Le Rêve au Sud

De Marches du Nord
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Voici le compte-rendu d'une aventure mystérieuse jouée par un unique personnage énigmatique, le tout devant sans doute être révélé un jour...

Prologue


Frère-de-la-Meute (Kalel Kan'Shethan, en Langue des Vents) est un apprenti chaman du clan (très diminué) des Nev'Lonen (gerfaut boréal). Les siens vivent aujourd'hui sur les Terres Dentelées, une contrée désolée à l'ouest du Pays des Glaces : c'est là que les survivants la tribu des Del'Ranan se sont réfugiés il y a un peu plus de 20 ans, après avoir franchi l'Échine du Monde par le Défilé des Hurlements, quand le peuple voisin des Semi a soudain tenté de les massacrer tous sans avertissement ni explication.
Frère-de-la-Meute est né ici, sur les îlots fortifiés du Lac du Refuge, gelé presque 10 mois par an mais qui les protège de toutes les horreurs de cette région terrible : les Corrompus -des animaux morts possédés par les démons qui hantent la région, mais aussi les dragons rôdant dans les eaux froides, les loups qui parcourent ces terres...

Pourtant, ces derniers n'ont jamais été une menace pour notre héros : élevé par son "grand-oncle" chaman fréquemment plongé en rêve, Kal Romlan Onei'llon, et courant donc les forêts blanchies du Grand Nord depuis sa plus tendre enfance, le garçon a su très tôt parler aux loups et, après avoir soigné l'un d'entre eux, a été adopté par la Meute Étoilée. Cette communauté lupine l'a initié à sa forme particulière de mysticisme et, lorsque leur propre guide spirituel est mort, Frère-de-la-Meute est devenu l'intermédiaire entre les Esprits et les loups d'une part, mais aussi entre eux et la société des hommes (ce qui ne va pas toujours sans heurts).


Les "corrompus" s'étaient multiplié depuis un peu plus d'un an :
certains pourrissaient d'une longue et furieuse agonie, mais la plupart se distinguaient surtout par des comportements aberrants, un goût prononcé pour le sang des autres bêtes et une résistance surnaturelle aux blessures. Bien sûr, les Del'Ranan en avaient rencontré depuis le premier printemps de leur installation parmi la multitude de crêtes, de vallons, de fjords et de lacs des Terres Dentelées : ils avaient compris de ces premiers incidents pourquoi la région était inhabitée et s'étaient de fait rassemblés au Lac du Refuge (sur une série d’îlots escarpés, sommairement fortifiés et reliés par des passerelles).
Les Oiseaux-Totems disaient ces créatures immatérielles originaires d'un grand puits, au fond d'une caverne d'hommes dans les montagnes de l'ouest, d'où elles sortaient poussées par la faim et le désir de revêtir une chair. Mais le pays étaient si vaste, et si vide, que la tribu n'en croisait pas plus d'un ou deux par an, et en protégeait leur nouveau territoire par des rituels, des glyphes et une garde vigilante.

Et puis, il y a deux automnes, un grand élan solitaire trébucha jusqu'au terrain de chasse de la Meute Étoilée : déjà presque une charogne, il chargeait toute bête de ses larges bois pour les tuer et en mâchonner longuement les chairs. La Meute et son frère humain lui donnèrent la chasse et le poussèrent d'une haute falaise : il fallu au jeune Kan'shethan plus de deux jours pour découper et brûler la carcasse puante qu'aucune bête n'auraient mangée. Quelques semaines plus tard, un épervier des neiges attaqua la meute, blessa une femelle et fut tué par Noir-Bleu, l'alpha aux yeux vairons.

Durant l'hiver suivant, un ours brun rôda autour du Lac, s'approcha par une bande de glace solide et tua plusieurs guerriers avant que Kal Romlan Onei'llon et Kal'esh' Kan'Shethan (prévenu par les loups) ne puissent l'exorciser, permettant aux combattants de l'abattre.
Au printemps, un enfant du clan des Pan'Lohanan qui s'était perdu lors d'un orage fut retrouvé après plusieurs semaines, hagard, à quelques lieues de la Baie des Épaulards (où les Del'Ranan vont parfois chasser le morse quand les vivres manquent après l'hiver) et, après trois jours passés à trembler comme une feuille et trois nuits à hurler dans son sommeil, il finit par mordre sa mère à la gorge, forçant son père à lui fracasser le crâne de sa hache : l'enfant ne cessa de bouger et de grogner qu'après que la cognée ait entamé la cervelle et brisé les vertèbres.

L'été passa sans plus d'incident mais, à l'automne suivant, la Meute Étoilée fut assaillie par d'étranges lupins bruns au pelage ras, qui tuèrent et dévorèrent sept des leurs, forçant les loups à chercher secours auprès de leur ami bipède. Malgré une longue traque avec Noir-Bleu, le vieux Croc-Lune, la Rousse et l'Hystrion, les lupins étrangers ne furent jamais retrouvés : ils laissèrent sur leur piste des renards, un vison et deux cerfs corrompus, qui ralentirent les chasseurs et leur firent perdre la piste.
Quand le blizzard revint, il apporta un étrange rêve à Croc-Lune, qui en parla à leur Frère : un lupin brunâtre et efflanqué aux yeux de braises trottaient depuis des forêts obscures jusqu'à une montagne glacée où des hommes morts montaient la garde. Après avoir escaladé le mont, il atteignit de hautes tanières d'hommes en pierres dressées, se glissa dans une antre et rongea les cordes qui fermaient une trappe ronde. Un épais brouillard noir en sortit, que l'Efflanqué aspira et, alors qu'il repartait par la toundra gelée, toutes les bêtes devenaient folles sur son passage. Deux semaines plus tard, une bande de visons attaquèrent Croc-Lune pendant l'une de ses longues siestes diurnes, déchirèrent ses entrailles et ne se dispersèrent que lorsque la Meute s'éveilla et intervint.

Durant ce même hiver, un immense oiseau sema la terreur dans toute la région, tombant littéralement du ciel pour enlever un chevreuil ou un jeune homme, poursuivant parfois les bêtes, les loups ou les hommes sur de longues distances avec un acharnement dément. Identifié comme un "condor noir", l'oiseau-totem de la lointaine tribu des Arkonnelkan, celui-ci semblait s'être égaré très loin des hautes montagnes de l'est et ne craindre ni flèche ni feu. Ce n'est qu'à force de ruse, en attirant le rapace géant dans un piège de filets hérissés d'hameçons, que les chasseurs de la tribu en vinrent finalement à bout, découvrant que le sang du monstre était déjà froid bien avant son trépas.
C'est alors que vint le Rêve...

La nuit même de la victoire sur le monstre, les 3 chamans survivants des clans d'avant l'exode, leurs huit novices et quelques dizaines d'autres membres de la tribu firent tous le même rêve : des centaines d'oiseaux arctiques (des sternes, des tétras, des guillemots, des gerfauts, bref : les Oiseaux-Totems de tous les Del'Ranan) envahissent le Lac du Refuge pour chanter dans leurs différentes langues "La Mère revient, la Mère revient ! Revenez vers la terre des Anciens !".

Kan'shethan (et les chamans plus expérimentés) eurent également la vision d'une grande cité baignée d'eaux chaudes, apparemment déserte et envahie par la végétation, au cœur duquel une sorte de temple surmonté d'une grande demi-sphère de métal rayonnait de milles feux, toutes les portes s'ouvrant et claquant en cadence pour accueillir une silhouette voilée plus haute qu'aucun homme. Et battant des ailes au rythmes des portes, un harfang à l’œil sanglant ouvrait aux Emishen une voie secrète dans les montagnes, passant devant 4 lacs au pied de 4 pics.

Il fallut bien des jours de palabres et de rituels pour que les 3 chamans s'accordent sur une interprétation et que le conseil des chefs se décide à agir, et Kan'shethan eut tout le temps de discuter de ses visions avec Noir-Bleu et la Rousse. La Meute Étoilée aussi avaient rêvé de l'assemblée des oiseaux, d'immenses cavernes d'hommes dans les montagnes du sud et d'une géante dont les pas faisaient frémir la forêt, mais ils avaient vu autre chose : dans l'ombre de la marcheuse trottinait l'Efflanqué...


La Veillée


Un vaste feu brûle au centre de la hutte. Les anciens sont assis en cercle. Ils parlent à voix basse. Depuis deux jours, la vision ne cesse de hanter leurs palabres. Le chef des Delar'Gehmen s’emporte de temps à autre, à bout d’argument. Il ne cesse de répéter que la tribu doit partir, que seule la transhumance vers la mer peut les sauver. Les autres l’écoutent mais ne se décident pas, alors il tempête, menace de rassembler les siens et finit par s’assoir en maugréant. Si la situation n’était pas si grave, ce manège serait sans doute drôle. Kal Romlan Onei'llon le soutient comme il peut. Le rêve l’a épuisé. Pourtant, il pense aussi qu’il faut partir.

