus. Ni lui, ni ses hommes. Chacal est parti dans le fleuve. Il est vain de penser qu’un démon de cet ordre peut être éliminé, mais il ne nous hantera plus pendant un certains temps. Vous raconter le reste serait bien monotone. Panser nos plaies, refaire le chemin, retrouver les Liam’Lon… et vous rejoindre. »

Herle se tait. Il regarde le sergent, Islinna, Mérane, les vétérans d’Aroche.

Épilogue

à développer par les joueurs à l'occasion

Ayant ainsi résolue l'affaire du campement massacré par un ours, en démontrant la présence (et donc la culpabilité) d'Urgrand et ses Sylvains avant des les tuer tous, Bartolome et son équipe ont sauvé non-seulement les relations entre Talendans et Liam'Lon, mais les accords commerciaux des Sotorine avec le clan du Faucon-Chanteur.
Le commerce pouvant dès lors se développer en bonne intelligence, tous les espoirs étaient désormais permis pour le fameux comptoir d'Écume 7 (que les navigateurs restés au camp avaient entre-temps bien agrandi)...


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