Beaucoup ont peur de bouger. Le Refuge est facile à défendre, les environs sont pauvres mais suffisent à la tribu malgré la venue des « corrompus ». Ils pensent la tribu trop affaiblie pour tout quitter en plein hiver et se risquer au travers des tempêtes. Les chefs parlent des enfants, des dangers. D’heures en heures, ils peignent une transhumance qui devient impossible.

Autour, la vie de la tribu semble ralentie. Tout le monde attend. Les quelques échos des palabres passent de bouches en bouches. Les hésitations des chefs deviennent celles des clans. On raconte en boucle le rêve à ceux qui ne l’ont pas senti. Tout le monde s’improvise chaman pour en déceler le sens. Les chasseurs s’éloignent peu, de peur de rater une décision importante.

Kal’esh’ Kan'shethan se glisse dans la tente en silence. Il a quitté la Meute Etoilée au matin pour s’en revenir vers le clan. Il s’assoie près de son mentor. Il écoute ses aînés, il observe les groupes qui se forment. Ceux qui veulent partir ne sont plus guère nombreux.

Il profite d’une pause dans les palabres pour se lancer. D’une voix claire, il raconte comment les loups ont rêvé comme les hommes. Il parle des combats, de ceux de ses frères lupins qui sont morts sous les crocs et les griffes des « corrompus ». Il dit comment les esprits corrupteurs se glissent dans les pas d’un loup efflanqué, comment les bêtes souffrent bien plus que les hommes de ce mal. Il avoue ne pas comprendre, comme tous : quelle est cette cité du sud, quelle est cette silhouette géante ? Ce qu’il sait, c’est que le mal y est lié. Si le loup maigre marche derrière elle, c’est que les hommes seront bientôt aussi victimes que les bêtes, que l’enfant n’était qu’un premier mort. Il dit qu’il faut partir, que les loups sentent les choses avant les hommes, qu’il faut les suivre.

Les chefs commencent à murmure entre eux. Certains sourient. Kal’esh’ Kan'shethan ne s’en rend pas compte. Il est pris dans son récit. Il dit que Noir-Bleu veut partir au sud, que la Meute Etoilée est inquiète. Kal Romlan Onei'llon pose sa main sur le bras de son élève.

Parmi les chefs, les chamans, les guerriers, les chasseurs et les artisans qui composent le conseil tribal, tous ne sourient pas. Shenol' Domer ("Né-des-Rochers"), Protecteur des Nev'Lonen ("gerfauts boréals") et désormais de tout les Del'Ranan intervient même d'un ton plus coupant qu'à l'accoutumée : "Quoiqu'en disent les esprits, ou même les loups, c'est de la folie ! La tribu n'est simplement pas prête pour voyager cet hiver ! Encore moins vers une destination inconnue que l'on ne connaît que par rêve. L'exode a jadis coûté bien des vies, nous manquons déjà de vivres, nos traîneaux de 20 ans d'âge manquent de tomber en pièces chaque fois que leur voile se tend... Et l'Oiseau-Monstre a tué Flèche-Tirée-Jadis, notre meilleure chasseresse ! Et vous seriez prêts à risquer toutes nos vies sur la fois d'un songe ?! Nous reviendrons sur nos terres un jour, nous retournerons au sud, car c'est notre destin : mais pas cet hiver, car nous y laisserions nos vies."

Le conseil médite un moment ce discours qui semble recueillir l'approbation de la plupart... jusqu'à ce que Ventre-d'Ourse, la gorge irritée par le calumet, crache dans le feu en secouant ses lourdes épaules : "Moi j'irai au sud. Mon traîneau est en bon état, j'ai quelques bons javelots, ma fidèle hache et j'en ai surtout plein le cul de me morfondre sur un tas de cailloux depuis que j'ai l'âge adulte. Je ne sais pas si la Mère est plus qu'une vieille légende mais mon propre vent souffle sous mes ailes et j'ai envie de voir les merveilles dont vous avez rêvées : ma sœur s'occupera de mes gosses."

Et alors que le conseil retentit d'un concert de protestation, Ventre-d'Ourse lève ses énormes fesses pour dresser sa stature plus large que haute et balancer "Que ceux qui préfèrent couiner jusqu'au prochain été restent donc assis dans la neige ! Qui vient avec moi ?"

"La Meute Etoilée brûle de partir. S'ils restent, c'est pour moi. Je ne vais pas les retarder plus longtemps. Nous irons avec toi, Ventre d'Ourse. Les rêves nous guideront au Sud. S'il le faut, nous reviendrons vers les clans au prochain été, pour leur dire que la route est libre." Kan'shethan se tourne vers le protecteur du clan, avec l'air de s'excuser. Il sait qu'il vient de parler contre l'ancien, mais espère tout de même son approbation. Il jette aussi un œil sur son mentor, attendant une réaction. Après tout, Kal Romlan aussi veut partir.

Kal Romlan Onei'llon se gratte la barbe et ne dit rien. "C'est complètement idiot, vous ne pouvez pas partir à deux !" s'énerve la vieille chamane aveugle des Nev'Lonen. "C'est de la folie ! _C'est ridicule !" reprend le conseil. "C'est... un peu juste, remarque Onei'llon. Nous devrons être au moins 6 ou 7... ahem... il faudra un second traineau, des vivres, des armes... et... hem... la pierre-solaire de Kal Loamlin."

-"Hein ?" s'étrangle le chaman des Delar'Ghemen, le plus jeune des trois : "Il n'en est pas question, Onei'llon ! C'est le bien le plus précieux de notre tribu !"

"Le bien le plus précieux, sûrement. Mais, Kal Loamlin, dis-moi, à quoi te sert cette si précieuse pierre ? Elle a guidé ton clan pendant des générations mais depuis vingt ans plus personne ne bouge. On se terre dans le Refuge. Qui d’entre nous s’est éloigné plusieurs mois ? Qui a voyagé au loin ? Pour la première fois, nous avons la chance de sortir de l’isolement, de rompre avec l’exode et la tristesse. Je comprends ta fureur, nous avons tous peur. Mais c’est la plus grande guerrière de notre clan qui mènera le voyage, c’est un chaman comme toi qui gardera la pierre-solaire. Si cette pierre existe, c’est pour nous guider. Pas pour être gardée bien au chaud."

Le vieux Rêveur salut l'argument d'un hochement de tête appréciateur, mais Kal Loamlin n'a pas l'air de vouloir en rester là. Après un instant de trouble, il réplique en ravivant l'éternel débat : "La pierre-solaire appartient aux Delar'Ghemen ! Nous avons juré sur nos morts qu'elle resterait dans notre clan, ce n'est pas pour la perdre dans une expédition hasardeuse aux mains d'une poignée de... d'emportés !" Si certains parviennent à rigoler de la saillie ("Hé Onei'llon ! Ca fait combien de temps qu'on t'avait pas appelé «emporté» ? - Hihi. - Moi ça faisait des lustres, c'est ma femme qui va être contente..."), la discussion dégénère dans l'éternelle querelle de possession des quatre clans forcés depuis 20 ans à des partages qui ne plaisent à ne personne.

C'est finalement Dernier-Sapin qui réclame le calme en agitant le calumet et en admonestant les râleurs : "Assez de chamailleries ! Sommes-nous des enfants ou le conseil tribal ? Vent-Debout, tu voulais intervenir ?"

Le lieutenant de Né-des-Rochers, que sa masse de muscles un peu affaissée par les années n'a jamais rassuré lorsqu'il fallait parler en public, s'approche un peu timidement du coin d'ombre où il se tenait depuis plus d'une heure en grattant sa barbe hirsute où s'accroche encore des glaçons au retour de sa garde :

"Ben... j'ai rêvé des portes qui claquent...
- Toi ?!
- Lui ? (Kal Loamlin est un peu vexé)
- Pourquoi ne l'as-tu pas dit plus tôt ?
- Je ne savais pas que c'était important avant de vous entendre en parler ce soir. Je viens pas au conseil d'habitude...
- Tu as... rêvé du reste ? demande Onei'llon.
- Ben la dame, la cité, les portes, les quat' montagnes, le chien fielleux...
- Le loup efflanqué !?"


  • Pendant que la conversation dérive à nouveau sur l'étrange et inédite sensibilité du guerrier au Rêve, générant toutes sortes de questions et de théorie ("Mais ça t'es déjà arrivé avant ? _De rêver ? Ben oui. _Mais de faire des "songes", des expériences spirituelles ? _Ben... comment j'distinguerais ? _Peut-être qu'il est spécialement lié à ce rêve là ! Peut-être que sa Destinée s'est manifestée !") Onei'llon, lui, réfléchit en silence.

Il considère le grand guerrier si pataud en société et d'ordinaire avare de ses pensées, dont le Nom d'adulte lui fût acquis lorsqu'il avait à peine 15 ans en tractant plus qu'il guidait, sur des dizaines de lieues jours après nuits, face au vent furieux des montagnes, son clan à travers le Défilé des Hurlements lorsque la tribu des steppes gagna les Terres Dentelées. Le vieux chaman considère sans un mot la volonté légendaire du guerrier, son endurance inhumaine et, surtout, le sens du devoir qui avait poussé alors poussé ce grand jeune homme, sur l'instant, à saisir lorsqu'elle lui fouetta le torse la longue ligne cuir que le premier de cordée avait lâché en mourant de froid dans le défilé...

"Mais ce n'est pas ce que tu étais venu nous dire, n'est-ce pas, Vent-Debout ?
- Heu...
- T'es-tu décidé ?
- Ben...
- Parce que tu sais ce qui est en jeu et que, bien sûr, tu es un Delar'Ghemen...
- Ben oui...
- Et que personne ne peux nier que tu es consciencieux, l'homme à qui l'on peut confier les tâches les plus importantes et même des trésors...
- Ben si j'vous accompagne... 'vec la pierre solaire, j'la ramène après qu'on a trouvé les 4 pics."

Et tous les regards de se tourner vers Dernier-Sapin et Kal Loamlin...

En attendant que Dernier Sapin se décide, je me penche à l'oreille

"Onei'llon, je pense à une autre Delar'Ghemen qui sera prête à venir avec nous. Je crois même qu'il faudrait attacher Ha'Osheilil si on veut l'empêcher de partir. Seulement, elle n'est pas vraiment ancienne, alors je ne crois pas que ce soit une bonne idée d'en parler maintenant."

Le temps commence à me sembler long : après tout, on est déjà quatre, cinq avec Ha'Osheilil, ça ne sera pas trop dur de trouver un ou deux autres volontaires parmi les chasseurs, et je suis à peu près sûr qu'avec Ventre-d'Ourse et Vent-Debout, on peut aller au bout du monde, aller-retour et sans histoire.

  • Le vieux chaman approuve d'un hochement de tête avant de répondre dans un murmure : "Ils n'en ont pas encore tous conscience parce qu'ils sont frileux, mais malgré les dangers il ne sera pas bien dur de trouver des volontaires : nous avons toujours été des nomades et 20 ans au même endroit aura donné des fourmis dans les jambes à beaucoup de gens, surtout les jeunes. Va trouver la petite sans tarder et voyez avec Ventre-d'Ourse pour dégotter un second traineau à vent et d'autres volontaires. Je vais aussi avoir besoin d'un inventaire de nos provisions pour convaincre certaines vieilles badernes de nous confier de quoi entreprendre le voyage. Il faudra sans doute quelques jours pour tout préparer mais nous bénéficions ce soir d'un élan que je ne veux pas laisser perdre : commencez sans trop vous faire remarquer..."


  • Kan’shethan se glisse hors de la tente où la discussion continue. Il

n’a pas de mal à trouver son amie – comme beaucoup, elle s’est débrouillée pour avoir une tâche importante et urgente à faire dans les environs du conseil. Assise sur une pierre, une dizaine de lames devant elle, elle est occupée à parfaire leur tranchant et à les graisser. Le ciel clair, pour une fois, est favorable à ce genre de travail. Elle regarde venir Kan’shethan en faisant mine d’observer le fil d’un poignard, mais son regard avide de nouvelles ne tromperai pas grand monde, encore moins un ami d’enfance. Il s’assoit en souriant à coté d’elle, sans rien dire. Même si la situation est grave, il a toujours plaisir à la faire enrager un peu. Après quelques instants, il chuchote. « Ton oncle et moi allons avoir besoin de toi, Ha'Osheilil. La tribu ne partira pas, mais les anciens ont accepté qu’un petit groupe aille en avant. Il faut dire, Ventre-d’Ourse leur a un peu forcée la main. En tout cas, Onei’llon, Ventre-d’Ourse, Vent-debout et moi partirons bientôt. Et oui, tu peux venir avec nous, pas la peine de me regarder comme ça ! Tu crois vraiment qu’on serait partis sans toi ? Par contre, il faut qu’on commence à se préparer discrètement, avant que tout le monde ne soit au courant. Je n’y connais rien en traîneau à vent et il nous en faudra deux. Ventre-d’Ourse en a un, mais tu saurais qui nous confierait le deuxième ? Est-ce que tu peux te renseigner ? Pendant que tu fais ça, je vais voir ce qu’il reste comme provisions. On se retrouve ici tout à l’heure, je doute que les Anciens sortent rapidement. » Kan’shethan se relève sans attendre. Il veut aller vite pour échapper aux milles questions de Ha'Osheilil et surtout aux curieux qui commencent à se rapprocher. D’un air décidé, il s’éloigne. Après quelques détours, il va traîner du coté des réserves. Le plus discrètement possible, il farfouille dans les cabanes et s’efforçant de retenir ce qu’il voit, seulement des réserves pour plusieurs milliers d’hommes, c’est un peu trop pour lui. Il se rend vite compte qu’il est incapable d’en juger – il y a largement de quoi nourrir la meute pour plusieurs hiver, mais la tribu ? Kan’shethan décide de changer de méthode. Il sort des réserves, un morceau de viande séchée entre les dents et se dirige vers la famille d’Onei’llon. Sa femme sait sûrement ce qu’il mijote, et elle, elle pourra lui dire ce qu’il en est des réserves de la tribu.

  • Si c'était pas clair, je m'occupe du décor et des peunjs :

en fait c'est la nuit (le ciel n'est donc pas "clair" du tout), le conseil est rassemblé dans une grande hutte autour d'un grand feu (mais l'endroit sert aussi à la "veillée" de pas mal d'autres gens pour peu qu'ils ne dérangent pas : ça coud, ça ravaude, ça brode, ça bricole...). Ha'Osheilil est donc probablement en train d'affûter des trucs dans une autre hutte chauffée (dehors, il fait entre -20 et -30°c). Je ne l'avais pas précisé, mais Vent-Debout est un "semi-shen". Plume-d'Aigrette, la vieille épouse de Romlan Onei'llon, s'est prise d'affection pour Kan'shetan durant son noviciat au point de devenir une sorte de grand-mère de substitution (ils n'avaient qu'un fils, mort dans l'attaque des Semi il y a 20 ans, et n'en ont jamais eu d'autre). En temps normal elle serait déjà couchée depuis longtemps mais, avec l'âge, l'absence de son mari et l'arthrite l'empêche souvent de dormir. Frère-de-la-Meute comprend, à la faible lueur qui filtre de la hutte, que c'est encore le cas ce soir : comme souvent, la vieille s'use les yeux sur son éternelle tapisserie commencée avant la naissance du novice.

Haute comme un enfant, longue de peut-être 100 ou 150m (elle n'a pas été entièrement déployée depuis un moment) elle raconte l'histoire des Del'Ranan depuis le mariage de son auteure, par des scénettes précises, des symboles élaborés et des glyphes complexes*. Elle se fait toujours décrire les événements en détails (et en couleurs), on lui raconte la vie des disparus et le nœud des amours, on lui confie la crainte des combats ou la ruse d'une grande chasse... Parfois, les gens apportent à Plume-d'Aigrette des fils colorés ou de la teinture en lui demandant d'ajouter à ses annales tapissées les événements qui les ont touchés. Elle y consacre le plus clair de son temps, elle y déverse son trop plein de peine et ses colères, elle y inscrit en petits points de couleurs ses joies et ses espoirs comme ceux de sa tribu, malgré ses mains douloureuses et son regard qui s'obscurcit, dans l'attente patiente de l'un ou l'autre jeune qui reprendrait l'ouvrage après elle (elle a donc probablement essayé de t'apprendre à broder, comme à une bonne moitié du Refuge).

Beaucoup de fils noir et rouge s'accumulent ce soir dans la vasque de bois usé, alors que la vieille esquisse au fusain, sur une planche laquée, les formes qui deviendront l'oiseau-monstre, le piège de Flèche-Tirée-Jadis et son sacrifice pour abattre la bête. "Entre mon petit, raconte-moi quelles bêtises se déroulent au conseil et ce que je peux faire pour toi..."

  • << Bonsoir "Grand-mère". Tu vas avoir quelques pieds à rajouter à ta

tapisserie après ce soir. Le conseil n'est pas fini mais je me suis échappé. Nous allons partir, pas la tribu, mais quelques uns. Ce qui coince un peu, c'est qu'Onei'llon a eu l'idée d'emmener la pierre solaire. C'est sûr que ça sera sacrément plus simple de nous diriger avec, mais tu imagines la réaction des Delar'Ghemen... Ca a beaucoup crié. Je crois que lui s'est bien amusé. Il a pris son air de celui qui connait déjà la fin de l'histoire mais qui reste à l'écouter juste pour le plaisir, un peu le même que quand je lui récite mes chants. Enfin, bref, finalement, Vent-debout a fait pencher la balance en notre faveur en proposant de partir aussi. La vraie surprise, c'est qu'il a rêvé comme nous, mieux même, comme la meute, il a vu le loup efflanqué dans les pas de la géante. Du coup, il veut être du voyage, et il peut emmener la pierre. Onei'llon m'a envoyé dehors après ça, pendant que les anciens se remettaient à s'interpeller. Il veut que je fasse l'inventaire des provisions de la tribu. Je pense qu'il veut savoir ce qu'on peut emporter sans mettre tout le monde en danger... seulement, moi, je suis bien allé voir les réserves, mais je ne me rend pas compte. Alors je me suis dit que tu pourrais m'aider, et que ça te ferait plaisir de savoir ce qui se passe. D'ailleurs, est-ce que tu viens, "Grand-mère" ? Avec le meute et les guerriers, je suis sûr qu'on pourra te protéger même si tu ne cours plus très vite. Et puis on part en traineau à vent, enfin, si Ha'Osheilil arrive à nous en trouver un deuxième. Je me demande bien comment je vais convaincre la meute de grimper à bord, tiens. Enfin, chaque problème à son heure c'est ce qu'Onei'llon me répète à chaque fois, non ? >>

  • "En traineau, avec mon arthrite ? Tu n'y penses pas mon garçon... Mon vieux petit mari doit déjà s'illusionner bien fort pour s'y aventurer, mais je suppose que c'est dans sa nature. Et toi, tu as mangé ? Tiens, il reste de la viande de phoque, prends, il faut manger à ton âge. Ton père va bien ? Et tu t'es enfin trouvé une amoureuse ? Tu devrais y penser, un beau garçon comme toi. Il faut en profiter quand on peut, on est pas jeune toute la vie, oh non !

Les réserves de la tribu, en cette saison ? Que crois-tu : elles sont bien minces, mon petit. Est-ce qu'elles peuvent suffire à votre expédition, c'est probable, mais combien de temps durera-t-elle ? Combien de vivres vous faut-il, combien de gens devront se priver pour vous permettre de partir ? Et le conseil, les clans, il faudra leur accord avant de sacrifier nos vivres pour que vous suiviez un rêve jusqu'à l'autre bout de l'hiver... C'est mon mari qui t'a mis ça en tête ? Il n'est pas raisonnable..."

  • "Je ne crois pas qu'Onei'llon veuille prendre beaucoup de provisions.

Justement, comme beaucoup d'Anciens ne sont pas très favorables à notre aventure, il ne faudrait pas qu'en plus on laisse les clans dans une situation encore plus mauvaise qu'en ce moment. Du coup, ce que je voudrais savoir, c'est ce qu'on pourrait raisonnablement emporter sans trop priver les autres. Je sais bien qu'il n'y a déjà pas assez, mais de quoi nourrir 8 personnes pour un mois, est-ce que ça va vraiment faire un trou dans les réserves ? On ne sait pas très bien combien de temps il nous faudra pour faire le voyage jusqu'au territoire des Tallalnen, ni combien de temps il nous faudra pour les trouver, leur parler, et découvrir le chemin vers les quatre lacs dont on a rêvé. Mais un mois, ça me parait vraiment le minimum, et en même temps je ne vois pas comment on pourrait emporter plus, déjà là, avec le reste du matériel, ça ne va jamais tenir sur les chariots. Bon, disons quinze jours, plus si c'est possible. Tu crois que l'on pourrait obtenir ça ? Pour le reste, on chassera. Entre la meute et Ha'Osheilil, sans compter les autres, on devrait bien réussir à attraper un peu de gibier. Après tout, il parait qu'au sud c'est moins terrible qu'ici, une fois passé tous les endroits pas sympathiques où certains se sont déjà égarés. Donc on devrait s'en sortir, faudra bien. Et puis les esprits sont avec nous."

  • "Aujourd'hui, la tribu possède à peu près de quoi nourrir tout le monde chichement pour encore deux ou trois semaines, ça ne suffira déjà pas jusqu'au redoux (1). Les chasseurs parlent déjà de monter une deuxième expédition (2) vers la Baie des Phoques

Il vous sera donc plus facile de négocier deux semaines de vivres qu'un mois, c'est certain, mais vous n'obtiendrez sans doute rien à moins que vous ne commenciez par convaincre suffisamment de gens de l'importance de cette mission qui ne rapportera rien à la communauté, tout en la privant de guerriers, de chasseurs et de médecins dont elles auraient bien besoin..."

1) L'hiver dure techniquement presque six mois dans la région (de début octobre à fin-mars, en gros, les neiges ne disparaissant des vallées qu'à partir de mi-avril), la période la plus dure (parce qu'à la fois la plus froide et la plus "étrange") étant le Long Crépuscule qui marque le milieu de l'hiver : presque un mois de "nuit polaire", où il ne fait jamais vraiment jour. C'est souvent à cette période que les monstres sont les plus nombreux, mais aussi que les chamans rêvent le plus intensément. Donc là, début mars, il est raisonnable de compter encore six semaines "d'hiver", avant que la végétation ne repousse un peu et que la faune reviennent. Comme le secteur est déjà assez "pauvre", c'est vraiment pas la joie : chaque année, quelques dizaines de vieux et d'enfants del'ranan meurent de froid ou de malnutrition pendant l'hiver. C'est aussi ce qui explique que "ta" meute soit si peu nombreuse : la majorité du groupe est depuis longtemps partie vers le sud.

2) le problème de ces expédition de chasse vers la baie des phoques et que, si les chasseurs ne sont pas chanceux et habiles, ce qu'ils rapportent de prises ne dépassent pas forcément les ressources (vivres, armes, chauffage...) que la tribu leur a confiées en partant. Comme il y a d'autres dangers, notamment des monstres marins, mais aussi le blizzard, les tempêtes en mer etc., c'est un risque que la tribu n'ose vraiment courir que lorsque ça va mal... et pour qu'on parle d'une deuxième expédition cet hiver, c'est que ça va pas bien fort.

  • "C'est tout ? J’espérais qu'on s'en tirait un peu mieux que ça. Je

vais aller retrouver Ha'Osheilil pour voir où elle en est. Merci, "Grand-mère" Je te promets qu'on sera prudents et que je te ramènerai ton mari entier." Kan'shethan l'embrasse sur les deux joues et sort de la hutte. Il retourne là où il a laissé son ami. Si seulement elle avait trouvé un autre chariot... Pour le moment, l'expédition semble mal partie."

  • Ha'Osheilil n'a eu que le temps de déranger l'oncle qui l'a élevée (sa mère est morte en couche, son père est inconnu), possesseur d'un traineau à vent sur lequel elle a tout appris et qu'elle a déjà maintes fois emprunté... Mais l'oncle refuse tout net de prêter son seul trésor à une expédition aussi incertaine : Ha'Osheilil a même eu droit à un sermon commun de toute la famille sur les dangers de l'Est, des voyages en hiver et même de son amitié avec toi. Bref, c'est mal barré et ton mentor se faisait apparemment des illusions en espérant qu'on y pourrait quoique ce soit ce soir.

Alors, comment notre jeune novice et ses compagnons comptent-ils s'y prendre pour monter leur expédition dans les jours qui suivent ?


Le Solitaire


  • plan "permafrost"
  • Sans la tempête de neige, ça ce serait passé parfaitement. C'est tellement vrai que tu l'as répété plusieurs fois aux autres, mais ça ne semble pourtant guère améliorer l'humeur de Ventre-d'Ourse : elle fait encore la gueule parce qu'il a fallu abandonner le traineau à vent. Ha'Osheilil, elle, réussit à te bouder en se rendant utile, ouvrant la marche 20 pas devant, sa silhouette longiligne à peine visible à travers les tourbillons blancs qui tournoient dans le défilé. Marche-la-Nuit, pas plus affectée que cela par l'accident (mais qu'est-ce qui l'atteint vraiment ?) trottine à l'arrière garde, toujours intriguée par cette Meute qui vous suit partout sans vous attaquer. Tu lui as bien expliqué que c'était des amis, une espèce d'escorte, des cousins à quatre pattes, mais tu n'as pas l'impression qu'elle ait compris.

Ah les femmes !

Il n'est même pas vraiment abîmé, le traineau : juste planté dans un tas de neige au fond d'une combe rocheuse. Bon, le mât est un peu délogé, certes, mais rien que quelques cales ne puissent résoudre. Et justement, c'était à cause de la tempête : sans ça, tu aurais bien vu que vous étiez beaucoup plus près des Crevasses que tu ne l'imaginais. Et puis franchement, est-ce que c'est ta faute si Renard-Solitaire habite une grotte dans les Crevasses Persiflantes ? Déjà : le vent souffle moins fort dans ces gorges étroites, c'est plutôt un bien ! Parce que là-haut, sur le plateau, les bourrasques ont manqué plusieurs fois de coucher le traineau. Il aurait bien fallu finir à pied, de toutes façons...

Si on réfléchit, c'est même une sacrée chance que l’Histrion ait trouvé la piste du Solitaire dans le blizzard. Et puis, contrairement à ce que prétend Ventre-d'Ourse, vous n'êtes absolument pas perdus : tu sens le feu et la présence du trappeur droit devant ! C'est pas comme si c'était toi qui avait mis une falaise pile-poil dans l'axe.

Qu'est-ce que tu fais ?

  • discussion/décision
  • Vous marchez à nouveau depuis un long-moment, complètement assourdis par le souffle du vent qui, redoublant et accéléré par l'étroitesse des gorges, emporte au loin le moindre mot prononcé. De ce que tu comprends de l'humeur de tes compagnes, c'est peut-être un bien...

Mais ça ne peut pas durer : il y a déjà un moment que tu ne sens plus tes orteils et, lorsque Ha'Osheilil a tenté d'escalader un pierrier vers la droite, dans la direction où tu sentais le Solitaire, elle est vite retombée, tétanisée par le froid. Tu trembles continuellement sous tes fourrures, essuyant maladroitement la neige de tes paupières pour voir un peu plus loin que ton bras. Vous avancez donc presque en aveugle, à petits pas maladroits, courbés contre le blizzard, en suivant la paroi de droite de cette gorge qui n'en fini pas.

Vues les circonstances, le plus sage serait encore de se blottir tous ensemble dans un creux de rocher mais la neige tournoyante est maintenant si dense que vous n'arrivez plus à repérer une anfractuosité et tu seras bientôt trop fatigué pour recourir à la Clairvoyance...

Qu'est-ce que tu fais ?

  • j'utilise ce qu'il me reste d'énergie pour "clairvoyer" un refuge.
  • Ta vision s'étend à travers le flux chaotique des flocons de neige et remonte peu à peu le cours du torrent, que tu sens maintenant clairement courir à plusieurs mètres de neige et de glace sous vos pieds. Dans les méandres des parois irrégulières, des anfractuosités t'apparaissent et même une faille étroite et perpendiculaire qui semble protégée du vent, à quelques centaines de mètres (difficile à dire, en tous cas ce sera à main gauche). À peine plus loin, quelque part vers la droite et en surplomb de la gorge, une sorte de grotte émet une faible chaleur, mais tu ne distingues encore aucun passage pour l'atteindre... seulement une forme blanchâtre, mais vivante, presque portée par le vent, et qui se rapproche doucement dans le blizzard.

Avant que la morsure du froid et le vertige de tes sens ne t'obligent à lâcher ta vision, tu as pu distinguer deux yeux bleus et la douceur d'une fourrure, qui s'étend en un long ruban vacillant derrière la silhouette indistincte que la tempête pousse vers vous.

Qu'est-ce que tu fais ?

  • Je me dirige vers la silhouette.

Je le dis à mes compagnes si on arrive à communiquer dans le blizzard.

  • À force de beugler et de les tirer par la manche, tu réussis à faire repartir tes compagnes qui s'étaient blotties dans un vague creux de rocher et qui ne comprennent guère ce que tu as pu percevoir. La neige glaçante vous colle aux paupières et vous mord la peau de plus belle pendant que vous trébuchez vers l'amont, où ne se distingue plus rien que le flot blanc des flocons entre les murs noirs du défilés.

Et soudain, une main jaillie du blizzard te saisit par le col et te tracte sans ménagement vers une capuche de fourrure claire, couvrant un masque de cuir et d'os en forme de museau pointu, derrière les paupières étroites duquel te fixe deux yeux bleus : "Vous êtes complètement débiles pour sortir par ce temps ?!! Attrape-ça, andouille, et magnez-vous de grimper !" Et de te coller une sorte de corde grasse dans la main, qui voltige dans le vent derrière lui et semble ancrée plus loin que tu ne peux voir, vers la paroi droite.

  • J'argumenterai plus tard. Je grimpe, enfin, j'essaye. (Quelque chose me dit qu'on a trouvé celui qu'on cherchait, mais qu'on va pas vraiment être crédible comme "seuls espoirs" du clan)
  • Fixée à la paroi par des sortes de coins métalliques dotés d'un anneau, l'épaisse corde de poils tressés (?) monte le long d'une corniche étroite et glissante où tu manques plusieurs fois de te rompre le cou (tes compagnes et le Renard sont nettement plus agiles) qui se dresse de plus en plus raide le long du ravin. Lorsque tu dérapes, le vent te ballote, suspendu à la corde, et te cogne comme un sac contre la roche aigüe (note : 1 point de Blessure pour les gnons, 1 autre pour le froid) mais, toujours poussé, retenu et houspillé par le trappeur, tu finis par te hisser jusqu'à une plateforme encaissée où s'ouvre une galerie étroite, moins haute qu'un homme : la source de chaleur que tu avais détecté plus tôt.

Avançant à quatre pattes dans le tunnel, tu atteints finalement une grotte plus haute que large où brûle un petit feu de bouse et de charbon de terre. "Bouge ! Laisse-rentrer les autres !" te dit le Solitaire en te poussant au cul sans ménagement vers la masse de fourrures qui doit être son lit, sous toute une batterie d'ustensiles, de harnais, de cordes et d'armes accrochée à la paroi par les mêmes coins. Une peau de lapin, quelques lanières de viande et un pot de terre cuite qui dégage une odeur d'herbes sont suspendus à un stalactite, au-dessus du maigre feu.

À ta suite, Marche-la-Nuit, Ha'Osheilil et Ventre-d'Ourse, que sa masse oblige à se tortiller pour s'extraire du tunnel, débouchent dans la grotte bientôt pleine et se précipitent vers la faible chaleur, retirant leurs gants en peau de phoque pour réchauffer leurs doigts gelés. "Retirez vos bottes avant d'y laisser vos orteils, et prenez toutes du brouet. Quand vous serez réchauffées vous m'expliquerez quelle folie vous a prises de vous aventurer dans le blizzard. _C'est sa faute !" lâche Ventre d'ourse en te désignant d'un geste de son menton tremblant.

  • " Ben, oui, c'est ma faute.

D'un autre côté, personne n'a rien proposé d'autre et c'est pas moi qui suit un grand chasseur renommé. Moi j'ai juste des idées. Et puis, on l'a trouvé, le Solitaire, euh, pardon, on t'a trouvé, frère. Merci pour ton aide.

Mais si nous avons eu la folie de braver le blizzard, c'est que l'heure est grave. La tribu périclite. Notre nombre diminue et les dangers augmentent. Les chamans des clans ont tous partagé une même vision. La vision nous entraîne au sud. Il y a des réponses là-bas. Il faudra traverser des terres inconnues, prendre des risques innombrables. Bientôt, ce blizzard nous semblera une plaisanterie.

Il y a peu de volontaires. Nous en sommes, tous les quatre. Ta réputation m'a fait penser à toi. Alors nous sommes venus, aussi vite que possible."

  • Renard-Solitaire te regarde, d'abord surpris que tu n'aies pas une voix de jeune fille, puis atterré par tes propos. "Si l'urgence t'es une raison pour risquer inutilement les vies de tous tes volontaires, je ne suis pas sûr d'être motivé. Et puis c'est votre tribu : moi, si je vis ici, c'est bien parce que je n'ai plus envie de faire partie des vôtres.

Reposez-vous, réchauffez-vous : quand ce sera calmé, vous pourrez repartir."

  • Je me pose, je m'assoie, bref, je prends mon temps avant de reprendre la discussion.

"Les esprits nous ont mené à toi, Renard Solitaire. Ils ne sont pas toujours très précis, mais ils sont fiables. Toi-même, tu ne nous a pas trouvé par hasard. Dans un blizzard hurlant, tu es sorti de chez toi, tu m'as trouvé et tu nous as guidé. Cette soupe était prête, et il y en a bien trop pour un homme seul. Tu savais que nous venions.

Le risque n'était pas inutile et tu le sais. Toi aussi, tu as vu quelque chose. Peut-être me le diras-tu, je ne suis qu'un presque chaman, mais je peux t'aider à y voir plus clair si c'est nécessaire.

Tu sais que le Sud nous appelle. Tu sais qui est Ventre-d'Ourse. Tu connais sans doute celui qui m'a guidé, Kal Romlan. Mes frère de meute te connaissent. Nous ne sommes pas là par hasard. Notre rencontre fait partie de ce qui devait se passer.

Tu dis que tu ne veux plus être des nôtres, mais tu ne peux pas tourner le dos aux présages. La tribu a ses torts, sûrement. J'ai passé assez de temps avec les loups pour savoir que les hommes parlent parfois trop. Mais il ne s'agit pas de tort, de rancœur et du passé.

Nous sommes ici parce qu'il y a une tâche à accomplir. Et nous avons besoin de ton aide."

  • Renard Solitaire s'installe lui aussi confortablement, brosse la neige et la glace accumulées sur son manteau de fourrure blanche (probablement de l'ours polaire !) et retire finalement son masque en forme de museau, révélant un visage d'ivoire aux yeux très bleus, mais bridés (encore un semi-shen !) et creusé de rides profondes, encadré par une longue chevelure grisonnante : il doit avoir bien plus de 40 ans, et semblait pourtant se mouvoir sur les pierres verglacé plus agilement que tes plus sveltes compagnes.

Il écoute tranquillement tes propos, mais semble assez surpris : "Un appel du Sud ? Des présages ? Héhé : tu me prêtes des pouvoirs que je n'ai pas ! La seule chose que j'ai entendu, c'est une poignée de demeurés qui beuglaient à travers le blizzard depuis un moment X, et puisque vous ne sembliez pas réussir à vous dépatouiller, j'ai fini par avoir pitié de vous (sourire sarcastique). Quant à la soupe ben... j'en fais toujours pour plusieurs jours à la fois, vu que sinon ça me coûte trop de charbon de redémarrer le feu plusieurs fois. J'ai par contre entendu parler de Kal Romlan, de Ventre-d'Ourse et j'ai même connu Ha'Osheilil quand elle apprenait marcher : je vois que tu es devenu une bien jolie jeune femme, ma chère enfant (sourire engageant). Et si je connais effectivement la Meute Étoilée, qui essaye sans cesse de s'introduire sur mon territoire, toi... je ne sais toujours pas qui tu es (tu as en effet complètement oublié de te présenter, espèce d'étourdi)."

"En tous cas, cette histoire d'appel du Sud et de chamans m'a l'air tout à fait amusante : puisque nous n'avons rien de mieux à faire avant que la tempête se calme et que tu es manifestement bavard de nature, je propose que tu nous racontes ça pendant que je ravaude mes crampons." Il saisit prestement des crochets d'os, suspendus dans le bric-à-brac au dessus de ta tête, dégage d'une pochette de peau un épais fil gris et une aiguille de fer et, consciencieusement, pendant que tes compagnes transies se réchauffent, il entreprend de repriser les lanières de cuir abîmées qui permettent de fixer les crampons sous ses semelles en lamelles de bois en te jetant parfois un de ses regards aussi attentifs qu'amusés.

X (si c'est vrai, il doit avoir des sens franchement surhumains.)

  • Excuse mon impolitesse. Souvent, je me laisse emporter par la parole. Je m'appelle Kal'esh' Kan'shethan. Je suis l'élève de Kal Romlan et j'appartiens à la Meute Etoilée. Les loups m'ont accueilli et accepté il y a bien des hivers. J'ai appris autant avec eux qu'avec les hommes... et parfois, mes manières s'en ressentent.

Je vais te conter cette histoire d'aussi loin que je me souvienne.

Nous sommes en danger ici. Plus qu'à l'ordinaire. Il y a déjà plusieurs hivers que la tribu a affaire à des "corrompus", des bêtes malades et agressives. Il y a peu de temps, c'est un immense "condor noir" qui nous a attaqué. Plusieurs sont morts pendant sa traque.

A sa mort, nous avons fait un rêve. Nous, les novices et bien sûr les chamans, mais aussi des guerriers et des chasseurs, parfois même des frères ou des sœurs qui n'avaient encore jamais rêvé ainsi. Le même rêve, un présage puissant : des centaines d'oiseaux arctiques (des sternes, des tétras, des guillemots, bref : les oiseaux totems de tous les Del'Ranan) envahissent le Lac du Refuge pour chanter dans leurs différentes langues "La Mère revient, la Mère revient ! Revenez vers la terre des Anciens !".

Certains parmi nous ont eu plus de détails [je lui raconte la suite]. Je n'ai jamais eu de rêve aussi fort, aussi précis, aussi puissant. C'est comme si les esprits nous parlaient directement. La Meute Etoilée a rêvé aussi. Les mêmes images, les mêmes présage - et les mêmes craintes. Il y a une femme, une géante, qui marche aux côtés d'un loup maigre et qui joue un rôle dans nos malheurs. Il y a surtout une voie vers le Sud, une voie qui sauvera la tribu.

Le harfang nous l'a indiqué. Une voie secrète dans la montagne, quatre pics et quatre lacs qui nous mèneront vers une terre plus accueillante.

Les anciens ont parlé pendant des jours. Kal Romlan, d'autres, ont tenté de le convaincre de partir. La plupart ne veulent rien en savoir. Né-des-Rochers nous a opposé une résistance farouche. Il ne veut pas risquer la tribu, sans comprendre que seul ce risque peut nous faire traverser les prochains hivers. Kal Romlan et Ventre-d'Ourse ont parlé longtemps. Ils ont obtenu de partir en avant. Alors nous partons au Sud.

Nous ne sommes qu'une poignée, et une expédition aussi longue ne peut reposer sur les épaules de quelques uns. Nous manquons de tout, comme toujours. Mais les esprits nous guident.

J'ai voulu venir te chercher. Toi aussi, tu n'es pas dans le cœur de Né-des-Rochers. Toi aussi, tu es prêt à prendre des risques si tu l'estimes nécessaire. Cette expédition est indispensable. Et ton talent pour vivre dans l'hiver nous sera précieux."

  • Renard-Solitaire gratte pensivement sa courte barbe... "Une expédition en hiver, hein ? Tu me vois voyager avec tes loups ?! (il ricane)"

"Pourquoi ne pas attendre le printemps ?"

"Et qui serait cette géante mystérieuse ? Que signifie tout ça ?"

  • "Si je savais expliquer simplement un tel présage, je serai un bien meilleur chaman que tous nos anciens. Même Kal Romlan n'en comprend pas tout. La géante est un mystère - je crois que c'est une femme puissante, aux pouvoirs qui dépensent ceux d'un chaman ordinaire. Je crois aussi qu'elle manipule des forces qui nous dépassent et que, volontairement ou non, elle participe à l'apparition des corrompus. La meute l'a senti aussi.Elle n'est pas hostile, je ne crois pas. Mais elle joue un rôle dans le destin de notre peuple. Sans doute a-t-elle besoin de nous, ou de notre présence. En tout cas, il faut aller voir, chercher, plus au sud.

Pour ce qui est du reste du présage, c'est plus clair. Le harfang nous encourage à partir au sud. La survie est à ce prix. Et attendre, ce n'est pas une solution. La tribu attend depuis vingt ans, la tribu se meurt à petit feu depuis vingt ans. Alors, oui, c'est l'hiver. Mais les chasseurs sortent pendant l'hiver. Mais les morts continuent pendant l'hiver. Et nous ne savons pas combien de temps durera ce voyage. Je sais juste que plus on tarde, plus ce sera difficile une fois arrivés au sud. Ce n'est pas le voyage qui m'inquiète, c'est après. Alors, oui, tu me trouveras peut-être inconscient et naïf, mais je crois que c'est le destin de la tribu qui se joue dans ces rêves. Et je ne vais pas rester à attendre un peu plus de soleil.

Nous sommes six pour l'instant. D'autres vont nous rejoindre. Nous aurons deux chars à vent, un de matériel. Nous irons vite. Et la Meute Etoilée nous accompagne. Tu sais comme moi qu'il n'y a pas meilleur pisteur qu'un loup. Et ceux-ci sont mes frères.

Tu es libre, Renard-Solitaire, tu l'as toujours été. Plus libre que bien des hommes. Mais aujourd'hui, c'est le destin qui vient te chercher. Pourquoi crois-tu que les esprits nous ont guidé jusqu'à toi ? Pourquoi crois-tu qu'ils t'ont donné ce don qui t'a fait nous entendre dans la tempête ?"

  • S'il a écouté attentivement tes explications, ton argumentaire déclenche un nouveau ricanement aigu, à la limite du jappement.

"Ce ne sont pas les esprits qui m'ont donné une bonne oreille, c'est le mélange des sangs et les années d'exercice. Et si ce sont tes esprits qui vous ont guidé ici, ils n'ont pas fait du très bon boulot. En admettant qu'il se passe quelque chose d'intrigant au sud [tu commences à réaliser qu'il est affreusement curieux de nature] et que l'aventure m'intéresse, je ne sais pas si je voudrais m'embarquer avec une bande d'amateurs guidés par un mystique en culotte courte. Qu'est-ce qu'il en dit, Kal Romlan ?"

  • "Je ne suis pas qu'un mystique en culotte courte, comme tu dis, même si mes compagnes vont sans doute trouver que ce surnom me va bien. J'ai vécu plusieurs hiver avec la Meute Etoilée, j'ai chassé avec eux et souffert comme eux. Je ne suis pas aussi naïf que tu ne le penses. Je crois simplement que mon destin, et pas seulement le mien, nous appelle au sud.

Les esprits ne sont pas des guides infaillibles. Ils nous tracent des voies que nous devons emprunter comme nous pouvons. Pour l'heure, ils nous montrent le sud et nous disent l'urgence.

Kal Romlan a réussi à convaincre les anciens de nous laisser monter une expédition. Il a même obtenu la pierre lunaire des Delar'Ghemen pour nous guider plus sûrement. Le moment est propice, malgré la tempête, malgré l'hiver. Si nous le laissons passer, nous ne partirons pas.

Ce voyage est la plus grande aventure offert à notre peuple depuis des générations. Nous y verrons ce que jamais un Del'Rannan n'a vu. Des terres inconnues, des hommes et des bêtes aux visages nouveaux. Des réponses à des questions que l'on ne connait pas encore.

Encore une fois, Renard-Solitaire, je comprends ta prudence et ton refus. Ta sagesse t'honore. Mais l'heure n'est plus, je crois, à la sagesse. Ecoute ton coeur, écoute l'appel du voyage. Je te promets que tu feras alors le bon choix."

  • Renard-Solitaire accueille ces nouveaux arguments avec un peu moins d'ironie, mais ne donne pas beaucoup de signes de convictions. En tous cas, vous vous réchauffez peu à peu (tu récupères ton point de dommage de froid) et, quoi qu'il se foute un peu de vous, il semble apprécier d'avoir de la compagnie.
  • Je reprends la conversation en changeant de sujet, pour ne pas l'assommer d'arguments. Comme il a l'air d'aimer les histoires, je me mets à raconter la dernière grande chasse contre le condor noir corrompu. Je sème mon récit de remarques sur les Arkonelkan, leur totem, le fait qu'ils sont au sud. Bref, j'essaye de laisser des pistes pour que sa curiosité naturelle s'en empare.

Si ça le lance sur des récits de chasse, je le laisse parler et j'encourage à Ha'Osheilil à participer à la discussion en tant que chasseuse. Après tout, c'est elle qui est la plus à même d'apprécier le talent de Renard Solitaire.

Enfin, je me repose un peu en regardant tout autour. A priori, la grotte ne présente pas grand chose d'étonnant, mais on ne sais jamais, peut-être que je peux y voir un truc qui me surprenne - et me donne une idée.

  • Renard Solitaire est très intéressé par les histoires de "corrompus" : il en a croisé plusieurs, dont un grand renne solitaire presque à moitié décomposé qui errait au hasard et qu'il a eut un mal de chien à neutraliser (il a du le piéger dans un lace gelé, il y est encore si ça vous intéresse) mais il ignore tout de leur origine et de leur nature. Il constate seulement qu'ils se multiplient et qu'ils sèment un boxon sans nom dans le fragile équilibre naturel de la région. Si vous avez des explications sur le sujet, il est notamment très curieux de connaître l'avis des chamans.

{Ha'Osheilil reste néanmoins assez réservée, apparemment assez mal à l'aise de l'intérêt concupiscent qu'elle suscite chez le vieux chasseur...}

  • "La tribu connait les corrompus depuis que nous sommes arrivés dans ces terres. Tu as constaté toi-même qu'ils sont plus nombreux et plus agressifs. Ce mal touche même le clan. Un enfant a été pris. J'ai peur qu'un adulte affaibli, isolé, puisse en être victime aussi.

Je crois que ce sont des esprits impurs, différents de ceux que nous connaissons. Ils s'emparent des charognes encore fraîches pour ravager les alentours.

Les totems disent qu'ils viennent d'un puit sans fond, au fond d'une caverne. C'est la faim qui les fait sortir. Ils revêtent une dépouille et se mettent en chasse. Croc-Lune a vu le puit en rêve. Il est dans une cité de pierre, une cité d'hommes étranges. Le loup maigre a ouvert le puit. Quelque chose en est sorti. Depuis, il sème la corruption derrière lui.

Tu dis qu'ils rompent l'équilibre naturel. Je crois qu'ils sont une conséquence de la rupture. Ce sont un symptôme, un avertissement. Le loup maigre n'est pas seul. Il y a des hommes dans la cité mais les esprits ne nous montrent pas leur rôle.

Les visions que nous avons reçu nous entraînent au sud. C'est là-bas que nous trouverons la clef de ces mystères. C'est là-bas que nous parviendront, avec l'aides des esprits, à rétablir l'équilibre. Nous devons rejoindre les autres tribus, parler aux autres chamans. Isolés, seuls dans ces terres dangereuses, nous finirons par subir le même sort que l'enfant.

Il faut que nous en apprenions davantage. Et pour cela, il faut partir."

  • Dehors, la tempête de neige s'est réduite à une bise vive portant quelques flocons épars, depuis des heures que vous discutez dans la grotte de Renard Solitaire. Si Ventre-d'Ourse surveille encore les échange d'une oreille morne, Ha'Osheilil et Marche-la-Nuit se sont endormies, épuisées par le froid et maintenant bercées par le feu. Le vieux trappeur et toi discutez encore :

tu sens qu'il ne le dira pas, mais qu'il est ravi d'avoir de la compagnie, un peu de conversation... Curieux de tout, il a demandé quelques nouvelles du Refuge (auquel il prétendait ne pas s'intéresser), des quelques personnes qu'il y connaît encore (notamment de Plume-d'Aigrette et d'une jeune veuve Bom'Silven qu'il semble avoir "fréquenté") ou de la chasse aux phoques. Et s'il est intrigué par les visions que tu lui racontes, le Sud et les corrompus, il n'a pas l'air de se décider à rejoindre votre équipe dans son périple. Quelque chose le retient, quelque chose qu'il ne dit pas.

À force d'insistance, néanmoins, et puisque vous projetez de lancer d'abord une expédition de ravitaillement, il fini par s'engager à demi-mots à vous accompagner dans cette première chasse "Vu que vous avez l'air aussi doués que des chiots avec un arc...".

  • Je ne relève pas sa remarque (qui n'est pas vraiment fausse dans mon cas) et comme les filles dorment...

Je prends le temps de lui faire confirmer sa promesse et ensuite je me repose aussi. A priori, je dois être pas mal épuisé. J'ai noté dans un coin de ma tête sa réticence. J'espère bien lui faire dire ce qui le bloque au cours de l'expédition, en comptant sur un moment d'enthousiasme partagé quand on trouvera nos premières proies congelées.

Donc, quand la tempête aura bien fini par s'épuiser, qu'on aura repris des forces, on repartira au traîneau pour réparer et continuer la route. Comme je ne sers pas à grand chose en matière de réparation, j'en profiterai pour faire le point avec la Meute Etoilée et/ou faire un peu de clairvoyance sur la route à tenir.

  • La tempête s'éteint durant la soirée et vous passez donc la nuit dans la grotte pour repartir le lendemain dans une aube grise et presque opaque, noyée dans les flocons qui tombent doucement. Évidemment, apprenant la situation de votre traineau, le trappeur se fout de ta gueule pendant toute la marche dans les canyons... sauf les fois où il vous fait tous grimper urgemment sur les rochers "parce qu'il y a un dragon sous la glace" : de « petits » spécimens remontent parfois jusqu'ici et, quand ils repèrent une vibration sur la surface gelée de la rivière, ils remontent brutalement, arrivant parfois à fracturer assez de banquise pour attraper une jambe. Mais comme leurs épines dorsales ont tendance à frotter sous la glace et qu'ils sont un peu gros pour les passages étroits et renverse des pierres, "on peut les repérer si on a l'oreille fine" (!).

Ventre-d'Ourse pense que le trappeur se fout de votre gueule, mais Marche-la-Nuit bondit sur la paroi rocheuse au moindre grattement (ce qui fait beaucoup rire votre nouveau compagnon) et Ha'Osheilil ne semble pas très rassurée.

Pendant que les femmes redressent le traineau et le hissent en haut du devers, tu as la tâche de calmer le jeu entre Renard Solitaire et la meute, mutuellement prêts à se sauter à la gorge. Le Solitaire ne fait d'ailleurs aucun effort diplomatique puisqu'il a d'entrée de jeu allumé un manchon d'amadou autour du fer de sa lance, menaçant les loups avec son arme enflammée. (Rappel : la Meute Étoilée et le trappeur ont une petite guerre de territoire en cours et les pièges de Renard Solitaire ont déjà gravement blessé plusieurs d'entre eux.)

Qu'est-ce que tu fais ?

  • Je me concentre donc sur la diplomatie. Dans l'ordre :

1) j'éloigne la meute d'une bonne centaine de pas. 2) je leur demande si ils sont aussi capables d'entendre les dragons sous la glace. Ca ne m'intéresse pas plus que ça, mais ça permettra de changer de sujet et de penser à autre chose. 3) je retourne voir Renard pour lui dire d'éteindre son machin, qui ne sert à rien à part à énerver mes copains. Il est en sécurité avec moi, mes compagnes peuvent en témoigner. La meute étoilée ne l'aime pas, mais les loups respectent leur parole contrairement à certains hommes. De plus, on va bientôt sortir de son territoire, on sera dans une zone neutre et dangereuse, donc on n'a pas de temps à perdre avec des bêtises. Enfin, il ne cesse de prendre moi-même et mes compagnes pour des amateurs, il devrait donc s'estimer heureux d'avoir comme alliés des chasseurs rapides, silencieux et mortels comme le sont les loups. C'est sûrement, de son point de vue, les meilleurs de notre équipe.* 4) si ça marche, je retourne voir la meute pour m'assurer que les choses sont claires de leur côté. On est sur le territoire de personne, on ne se bat pas. Il n'est pas le dominant, il est juste un allié comme les autres hommes et il sera utile pour aller vers le Sud quand on aura trouvé le ravitaillement que l'on cherche pour le moment.

  • La Meute (avec Chasse 8*2) entend parfois approcher les "grands serpents d'eau", ça dépend des conditions. Surtout, elle demande pourquoi tu veux lui imposer la présence de Renard Solitaire (qui est un fumier qu'on ferait mieux d'égorger tant qu'il est pas sur son territoire) ? Ils ne promettent absolument pas de ne pas lui faire la peau à la première occasion, et puis quoi encore.

Renard Solitaire est effectivement d'avis que les loups sont meilleurs que vous sauf que, pas de bol, ce sont des ennemis. Donc non, il ne s'estime pas du tout heureux de leur présence mais, rassure-toi, il ne veut que casser la gueule à l'alpha pour que les autres aient peur de lui et cessent de le menacer. :)

  • Mais c'est pas vrai... comme si on avait pas assez de soucis comme ça.

Bon, j'essaye de rester en position de tampon entre la Meute et Renard, à qui je ré-explique que non, il ne peut pas casser la gueule à l'alpha, parce que les loups sont nos alliés et qu'on a vraiment autre chose à faire qu'à se battre entre nous. Et en plus, ça ne changera rien à la situation, ils auront certes peur de lui mais ils le laisseront encore moins tranquille si il leur fait du mal. Et, non, je me répète, ce ne sont pas ennemis ! Ce sont ses rivaux, éventuellement, comme deux clans peuvent être rivaux quand tout va bien, mais justement, quand tout va mal, les clans se regroupent et arrêtent de se chamailler. Quant à la meute, je les connais assez (je pense) pour pouvoir repérer s'ils décident de faire un mauvais coup, et les en empêcher à ce moment-là. Pour l'instant, je les laisse tranquille.

  • Alors là, évidemment, ça part en sucette : Ventre-d'Ourse lâche le traineau pour

venir gueuler que non, les loups ne font définitivement pas partie de l'équipe ! C'est pas parce que tu as des amis lupins que tout le monde trouve ça normal ! Renard Solitaire ricane que, non, c'est pas "normal", Ha'Osheilil intervient un peu faiblement pour dire qu'elle les connaît et qu'ils sont "gentils", Marche-la-Nuit demande si on pourrait pas l'aider avec le traîneau, Noir-Bleu aboie que si les bipèdes arrêtent pas de beugler il va mordre quelqu'un, la Rousse et Patte-Neige montre subséquemment les dents, Renard solitaire brandit sa lance, Ventre-d'Ourse met la main à sa hache.... Et toi tu réalises que la collaboration entre bipèdes et quadrupèdes va être assez galère.

  • ah les boulets... enfin, chacun est à sa place, c'est juste moi qui suis le cul entre deux chaises.

bon, dans la mesure où le traîneau n'avance pas vite et où on ne sait pas exactement où on va, je pars en avant avec la Meute. Ça mettre toujours de la distance entre les deux groupes d'excités et je pourrai me concentrer plus facilement sur le chemin à suivre. Donc, je mets un bon kilomètre entre mes compagnons humains et moi, et j'avance.

(Vu l'énervement de tout le monde, ce n'est pas la peine d’espérer faire entendre raison aux humains, et les loups ne sont pas vraiment sensibles aux arguments logiques).

  • Par bon vent, le traîneau avance en fait plus vite qu'un homme qui court et peut pousser des pointes plus rapides qu'aucun loup. Il est néanmoins obligé de "tirer des bords" pour garder le vent, d'éviter les pentes raides et les zones accidentées... Toutes choses qui produisent d'ordinaire des itinéraires plutôt sinueux, quoiqu'en l’occurrence le traineau puisse suivre le lit gelé et enneigé du fleuve qui, depuis les gorges, descend en serpentant vers les grands lacs (et de là vers les tourbières).

Les loups tout-terrain, eux, peuvent quasiment tailler tout droit mais font plus de pauses et, malgré son endurance, ton perso ne peut pas tenir leur rythme très longtemps (la Meute a aussi un Déplacement Ech*2).

Néanmoins, une fois les bipèdes et les quadrupèdes séparés, l'efficacité reprend ses droits et un peu de "Clairvoyance" t'ayant permis de vérifier que le traineau avait été remis sur ses patins, les deux groupes prennent la direction des tourbières... Il y en a bien pour 7-8 jours de trajet depuis les gorges du Solitaire (voir carte), vous n'avez pas tant de nourriture que ça (quoique Renard Solitaire prétend y pourvoir si on le laisse chasser, mais ça va vous ralenti).... Comment Kan Shethan s'y prend-il pour guider sa première expédition (surtout s'il doit constamment séparer ses compagnons par nombre de pattes) ?

  • pour le nombre de pattes, le plus simple serait pas de faire une moyenne ?

si tout le monde avait 3 pattes, ça serait plus simple... :D

plus sérieusement : normalement, on a assez de nourriture pour nous rendre aux tourbières, mais on aura rien pour le retour. ça veut dire que c'est un pari - soit on trouve, soit on est mal. je décide qu'on y va le plus vite possible, en deux groupes : les loups et moi en avant, on marquera la piste pour le traîneau et je vais me servir au maximum de clairvoyance (aidé par mes frères lupins, si possible) pour repérer le chemin le plus praticable et le plus rapide. c'est un pari - si ça marche, je devrais obtenir une certaine autorité sur le petit groupe (en particulier les bipèdes). donc, on fonce !

  • Renard Solitaire te répondrait avec goguenardise qu'il a déjà 3 jambes, lui.

Et avant que j'oublie : tu viens de gagner 1pH en convainquant Renard Solitaire de vous accompagner dans les tourbières gelées.


Le Monstre


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Les Glaces Noires


Entre les nuages bousculés par le vent, les étoiles ont défilé dans le sifflement du traîneau. On fît halte un peu avant l'aube pour donner à Marche-la-Nuit et Renard Solitaire le temps de soigner Frère-de-la-Meute. Et puis Patte-Neige, sur l'insistance de la Semishen : tu n'eus que le temps de te satisfaire de cette concorde naissante avant de t'effondrer à nouveau, de fatigue cette fois, la louve couchée contre toi, tous deux blottis sous les fourrures couvrant le chargement du traîneau.

Le soleil brillait déjà haut à travers les ouvertures du toit de peau quand tu fus réveillé par une odeur de thé et de galettes (1) chauffant au feu de bois. On t'avait transporté dans la yourte et, à défaut d'oser y entrer, Noir-Bleu montait la garde à la porte, grognant vainement quand un bipède le dérangeait pour entrer. Vous étiez parti du refuge depuis maintenant huit jours et, les vivres s'épuisant, les loups et les humains avaient décidé d'une halte pour se reposer et chasser -séparément- sur les pentes boisées des dernières montagnes avant la côte et ses tourbières gelées. Le gibier fut maigre, mais il rallongea les réserves d'encore deux jours : de quoi atteindre le littoral et commencer les recherches. Les loups ouvraient la route, traçant une piste imprécise dans la neige jusqu'alors immaculée, et le traîneau filaient dans leur sillage.

Au midi du neuvième jour, les patins dérapèrent soudain dans un crissement rauque en balayant la poudreuse jusqu'à dévoiler une surface gelée, brunâtre et irrégulière, dure comme de la pierre, ou le véhicule s'arrêta avec de brusques cahots. À perte de vue s'étendait une lande de neige sale, hérissée de blocs de glace noire et de souches luisantes, éclatées par l'humidité et le gel. "J'crois qu'on y est..." conclue Ventre-d'Ourse en descendant de la plate-forme arrière pour faire craquer ses reins endoloris par le voyage. "C'est quoi la suite du plan ?"

Frère-de-la-Meutte gagne 1pP pour être arrivé vivant jusque là.